La puck ne roulait pas pour Anne Hébert

Anne Hébert, Œuvres complètes. II, 2013, couverture

À peu près au milieu de son roman Kamouraska (1970), Anne Hébert écrit cette phrase : «L’abbé Foucas, exaspéré par l’air arrogant et méprisant du garçon, le bat sauvagement avec un bâton de hockey» (éd. de 2013, p. 292).

S’il est plausible que George Nelson ait été battu par un religieux du Petit séminaire de Québec durant les années 1820-1830, il l’est beaucoup moins qu’un «bâton de hockey» ait été utilisé.

Dans leur histoire des origines du hockey, Carl Gidén, Patrick Houda et Jean-Patrice Martel indiquent que le mot «hockey», durant les deux premières décennies du XIXe siècle, n’avait été écrit au Canada que par une seule personne, l’explorateur britannique John Franklin, en l’occurrence dans deux lettres de 1825 (2014, p. 6-7). L’attestation suivante date de 1839, encore une fois sous la plume d’un Anglais, Richard George Augustus Levinge, à Niagara Falls (2014, p. 20).

Mettons cet anachronisme d’Anne Hébert — l’emploi d’un mot qui ne devait pas avoir cours chez les francophones au moment où elle situe son intrigue — sur le compte de son enthousiasme pour le sport national (d’hiver) du Canada.

Ce n’est pas tout.

Tôt dans le roman, on peut lire, dans un passage consacré à des jeux d’enfants, ceci : «Crosse et toboggan» (éd. de 2013, p. 202). Dans leur édition critique du roman, Anne Ancrenat et Daniel Marcheix commentent ainsi le mot crosse : «Bâton recourbé utilisé dans certains jeux, ici le hockey, pour pousser la rondelle (désignée aussi par les termes “disque” et “palet”)» (éd. de 2013, p. 202, note 16). On peut penser que les petits d’Élisabeth Rolland s’apprêtaient plutôt à pratiquer, non pas le hockey, mais l’autre sport national du Canada, la crosse, sport qui se pratique avec une… crosse.

La puck ne roulait ni pour Anne Hébert ni pour ses éditeurs.

P.-S.—Le sens du titre de ce billet vous échappe ? Voyez ceci.

P.-P.-S.—Oui, l’Oreille tendue a déjà présenté l’ouvrage de Gidén, Houda et Martel. Voyez cela.

 

Références

Gidén, Carl, Patrick Houda et Jean-Patrice Martel, On the Origin of Hockey, Stockholm et Chambly, Hockey Origin Publishing, 2014, xv/269 p. Ill.

Hébert, Anne, Œuvres complètes d’Anne Hébert. II. Romans (1958-1970), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Bibliothèque du Nouveau Monde», 2013, 488 p. Les Chambres de bois. Édition établie par Luc Bonenfant suivi de Kamouraska. Édition établie par Anne Ancrenat et Daniel Marcheix. Avant-propos de Nathalie Watteyne.

Portrait préfunéraire du jour

Germaine Guèvremont, le Survenant, éd. de 1954, couverture

«Un soir, Angélina Desmarais se joignit à la compagnie. Un teint cireux et une allure efflanquée la faisaient ressembler à un cierge rangé dans la commode depuis des années. Sans cesse ses cheveux morts s’échappaient du peigne par longues mèches sur la nuque. Seuls ses yeux vifs et noirs, brillants comme deux étoiles, vivaient sous le front bombé.»

Germaine Guèvremont, le Survenant. Roman, suivi d’un «Vocabulaire», Paris, Plon, 1954, 246 p., p. 41. Édition originale : 1945.

Le zeugme du dimanche matin et de Valérie Perrin

Valérie Perrin, Changer l’eau des fleurs, 2018, couverture

«J’avais les automatismes de la sonnerie de la barrière dans la tête. Je l’entendais avant même avant qu’elle retentisse. Cette cadence infernale, on aurait dû la partager, la faire par roulement. Mais la seule chose que Philippe Toussaint faisait rouler, c’était sa moto et le corps de ses maîtresses.»

Valérie Perrin, Changer l’eau des fleurs. Roman, Paris, Albin Michel, 2018. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)