Tropes orphelins

Raymond Queneau, les Œuvres complètes de Sally Mara, éd. de 1979, couverture

L’Oreille tendue, depuis 2011, propose un «Dictionnaire personnel de rhétorique».

Il lui arrive de se retrouver avec des phrases dont elle ne sait que faire. Deux exemples.

«Elle avait une maison à tenir et très peu de temps pour la douceur et jamais le matin» (Arvida, p. 130).

«Il continuait à pleuvoir et le gardien à m’interroger» (Journal intime de Sally Mara).

Ce sera tout pour l’instant.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Queneau, Raymond, «Journal intime», dans les Œuvres complètes de Sally Mara, Paris, Gallimard, coll. «L’imaginaire», 48, 1979, 360 p., p. 11-190. Édition originale : 1962.

Le zeugme du dimanche matin et de Bertrand Leclair

Surveillances, recueil collectif, 2016, couverture

«Un spectre sans identité ? Le parfait inconnu, je suis bien placé pour savoir que ça n’existe pas, un parfait inconnu — mais c’est une autre histoire, ça, on verra plus tard si j’ai le courage et encore de la mine, je n’ai plus l’habitude aussi, je finis par avoir des crampes à l’index.»

Bertrand Leclair, «Dimenticator», dans Surveillances, publie.net, 1996, 166 p., p. 83-97, p. 89.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Éloge des livres

Patrick Boucheron, Le temps qui reste, 2023, couverture

«Je n’écris pas pour porter des coups, pas même pour parer ceux que la méchanceté des temps nous assène, mais parce que je continue à croire juste et nécessaire qu’on pose, par des livres, quelques points d’arrêt. Non pour s’abandonner à la croyance consolante des lettrés pour qui les livres changent le monde, mais parce qu’il est raisonnable de penser que les changements historiques sont toujours escortés de quelques textes qui, les précédant ou les imaginant à distance, vont leur propre train. Voici pourquoi je tâcherai toute ma vie de défendre, indéfectiblement, la cause des livres — ceux qu’on écrit et ceux dont on accompagne l’écriture, ceux qu’on lit et ceux qu’on donne à lire, ceux qui demeurent sagement à leur place dans la bibliothèque pour attendre des jours meilleurs et ceux qui, impatients, courent le monde sous d’autres formes et par diverses voix, s’abandonnant à ce mouvement de délivrance qui est la vie même.»

Patrick Boucheron, Le temps qui reste, Paris, Seuil, coll. «Libelle», 2023, 69 p., p. 62.

P.-S.—Oui, ce Patrick Boucheron-là.

Maigret vu de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Georges Simenon, Maigret à New York, 1947, couverture

Il y a souvent, dans les romans de Georges Simenon, des allusions à la méthode bien peu orthodoxe de son personnage fétiche, le commissaire Jules Maigret.

Dans Maigret à New York, rédigé en 1946, Simenon ne se contente pas d’allusions; la méthode de Maigret est un des leitmotive du roman.

Désormais à la retraite, l’ex-commissaire s’est laissé embarquer dans une affaire familiale américano-française. Ne maîtrisant pas bien l’anglais, il a du mal à faire son travail, malgré l’aide de collègues états-uniens. Comment procède-t-il ?

Il n’a jamais d’idées (p. 37). Il flâne : «il avait toujours été un flâneur» (p. 67). Il ne sait pas «exactement» ce qu’il cherche (p. 87). Il ne s’intéresse pas particulièrement aux «faits» (p. 122) et aux «idées» précis (p. 143). Il se dit «pas intelligent» (p. 142) et il refuse de se «faire une idée sur une affaire avant qu’elle soit terminée» (p. 142). Il se laisse porter par ce qu’il voit, entend, ressent :

Je nage, lieutenant… Sans doute nageons-nous tous les deux. Seulement, vous, vous luttez contre le flot, vous prétendez aller dans une direction déterminée, alors que moi je me laisse aller avec le courant en me raccrochant par-ci par-là à une branche qui passe (p. 143).

Arrive pourtant un moment où les choses prennent forme dans son esprit : il entre alors «en transe» (p. 145), il se trouve «dans le bain» (p. 145).

Pendant des jours, parfois des semaines, il pataugeait dans une affaire, il faisait ce qu’il y avait à faire, sans plus, donnait des ordres, s’informait sur les uns et sur les autres, avec l’air de s’intéresser médiocrement à l’enquête et parfois de ne pas s’y intéresser du tout. […] Puis soudain, au moment où on s’y attendait le moins, où on pouvait le croire découragé par la complexité de sa tâche, le déclic se produisait. […] les personnages du drame venaient, pour lui, de cesser d’être des entités, ou des pions, ou des marionnettes, pour devenir des hommes. […] Tel individu, à un moment de sa vie, dans des circonstances déterminées, avait réagi, et il s’agissait, en somme, de faire jaillir du fond de soi-même, à force de se mettre à sa place, des réactions identiques (p. 145-147).

Rien de compliqué : «Il ne fallait pas courir après les vérités qu’on voulait découvrir, mais se laisser imprégner par la vérité pure et simple» (p. 149-150); «Se rendre compte, tout simplement» (p. 151); «Seulement, pour comprendre cette simplicité-là, il fallait aller tout au fond et non se contenter d’explorer la surface» (p. 152).

Ça ne marche pas trop mal.

P.-S.—Pourquoi Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ? Le roman y a été rédigé.

 

Référence

Simenon, Georges, Maigret à New York, Paris, Presses de la Cité, coll. «Le livre de poche», 14242, 2019, 189 p. Édition originale : 1947.