Les zeugmes du dimanche matin et de Félicité de Genlis

Mémoires de madame de Genlis, éd. de 2004, couverture

«Je m’amusai beaucoup à Alix : l’abbesse et toutes les dames me comblaient de bontés et de bonbons, ce qui me donnait une grande vocation pour l’état de chanoinesse» (p. 44).

«Madame d’Estourmelle m’embrassa, loua beaucoup ma douceur, ma complaisance et mes beaux cheveux» (p. 121).

«Dans la première année de mon entrée à Bellechasse, je fis venir de Bourgogne ma nièce, Henriette de Sercey, qui était orpheline et créole […]» (p. 262).

«Les conquêtes et les victoires de l’Empereur ne m’avaient point éblouie, parce qu’elles avaient coûté des torrents de sang; mais toutes les circonstances qui accompagnèrent son retour me séduisirent, et j’admirai, dans cette occasion, son caractère et son triomphe» (p. 357).

Mémoires de madame de Genlis, Paris, Mercure de France, coll. «Le temps retrouvé», 2004, 390 p. Édition présentée et annotée par Didier Masseau. Édition originale : 1825.

 

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Les zeugmes du dimanche matin et de Maxime Raymond Bock

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires, 2017, couverture

«Marguerite et Louise descendaient Bourbonnière à partir de Dandurand, fumant des cigarettes, leurs sacs de journaux aux épaules, les joues rosies par l’hiver et le gros gin qu’elles buvaient dans une ?asque» (p. 36).

«Or le lendemain, les enquêteurs interrogeaient son frère, ses voisins, l’amant qui avait à l’occasion partagé son lit avant son décès, et surtout son ancien amoureux, Marc Lemieux, qui avait pas mal de rancune et toujours la clé» (p. 74).

«Peut-être avait-elle en effet porté ses chemises carreautées dès ses onze ans, et sa tristesse dès la naissance» (p. 134).

«Je suis entré au Métro nous acheter à boire, mais à ma sortie il avait disparu, peut-être absorbé par la foule heureuse de l’été et des rabais, peut-être rentré chez lui, peut-être évanoui dans un repli menteur de sa mémoire. Je suis allé rejoindre Marie-France et les enfants au trampoline» (p. 162).

«Sous l’hypocrite vernis du plaisir, du soleil, des mascottes et des refrains, la soumission à des idiots d’animateurs à peine plus vieux que mon frère annihilait l’idée même du mot vacances» (p. 193).

«Puis mes collègues étaient revenus ravis, remplis d’anecdotes et du désir de nager» (p. 360).

Maxime Raymond Bock, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

 

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Le zeugme du dimanche matin et du Machin à écrire

«Je n’ai pas découvert dans le bois du Séminaire une entrée dérobée menant à un vaste système de cavernes, où j’aurais fait de la spéléologie avec des amis et les moyens du bord et où, alors que nous aurions été pourchassés par une mystérieuse créature troglodyte et sanguinaire, je me serais enfargé dans une stalagmite retorse, ce qui m’aurait fait faire une chute de plusieurs mètres.»

Nicolas Guay, «Passé simple (77) — Comment je ne me suis pas cassé la jambe», blogue le Machin à écrire, 18 juillet 2018.

 

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Portrait avec prépositionnaires et zeugmes

Dominique Fortier et Nicolas Dickner, Révolutions, 2014, couverture

«Il y a environ trois ans de cela, alors que je cherchais sur Kijiji un chat qui pourrait servir de compagnon à Fido, je suis tombée sur une annonce anormalement bien rédigée : non seulement on avait pris la peine de faire des phrases complètes pour décrire les chatons avec une précision non dénuée d’humour, mais les divers accents étaient là où on les attendait et les participes passés, correctement accordés. Nous sommes allés voir la bête, une petite birmano-orientale au pelage lilas que nous avons illico baptisée Violette. L’appartement où vivaient ces chatons était d’une propreté presque suspecte, tout s’y trouvait impeccablement rangé, les chatons eux-mêmes, sur un couvre-lit d’une blancheur éclatante, semblaient avoir été lavés aux dix minutes depuis leur naissance. Dans le salon, une grande bibliothèque où j’ai coulé un regard curieux : une enfilade de dictionnaires et de grammaires, une collection de prépositionnaires, d’autres ouvrages de références dont je n’avais jamais même entendu parler. J’ai regardé avec plus d’attention la jeune femme qui nous avait accueillis et me suis enquise, d’un ton faussement désinvolte : “Vous faites quoi, dans la vie ?” Mais je savais déjà que c’était la terrasseuse de zeugmes et la pourfendeuse d’anacoluthes que j’avais cessé d’espérer. Et puis, elle s’appelait, comme le dictionnaire, Robert

Dominique Fortier, dans Dominique Fortier et Nicolas Dickner, Révolutions, Québec, Alto, 2014, 424 p., p. 197-198.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 6 octobre 2014.

