Quelques néologismes pour un mardi matin

Le premier vient de Finlande (si si). Catherine Pogonat déclare que «les commerces illicites poussaient comme des petits pains chauds». Pour @jeanphipayette, c’est un pogonatisme.

Le deuxième arrive d’Épinal, gracieuseté du Notulographe, Philippe Didion : «Bertrand Sombrelieu (1915-1984) s’est […] spécialisé dans les “homonymographies” [les biographies d’homonymes]. Il est ainsi l’auteur d’une Vie de Théophile Gautier, cordonnier à Lattes, d’une Vie de Lénine consacrée à Clément Lénine employé des chemins de fer belges, d’une Vie de Cambronne, représentant de commerce dans le Doubs et de quelques autres du même tonneau» (Notules dominicales de culture domestique, livraison du 13 octobre 2013).

Le troisième a été prononcé par Richard Massicotte sur les ondes de la radio de Radio-Canada, dans le cadre de l’émission les Années lumière, le 6 octobre 2013. L’hoolinaute (hooligan + internaute) est un troll.

Le quatrième est un sous-produit de la restauration hexagonale. «@ALLORESTO offre bon d’achat ALLORESTO 10€ à la première personne nous envoyant #Vine d’une pifle (gifle avec une pizza).» François Bon avait raison d’ajouter à ce tweet : «pôvr types».

Les derniers, enfin, ont atterri rue Saint-Jacques à Montréal. Dans la Presse du 17 mai 2013, Alain Dubuc déplore «l’amour immodéré des moratoires qui s’exprime avec vigueur au Québec» (p. A21). Les tenants des moratoires sont des momos (comme il y a des bobos). Le verbe tiré de ce nom serait morater, et l’adjectif moratorien.

Pour saluer Christian Gailly

L’Oreille tendue ne prétend pas être une spécialiste de Christian Gailly. C’est, en revanche, un romancier qu’elle aimait lire.

Dans ce blogue, il a été question de son art de la variation, de son vocabulaire (autobus à soufflet, inciser, onclicide, saule, tacautacer, thermos), de son rapport aux gares et aux voitures, de l’utilisation du magnétophone par un de ses personnages, des idiotismes de métier de la dentiste de l’Incident (1996).

Sa maîtrise du portrait bref forçait l’admiration : dans les Évadés (1997, ici et ), dans la Passion de Martin Fissel-Brandt (1998), dans Dernier amour (2004), dans les Oubliés (2007).

Christian Gailly vient de mourir.

 

«La vie est comme ça,
on n’arrête pas de recommencer
et un jour on en meurt»
(Lily et Braine, 2010).

(Merci à @edesplanques pour la citation.)

Les deux côtés de la braguette

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.

«Je tente d’avoir envie de quelque chose.»

Vingt-deux nouvelles en 127 pages. C’est dire que la plupart sont brèves.

Elles se déroulent à Montréal comme en région, dans un bar ou un snack-bar, un dépanneur, un appartement transformé en salon de coiffure, par les rues et les routes, sous la crasse ou dans un décor bourgeois.

La langue y est souvent crue, comme le contact des corps, avec une justesse maintenue.

Le point de vue est tantôt masculin tantôt féminin : enfants («Papa est gentil, mais il s’énerve vraiment pour rien des fois», p. 88), jeunes adultes («Ma tête aurait bientôt besoin d’une retouche de bleu», p. 125), moins jeunes («Mon père se tourne vers moi les yeux écarquillés. T’as cinquante ans, mon gars ?», p. 95).

Ça raconte — avec ou sans cynisme, c’est selon, parfois avec humour — des petits drames, des déceptions, les dissonances du quotidien, la solitude, l’éloignement de ceux qui se sont aimés («de l’amour mort sous la mascarade», p. 86). Les souffrances sont dites, avec une forme de détachement ou de fatigue, pas tonitruées. La violence est là, des autres, du monde, de soi (dans «Attendre Paola» ou «Okapulco»).

Chacun choisira ses nouvelles favorites : «Le soleil s’est couché sur l’asphalte» (sur un couple défait, qui ne se refera pas), «L’amour post-rock» (une fellation vue des deux côtés de la braguette), «Jusqu’au bortsch» (une descente aux enfers alimentaires), «La pantry» (de l’inutilité de vouloir aider ses vieux parents).

C’est de Françoise Major et ça s’appelle Dans le noir jamais noir. C’est à lire.

P.-S. — Paonner pour faire le paon (p. 85) : pourquoi pas ? Mais ça se prononce comment ?

 

Référence

Major, Françoise, Dans le noir jamais noir. Nouvelles, Montréal, La mèche, 2013, 127 p.

Suffixe du jour

Magazine Châtelaine, Montréal, été 2013

Le français moderne aime créer des mots se terminant en –ing. Exemples récents.

Vous transformez tout en jus ? Vous voilà adepte du juicing. Attention, cependant : le magazine Châtelaine, au cours de l’été 2013, s’interrogeait. «On a testé le juicing : bon choix ou tendance risquée ?»

Vous faites du jogging à reculons en jonglant ? C’est du joggling. (Merci à @mcgilles.)

Vous vous êtes levé en cherchant «un sport de préhension issu de plusieurs disciplines, telles que la lutte, le judo ou le sambo» ? Le grappling est pour vous, même en entreprise.

Vous êtes plutôt «mode, glamour, affirmation identitaire, danse urbaine et posture» ? Tâtez du voguing.

Ça vous changera du cocooning, de l’outdooring, du couponing, du planking, du stocking et du (désuet) tebowing.

On n’arrête pas le progrès.

Néologie littéraire du mercredi matin

On connaissait la chick lit. Selon The Atlantic, cette forme littéraire gyno-urbaine serait désormais remplacée par la farm lit : les jeunes héroïnes quitteraient la ville pour la campagne. En Australie, on serait plutôt passé de la chick lit à la chook lit (chook y signifiant chicken [poulet]).

Le mot twittérature (la littérature par / sur Twitter) est devenu suffisamment commun pour que puisse exister un Institut de twittérature comparée.

Il n’est pas sûr qu’il en aille de même pour narcolittérature. La 52e livraison de la revue l’Inconvénient contient un article de Jorge Volpi sur ce «nouveau stéréotype» pour désigner un genre pratiqué en Colombie et au Mexique.

On n’arrête pas le progrès.