Se battre pour rien, mais pas seul

Jean-François Chassay, l’Angle mort, 2002, couverture

L’Oreille tendue croit — elle peut se tromper — que le verbe quitter est transitif : il demande donc un complément d’objet. Je quitte ? Non. Je quitte ma girafe ? Oui.

Au Québec, son attente du CO est souvent déçue. C’est un de ses combats perdus d’avance. (Voir la catégorie Quitter ici.)

Elle a néanmoins des alliés, par exemple Gilles Pellerin ou Marie-Éva de Villers.

Et Stéphane, une narratrice de Jean-François Chassay dans son roman l’Angle mort (2002) :

il faut […] téléphoner systématiquement à la radio quand un journaliste dit «l’événement que je vous parle» ou «il a quitté» sans complément, pour demander qu’on le foute à la porte, parce qu’il n’y a rien de pire que les incultes suffisants qui se croient en train de bien perler (p. 120);

Pour parler en bon québécois, Richard au niveau de son vécu, il a quitté. Intransitif à part ça ! Ben oui Claire, calvaire, je sais bien que la langue évolue, mais quand on fabrique une faute de français pour donner l’impression de parler avec distinction, entre nous, on a l’air profondément imbécile, franchement ! (p. 167)

Il est agréable de se sentir moins seul.

 

Référence

Chassay, Jean-François, l’Angle mort. Roman, Montréal, Boréal, 2002, 326 p.

Citation métalinguistique du jour

Jean-François Chassay, les Taches solaires, 2006, couverture

 

«Mais putain de marde, y a pas plus Québécoise que moi, tu vois pas que là, juste là, se trouve l’enfant de chienne de fondement à mon problème ?? J’ai honte de ne pas parler 12 langues, seulement une et demie ! J’ai l’impression de ne jamais avoir de bâtard de vocabulaire quand j’ouvre la bouche pis pas une ostie d’idée quand j’ouvre mon cerveau ! Je ferme ma gueule quand je me trouve devant le moindre péquenot européen que je rencontre, convaincue qu’il sait plus de choses que moi et qu’il parle mieux que moi, même si en même temps je suis parfaitement convaincue du contraire ! […] J’ai honte de ne pas parler parfaitement anglais et j’ai honte de cette honte, parce que pourquoi je ne parlerais pas plutôt d’abord slovaque si le cœur m’en dit, est-ce du racisme inconscient à l’égard des Slovaques ou, tiens, pourquoi pas, le swahili ? Et pourquoi au Canada anglais ils ne parlent que l’anglais et n’ont ni honte, ni remords et trouvent ça normal ?»

P.-S. — Le lecteur curieux pourra lire en parallèle cette déclaration d’un personnage du roman les Taches solaires de Jean-François Chassay (2006) et tel passage du roman la Folle de Warshaw de Danielle Phaneuf (2004).

Jean-François Chassay, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p., p. 288-289.

Le zeugme du dimanche matin et d’André Major

André Major, l’Hiver au cœur, éd. de 1992, couverture

«Il passa l’après-midi à lire, adossé à la tête du lit, des pages de la correspondance de Flaubert, malgré l’envie très forte qu’il avait de se rendre chez Huguette pour prendre une bouchée et surtout de ses nouvelles.»

André Major, l’Hiver au cœur, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992, 93 p., p. 41. Présentation de Jean-François Chassay. Édition originale : 1987.

Merci à notre fournisseur de zeugmes québecquois.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’art du portrait paternel, avec légumes

Jean-François Chassay, les Taches solaires, 2006, couverture

«Ses trois filles de 18, 16 et 15 ans, enveloppées d’une pâle beauté mystérieuse, étaient par ailleurs saines et prosaïques comme des betteraves. Son fils de 13 ans, excité comme un pou mais silencieux comme ce n’est pas permis, évoquait davantage à Jean Beaudry l’aspect frustre du navet.»

Jean-François Chassay, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p., p. 164.