 

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Les zeugmes du dimanche matin et de Philippe Lançon

Philippe Lançon, le Lambeau, 2018, couverture

«Dans ces cas-là, le jeune homme qui allait jadis au théâtre rencontre le journaliste qu’il est devenu. Après un moment plus ou moins de flottement, de timidité, d’approche, le premier communique au second sa spontanéité, son incertitude, sa virginité, puis il quitte la salle pour que l’autre, stylo en main, puisse reprendre son activité et, malheureusement, son sérieux» (p. 11).

«Il ne faudrait jamais regarder la télé avant d’aller se coucher, me suis-je dit, ça pèse autant que des draps sales sur la conscience et l’estomac» (p. 29).

«Louis Farrakhan, le dirigeant noir de Nation of Islam, était d’un chic et d’un mépris complets» (p. 36).

«Plus tard, entre les blocs et les soins, entre la morphine et les insomnies, je me suis souvent fait le récit dérivant de cet entretien» (p. 45).

«Il y a eu encore des balles, des secondes, des “Allah Akbar !”» (p. 79).

«Je l’ai senti soudain presque au-dessus de moi et j’ai fermé les yeux, les ai rouverts aussitôt, comme si, pour voir quelques bouts de son corps et la suite de l’histoire, j’étais prêt à prendre le risque d’en subir la fin : c’était plus fort que moi» (p. 79).

«Des souvenirs remontaient en surface et en désordre, déformés, hors d’usage, parfois même non identifiables, mais d’une présence ferme» (p. 93).

«Si je mordais dans un pomme, mes dents allaient tomber et les champs de pommier disparaître, jusqu’à ce qu’un rayon de soleil — ou le sourire d’une infirmière, ou le vers d’un poète, ou un air de Chet Baker qui, lui aussi, maintenant que j’y pense, avait perdu d’un coup la plupart de ses dents — rétablisse la mâchoire, la lumière, le verger et l’horizon» (p. 135).

«J’avais cinquante et un ans et un trou dans la mâchoire. J’avais sept ans et la nuit arrivait» (p. 172).

«La peluche, je m’en suis souvenu soudain, était un écureuil, charmant petit rongeur qui n’est fait que pour évoquer l’automne, les arbres, un plumeau et sa propre disparition» (p. 186).

«Nous étions là, dans cette petite chambre, comme au fond du ventre d’une baleine, elle avec sa vie coupée, moi avec mon visage défait, suspendus entre les drames, et elle n’allait changer ni de situation ni de caractère sous prétexte que je devais changer de mâchoire et de vie» (p. 187-188).

«Ils n’avaient pas exterminé les Juifs. Ils n’avaient pas les arbitres dans leurs mains. Ils ne répandaient pas leurs ventres et leurs cris sur les plages espagnoles» (p. 189-190).

«Il ne me reste pour l’instant que trois doigts émergeant des bandelettes, une mâchoire sous pansement et quelques minutes d’énergie au-delà desquelles mon ticket n’est plus valable pour vous dire toute mon affection et vous remercier de votre soutien et de votre amitié» (p. 204).

«son mari a perdu une jambe et son autonomie à la suite d’un accident opératoire» (p. 280).

«Je somnolais, abruti par l’émotion et les médicaments» (p. 323).

«Corinne était pétrifiée dans sa blouse, les pieds dans le jaune, pâle comme une morte. Une minute a passé, je continuais à vomir sur son silence et sur son immobilité, tout en la regardant et en me demandant : mais d’où vient tout ce jaune ?» (p. 397)

«Il faisait chaud, le temps s’arrêtait, pour mes amis comme pour moi, et, quand ils repartaient dans la nuit, épuisé je regagnais ma petite chambre, ma vaseline, mon somnifère, ma brosse à dents ultra-souple et ma vue particulière sur le dôme du tombeau» (p. 406-407).

«C’était donc à moi de mettre ce petit tube dans le cul et d’attendre quelques minutes son effet. Une fois le produit lâché, c’est très long, quelques minutes; c’est une éternité. On la parcourt comme un supplément de douleur et un défi, qu’on relève parce qu’on veut en sortir. J’ai fini par courir vers la cuvette et la libération, avec un peu d’espace sur le timing recommandé. Deux heures plus tard, j’arrivais au théâtre, aussi fier que Pompée après une victoire» (p. 448).

«Je lui aurais volontiers donné du lait, un baiser ou un sourire; mais je ne pouvais ni embrasser ni sourire, et préférait le vin» (p. 475).

Philippe Lançon, le Lambeau, Paris, Gallimard, 2018, 509 p.

 

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