Les zeugmes du dimanche matin et de Françoise Giroud

Françoise Giroud, Histoire d’une femme libre, 2013, couverture

«On y cultive, même en vieillissant, mœurs et mentalité d’étudiant, on a l’esprit généreux, la Légion d’honneur à titre militaire, le cœur large et le revenu maigre» (p. 33).

«Elle a beaucoup d’argent de poche et l’intelligence du cœur» (p. 39).

«Ceux qui, un soir, ou un après-midi de vacances, ont eu envie de vous, vous étiez prête, avec vos airs braves, à leur donner votre temps, vos pensées, votre cœur et leur petit-déjeuner au lit pendant dix ans» (p. 116).

«Le conducteur qui avait offert de le reconduire disposait, en effet, d’une voiture sensiblement moins confortable et d’une élocution en robinet d’eau tiède» (p. 188).

«Ce dont je suis sûre, c’était […] d’avoir respecté son intégrité au lieu de m’efforcer à modifier ses opinions, ses amitiés ou ses cravates […]» (p. 206).

«Celui-ci m’a écoutée poliment quand je lui ai dit que j’étais en train de perdre la volonté de vivre en même temps qu’un kilo par semaine […]» (224).

Françoise Giroud, Histoire d’une femme libre. Récit, Paris, Gallimard, coll. «NRF», 2013, 248 p. Texte de 1960. Édition établie par Alix de Saint-André.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Julia Deck

Julia Deck, le Triangle d’hiver, 2014, couverture

«L’entrée [au musée de la Marine de Paris] coûtait cinq euros. J’ai payé et me suis trouvée face au canot de l’Empereur, avirons dressés à la verticale le long d’exactes parallèles. C’était une embarcation assez ridicule, surchargée de dorures, à bord de laquelle Napoléon aimait parader dans les ports de l’Empire. Je l’ai imaginé sur sa galère, tendant l’oreille aux hourras que la foule lançait depuis la rive, des baïonnettes plantées dans le dos par des fantassins préposés à la stimulation de l’enthousiasme populaire, et j’ai vu ses paupières se plisser imperceptiblement tandis qu’il tenait la pose sur son radeau de carnaval.»

Julia Deck, le Triangle d’hiver. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 174 p., p. 142-143.

Chantons la langue avec… : bilan d’étape

Signalétique, Saint-Côme, «Capitale québécoise de la chanson traditionnelle», juillet 2022

Le 22 novembre dernier, l’Oreille tendue inaugurait une nouvelle rubrique, «Chantons la langue avec…» Dans quel objectif ? Rassembler des chansons qui portent, brièvement ou longuement, sur la langue : lexique, accent, syntaxe, etc.

Après 69 livraisons, la besace de l’Oreille est aujourd’hui vide — mais toujours en attente de suggestions. Premier bilan d’étape.

Géographique : Québec (28 chansons); France (28); Canada, hors Québec (11); Suisse (2).

Générique : 38 chansons sont interprétées par des hommes, 9 par des femmes. Il y a aussi 19 pièces chantées par des groupes, et 3 par des duos.

Thématique : la question de l’accent et de la prononciation apparaît dans 30 chansons.

Chronologique : 1930-1939 (1); 1940-1949 (0); 1950-1959 (0); 1960-1969 (7); 1970-1979 (10); 1980-1989 (10); 1990-1999 (7); 2000-2009 (13); 2010-2019 (17); 2020-2024 (4).

Libre à vous de tirer des conclusions de tout cela. L’Oreille, pour sa part, s’en gardera bien.

À suivre.

 

[Complément du 7 février 2024]

Voici la liste complète des chansons repérées. Elle sera périodiquement actualisée.

