Chantons la langue avec Serge Gainsbourg

Serge Gainsbourg, l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Serge Gainsbourg, «En relisant ta lettre», l’Étonnant Serge Gainsbourg, 1961

 

En relisant ta lettre je m’aperçois que l’orthographe et toi ça fait deux
C’est toi que j’aime
(Ne prend qu’un m)
Par-dessus tout
Ne me dis point
(Il en manque un)
Que tu t’en fous
Je t’en supplie
(Point sur le i)
Fais-moi confiance
Je suis l’esclave
(Sans accent grave)
Des apparences
C’est ridicule
(C majuscule)
C’est aussi bien
Tout ça m’affecte
(Ça c’est correct)
Au plus haut point
Si tu renonces
(Comme ça se prononce)
À m’écouter
Avec la vie
(Comme ça s’écrit)
J’en finirai
Pour ne garder
(Ne prend qu’un d)
Tant de rancune
T’as pas de cœur
Y a pas d’erreur
(Là y en a une)
J’en mourirai
(N’est pas français)
N’comprends-tu pas ?
Ça s’ra ta faute
Ça s’ra ta faute
(Là y en a pas)
Moi j’te signale
Que gardénal
Ne prend pas d’e
Mais n’en prend qu’un
Cachet au moins
N’en prend pas deux
Ça t’calmera
Et tu verras
Tout r’tombe à l’eau
L’cafard, les pleurs
Les peines de cœur
O E dans l’O

 

P.-S.—Vous préférez l’interprétation de Barbara ? C’est ici.

 

Chantons la langue avec Jean-Louis Foulquier

Jean-Louis Foulquier, album Foulquier, 1993, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Jean-Louis Foulquier, «Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom», Foulquier, 1993

 

Amoco Cadiz, amanite, Sahel
Chrysanthème, canine, morsure, varicelle
Mygale, tarentule, épine, porte-avions
Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom

Fourmilière, aiguille, acide et calice
Le chemin des Dames, cercueil, cicatrice
Cyclone, ouragan, camisole, typhon
Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom

Guillotine, cirrhose, nuit blanche, les Baumettes
Mirador, Stasi, syphon, baïonnette
Fleury-Mérogis, la rue Lauriston
Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom

Amygdale, pavot, vérole, aspirine
Ecchymose, ortie, sanglot, carabine
Carmélite, javel, cobra, Charenton
Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom

Camora, péplum, cyanure, mafioso
Tian’anmen, amen, rasoir et ciseau
Ostie, Vatican, Jean-Marie, mormon
Tout c’qu’est dégueulasse porte un joli nom

Picador, arène, dollar et cédille
Ouragan, menottes, acide, Tchernobyl
Atome et neutron, neurone et citron
Et toi, c’est quoi ton p’tit nom ?

 

Chantons la langue avec Renaud

Renaud, Marche à l’ombre, 1980, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Renaud, «It is not because you are», Marche à l’ombre, 1980

 

When I have rencontred you
You was a jeune fille au pair
And I put a spell on you
And you roule a pelle to me
Together we go partout
On my mob it was super
It was Friday on my mind
It was a story d’amour
It is not because you are
I love you because I do
C’est pas parce que you are me qu’I am you
Qu’I am you
You was really beautiful
In the middle of the foule
Don’t let me misunderstood
Don’t let me sinon I boude
My loving, my marshmallow
You are belle and I are beau
You give me all what you have
I say thank you, you are bien brave
It is not because you are
I love you because I do
C’est pas parce que you are me qu’I am you
Qu’I am you

This is a musical bridge

I wanted marry with you
And make love very beaucoup
To have a max of children
Just like Stone and Charden
But one day that must arrive
Together we disputed
For une stupid story of fric
We decide to divorced
It is not because you are
I love you because I do
C’est pas parce que you are me qu’I am you
Qu’I am you
You chialed comme une madeleine
Not me, I have my dignité
You tell me «You are a sale mec !»
I tell you «Poil to the bec !»
That’s comme ça that you thank me
To have learning you English ?
Eh ! that’s not you qui m’a appris
My grand-father was rosbeef !
It is not because you are
I love you because I do
C’est pas parce que you are me qu’I am you
Qu’I am you
It is not because you are
I love you because I do
C’est pas parce que you are me qu’I am you
Qu’I am you
Qu’I am you

 

Puissance du roman

Julia Deck, Ann d’Angleterre, 2024, couverture

«Le roman est l’instrument de la connaissance.»

