Aveu dix-huitiémiste

Denis Diderot, la Religieuse, éd. de 1983, couverture

Il n’y a rien à faire.

L’Oreille tendue — elle l’a montré à de multiples reprises, et depuis des lustres — aime Diderot. En revanche, la Religieuse ne lui procure à peu près aucun bonheur de lecture. L’Oreille vient de relire le roman et il lui tombe toujours des mains.

Pourquoi ?

On peut louanger la dimension picturale de certaines descriptions (p. 34, par exemple), il n’en reste pas moins que l’écriture est assez ronflante. Il y a des limites à l’amour que l’on peut porter à l’anaphore.

L’obsession démonstrative de l’auteur lasse. Les couvents, c’est mal ? Le lecteur l’a compris fort tôt, merci.

Que la cruauté soit le propre de la couventine et qu’il y ait une «fureur des religieuses» (p. 81), on veut bien le croire. Mais le catalogue des sévices imposés à la narratrice en vient à vider certains passages de tout réalisme (p. 80-103). Trop, c’est trop.

Le roman ne manque pas d’incohérences chronologiques. Dans leur édition, Anne-Marie et Jacques Chouillet parlent de «légers défauts de fonctionnement» (p. 271). C’est être bienveillant.

Marie-Suzanne Simonin est enfermée, contre son gré, dans trois couvents («on était résolu à disposer de moi, sans moi», p. 22). Dans le troisième, la supérieure tente à répétition de séduire la jeune femme. La naïveté de celle-ci en matière sexuelle confine à la bêtise. Autre signe de bienveillance des éditeurs : «Le dossier est plus subtil et plus complexe qu’il n’y paraît» (p. 289). Non.

Les collègues de l’Oreille aiment vanter les relations complexes entre le roman (les Mémoires de Suzanne) et sa préface (parfois dite «préface-annexe»). De la même façon, on souligne à l’envi que cet ensemble de textes constituait une mystification visant à faire revenir à Paris un ami de Diderot, le marquis de Croismare. S’il faut se rabattre sur cela, c’est bien que le roman en lui-même ne se suffit pas.

Vivement Jacques le fataliste.

 

Référence

Diderot, Denis, la Religieuse, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 2077, 1983, 314 p. Préface de Henry de Montherlant. Édition établie et commentée par Jacques et Anne-Marie Chouillet.

Gestes barrières au XVIIIe siècle

Denis Diderot, la Religieuse, éd. de 1983, couverture

«Nos corridors sont étroits; deux personnes ont en quelques endroits de la peine à passer de front. Si j’allais et qu’une religieuse vînt à moi, ou elle retournait sur ses pas, ou elle se collait contre le mur, tenant son voile et son vêtement, de crainte qu’il ne frottât contre le mien. Si l’on avait quelque chose à recevoir de moi, je le posais à terre et on le prenait avec un linge. Si l’on avait quelque chose à me donner, on me le jetait. Si l’on avait eu le malheur de me toucher, l’on se croyait souillée […].

[…]

Je fus privée de tous les emplois. À l’église, on laissait une stalle vide à chaque côté de celle que j’occupais. J’étais seule à table au réfectoire. On ne m’y servait pas. J’étais obligée d’aller dans la cuisine demander ma portion.»

Denis Diderot, la Religieuse, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 2077, 1983, 314 p., p. 82-83. Préface de Henry de Montherlant. Édition établie et commentée par Jacques et Anne-Marie Chouillet.

L’oreille tendue de… Leïla Slimani

Leïla Slimani, le Pays des autres, 2020, couverture

«Selma ne voulut rien entendre. Quand Mathilde vint frapper à la porte de la remise, où Selma dormait désormais avec son mari, celle-ci refusa d’ouvrir. L’Alsacienne donna des coups de pied dans la porte, elle tambourina avec ses poings, elle y posa son front et, après avoir hurlé, elle se mit à parler tout doucement comme si elle espérait que Selma tendrait l’oreille.»

Leïla Slimani, le Pays des autres. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2020. Édition numérique.