(Version du 7 février 2025)

1. Michel Rivard, «Le cœur de ma vie», album Michel Rivard, 1989

2. French B, «Je me souviens» / «Je m’en souviens», 1989

3. Chanson plus bifluorée, «Grammaire song», De concert et d’imprévu, 2006

4. Mireille Mathieu, «J’ai gardé l’accent», 1968

5. Gaële, «L’accent d’icitte», Diamant de papier, 2010

6. Fabulous Trobadors, «L’accent», On The Linha Imaginòt, 1998

7. Mononc’ Serge et Anonymus, «Shitty accent», Métal canadien-français, 2024

8. Luc De Larochelière et Andrea Lindsay, «D’un accent à l’autre», 2014

9. Yves Duteil, «La langue de chez nous», album la Langue de chez nous, 1985

10. Arseniq33, «J’use d’la langue», Dansez, bande de caves ! 15 ans d’arseniq33 (1992-2007), 2008

11. Grand Corps Malade, «À Montréal», 3ème Temps, 2010

12. La Bottine souriante, «La chanson de la langue française» / «Le reel à Blanchette» / «Le reel à Pierre Léon», les Épousailles, 1981

13. Sangria gratuite, «Mon accent», Y’a pas d’raison, 2007

14. Manu Militari, «Je me souviens», 2012

15. Michel Etcheverry, «Une pointe d’accent», Irrintzina, 1997

16. Paul Piché, «La gigue à Mitchounano», À qui appartient l’beau temps ?, 1977

17. Johnny Halliday, «Ton fils», Gang, 1986

18. Mad’MoiZèle GIRAF, «Montréal stylé», Peindre la GIRAF, 2009

19. Claude Cormier, «Garde ton accent», album Garde ton accent, 2018

20. Daniel Balavoine, «Le français est une langue qui résonne», 1978

21. Rock et Belles Oreilles, «I want to pogne», 1989

22. Ricoune, «Un petit Ricard dans un verre à ballon», 2002

23. Flagrants délires, «L’accent du Sud», la Couche d’eau jaune, 2008

24. Claude Barzotti, «Le Rital», album le Rital, 1983

25. Les enfoirés, «Qu’est-ce qu’on fout à Strasbourg ?», Bon anniversaire les enfoirés, 2014

26. Michel Bülher, «Éloge des Vaudois», 2006 [?]

27. Paul Demers, «Notre place», album Paul Demers, 1990

28. Michel Leeb, «Le tombeur», 1986

29. Castelhemis, «Coco», N’importe quelle sorte d’amour, 1982

30. Fernandel, «L’accent», 1963

31. Nicolas Ciccone, «Dynamite», Gratitude, 2021

32. Léo Ferré, «La langue française», album la Langue française, 1962

33. Pauline Julien, «Mommy», le Disque de l’Automne show, 1974

34. Renaud, «It is not because you are», Marche à l’ombre, 1980

35. Radio Radio, «Deux langues», 2021

36. Swing, «One Day», Tradarnac, 2007

37. Reney Ray, «Le p’tit Reney», album Reney Ray, 2018

38. Les Hôtesses d’Hilaire, «Super Chiac Baby», Touche-moi pas là, 2015

39. Gilles Vigneault, «I went to the market», 1976

40. Émile Bilodeau, «Candy», Grandeur mature, 2019

41. Shawn Jobin, «Au nom d’une nation (Tu m’auras pas)», Tu m’auras pas, 2013

42. Jean-Louis Foulquier, «Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom», Foulquier, 1993

43. Serge Gainsbourg, «En relisant ta lettre», l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961

44. Gilles Vigneault, «Ah ! que l’hiver», le Nord du Nord, 1968

45. Michèle Arnaud, «La grammaire et l’amour», 1965

46. Fatal Bazooka, «C’est une pute», T’as vu, 2007

47. Brigitte, «Monsieur je t’aime», Et vous, tu m’aimes, 2011

48. Jérémie Kisling, «Rendez-vous courtois», le Ours, 2005

49. Plume Latraverse, «Encore des mots», Plume pou digne, 1974

50. Serge Gainsbourg, «Les mots inutiles (De Vienne à Vienne)», 1961

51. Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

52. La Rue Kétanou, «Les mots», En attendant les caravanes, 2000

53. Java, «Mots dits français», Maudits Français, 2009

54. Loco Locass, «Malamalangue», Manifestif, 2000

55. Mononc’ Serge, «Le joual», Ça, c’est d’la femme !, 2011

56. La Bolduc, «La chanson du bavard», 1931

57. Alecka, «Choukran», album Alecka, 2011

58. Mononc’ Serge et Anonymus, «Métal canadien-français», album Métal canadien-français, 2024

59. Sylvain Lelièvre, «Lettre de Toronto», album Sylvain Lelièvre, 1978

60. Jean Lapointe, «Mon oncle Edmond», 1976

61. Daniel Lavoie, «Jours de plaine», 1991

62. Georges Langford, «Acadiana», album Acadiana, 1975

63. Big Balade, «Levons nos voix (Francos de l’Ontario)», 2015

64. Brian St-Pierre, «Mon beau drapeau», version de 2011

65. En Bref, «Grande histoire d’amour», Silence radio, 2014

66. IAM, «Chez le mac», l’École du micro d’argent, 1997

67. Robert Charlebois, «Punch créole», Longue distance, 1976

68. Jacques Tom Rivest, «La langue de son pays», album Jacques Tom Rivest, 1979

69. Gauvain Sers, «La langue de Prévert», les Oubliés, 2019

70. Mansfield.TYA, «Le dictionnaire Larousse», Corpo Inferno, 2015

71. Zebda, «Le Petit Robert», Essence ordinaire, 1998

Chantons la langue avec Gauvain Sers

Gauvain Sers, les Oubliés. 2019, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Gauvain Sers, «La langue de Prévert», les Oubliés, 2019

 

T’étais le genre de lycéen
Un peu perdu et dans ton coin
Toujours assis au fond d’la classe
Pas très à l’aise dans tes godasses
Sûr qu’on se cherche à cet âge-là
Mais la jeunesse est faite pour ça
Tu t’réfugiais dans les chansons
Pour l’évasion pour les frissons
Et puis un jour t’as découvert
La force de la langue de Prévert

Tu t’es plongé dans les études
Pour apaiser les inquiétudes
De ceux qui te paient le loyer
Comme une balle à renvoyer
Bientôt passée l’adolescence
Toujours dans l’sac à dos les sciences
Mais ta passion c’est l’écriture
Les pattes de mouches et les ratures
Et en cachette t’écris tes vers
Bien sûr dans la langue de Prévert

T’aurais pu croupir au bureau
Mal dans tes fringues mal dans ta peau
De ne jamais avoir osé
Claquer la porte sans te r’tourner
Un jour t’as pu saisir ta chance
Avec la bonne dose d’insouciance
Pour pas finir aigri et vieux
Des tonnes de regrets dans les yeux
Entre la tendresse la colère
Tu chantes dans la langue de Prévert

Et aujourd’hui c’est ton métier
Toutes les planètes sont alignées
Quand tu repenses au lycéen
T’aurais pas parié ton destin
Mais comme ton truc c’est la musique
Et pas leurs foutues statistiques
Quel que soit le son du moment
Tu marches à côté tranquillement
Et tu te sens libre comme l’air
Toujours dans la langue de Prévert

Et tu te sens libre comme l’air
Toujours dans la langue de Prévert

 

Chantons la langue avec IAM

IAM, l’École du micro d’argent, 1997, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

IAM, «Chez le mac», l’École du micro d’argent, 1997

 

Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac

Les rues sales du centre-ville de Mars est mon turf
Mac aussi puissant que ce putain d’argent sur le surf
J’ai tout pris en main et les condés se tâtent
Pas de racket, je suis libre des vapeurs d’eau écarlate