Il y a plusieurs mystères dans la vie. Pourquoi, par exemple, Caroline Dawson a-t-elle sous-titré «roman» Là où je me terre et Jean-Philippe Pleau «roman (mettons)» Rue Duplessis ? Ce sont à l’évidence deux récits de transfuge de classe. Leur dimension romanesque, si tant est qu’elle existe, est fort mince.

Ce n’est pas le cas d’Ann d’Angleterre de Julia Deck. Celle-ci parle de sa vie et de sa relation avec sa mère, qui vient d’être victime d’un accident cérébral, et de leur parcours de combattantes dans le système hospitalier français. On est alors du côté du témoignage, des souvenirs, de l’autobiographie ou de l’autoportrait (la narratrice ne cache pas ses torts et ses tares). Pourtant, le livre relève clairement du genre romanesque par plusieurs aspects.

Ann d’Angleterre est un roman d’abord par la reconstruction que propose Deck du récit de sa famille maternelle britannique. Dans quel milieu sa mère (la Ann du titre) a-t-elle grandi ? Qui étaient ses parents, sa sœur, ses nièces ? Qu’a-t-elle vécu avant de devenir sa mère ? Par la force des choses, la narratrice ne peut proposer que sa propre version, longtemps à posteriori, de ces divers parcours.

Il y a aussi que la Julia qui écrit à la première personne devient, à un moment du livre, une Julia à la troisième personne — à la fois celle qui raconte et celle qui est racontée. La narratrice devient son propre personnage. Cette prise de distance concourt à problématiser ce qui se dit.

Il y a encore que le genre romanesque, pour Julia Deck, qui a publié à ce jour cinq romans, est par excellence celui de de l’indétermination finale : «Mes livres se terminent toujours de manière incertaine. Je ne cherche pas la réponse, vécut-elle heureuse jusqu’à son dernier jour ou misérable comme un caillou. Je cherche la résolution, le point où la vague retombe pour donner naissance à une autre. Les réponses ne servent à rien, c’est l’artifice et la mort» (p. 237). Or une des intrigues d’Ann d’Angleterre repose sur un «trouble de la filiation» (p. 247) qui ne sera pas résolu. Au lecteur de juger, avec ce que la romancière a choisi de lui donner à lire.

On pourrait enfin souligner le fait que tout, dans ce livre, passe par le langage et par une réflexion sur le langage. Comment la narratrice pourrait-elle «remplir» sa «mission» auprès de sa mère (p. 191) quand elle ne maîtrise pas l’«idiome» (p. 200) hospitalier et ses «éléments de langage» (p. 177-178) ? Que cela se déroule en France n’est pas innocent : «Je suis née à Paris, et je peux révéler des secrets bien gardés : ici, la monnaie d’échange n’est pas l’argent, c’est la maîtrise du langage» (p. 121).

Une phrase énoncée deux fois dans des termes presque identiques, à un bout et à l’autre du roman, révèle précisément où loge l’autrice : «Que les choses soient claires. Je ne crois pas aux flashes, aux visions, à toutes ces fariboles fabriquées pas cher pour augmenter le réel à peu de frais quand il n’y a que le langage pour lui donner corps, épaisseur, direction» (p. 17; voir également p. 220). On dirait un art romanesque, comme on dit un art poétique.

P.-S.—Si l’Oreille tendue avait lu ce livre plus tôt, il aurait évidemment été retenu ici.

P.-P.-S.—De Julia Deck, l’Oreille a présenté Propriété privée de ce côté et Sigma de celui-là.

 

Références

Dawson, Caroline, Là où je me terre. Roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 201 p. Édition originale : 2020.

Deck, Julia, Ann d’Angleterre. Roman, Paris, Seuil, 2024, 250 p.

Pleau, Jean-Philippe, Rue Duplessis. Ma petite noirceur. Roman (mettons), Montréal, Lux éditeur, 2024, 323 p. Ill.