Et des tubes de colle, à coups de latte
Les consonnes, les voyelles, sont toutes à quatre pattes
Proxénète linguistique pur
Style manteau en fourrure

Et ma vie, a pris une autre tournure
Je ne sais pas où cela me mène
Mais même ceux qui m’aiment me décrivent comme étant un schizophrène
J’ai mis les mots au tapin pour la sensation

Au trottoir les syllabes, prostitué la diction
Les lettres travaillent pour moi
Le dico est mon territoire, un pays dont je veux être le roi
J’ai traité des phrases comme de vraies dames

Tiré les plus belles pour les mettre en vitrine comme à Amsterdam
Si tu veux la qualité normale, tu payes cash
Ça arrache, à consommer avec un tchoc de hash
J’ai des potes dans la profession, c’est pas la mode

Mais pourquoi croies-tu que DRS s’appelle Monsieur Claude
Petit parade avec tes illusions de Benz
T’es une merde sur le marché parce que tes phrases sont renze
C’est dommage, t’es guetté par le chômage

Mon organisation est trop en place et bien trop sauvage
Ma famille vient de ce quartier, qui faisait peur à Hitler
Où la French est née pour niquer la terre entière
Je m’en souviens encore mais pourtant je devais être petit

Scarface n’est pas un rêve, il a existé ici
L’Italiano prend la relève vingt ans après
C’est tout un autre monde, c’est tout un autre marché
Je suis discret, distant, dispo, prêt à disparaître

Mon discours éternel, seul un rêve peut renaître
Un jour, sous une forme nouvelle
D’un novice, 26 lettres, 100 000 mots à son service
N’est pas mac qui veut

Mais je croise des concurrents sérieux
Alors je redouble de travail et serre le jeu
Si tu veux la bombe, tu raques Ronald
Ça s’passe comme ça chez le mac

Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac

Le petit noir à tête rasée réapparaît
Moi non plus j’ai pas changé, toujours prêt à dégainer
Mon micro branché sur une table envoie le morceau
Vérifie la console, qu’elle fasse bien son boulot

Ouais, c’est comme ça avec le mic et les samplers
Au doigt et à l’œil, alors qui c’est l’empereur
La MPC travaille pour moi très dur
Et au moindre bug, je la colle au mur, c’est sûr

La dernière mélodie que j’ai recrutée
S’est prise deux gifles quand elle a refusé de se faire trunkater
En fait, je suis le seul boss du matos
Tous les câbles qui font les macs tombent vite sur un os

Tout le monde y a droit, qu’est-ce que tu crois
Les lettres, elles aussi, taffent pour moi
26 mètres, chacun sa chacune
Deux claques sur les fesses et vite par ici la thune

C’est comme ça que dans mon job ça se passe
J’ai beaucoup d’employés et je ne paie rien à l’Urssaf
Et je n’ai pas eu depuis longtemps à sévir
Elles ont réalisé que leur plaisir est de me servir

Si elles le font bien, je les place dans des phrases
Promotion sociale pour elle, pour moi ah plus de liasses
Mais le fin du fin, c’est le couplet quand elles y sont arrivées
C’est qu’elles sont classées top dans mon carnet

Celles qui attendent de moi un geste en retour
Ont beaucoup d’espoir, d’ailleurs elles courent toujours
Je table sur la qualité, pas la quantité
D’un service organisé, créé pour vous faire planer

On y trouve des plates, des croisées, des embrassées
Choisissez, chacune d’elle a sa spécialité
J’ai dû transpirer dur pour y arriver
Mais ça sert d’avoir de la famille bien placée dans le métier

Le prox de l’apostrophe, le Jules de la virgule
J’aurais dû faire du foot, j’ai toujours eu le sens des putes
Surtout ne viens pas taper à ma porte sans des Deutschmarks
Ça s’passe comme ça chez le mac

Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac
Ça s’passe comme ça chez le mac