Portrait psychotique du jour

 

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2020, couverture

(Quand paraît un nouveau livre de Jean Echenoz, cela se célèbre. Vie de Gérard Fulmard venant de paraître, célébrons pendant quelques jours.)

«Francis Delahouère, assistant de Joël Chanelle : aspect sphéroïdal voisin de celui-ci mais en version effilochée, imprécise, mal rangée. Sa cravate dépasse derrière le col de sa chemise, ses cheveux sont rétifs et ses vêtements, même neufs, paraissent élimés aux extrémités, il ressemble au portrait de Chanelle exécuté par un enfant psychotique.»

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 235 p., p. 65-66.

Parc automobile

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2020, couverture

(Quand paraît un nouveau livre de Jean Echenoz, cela se célèbre. Vie de Gérard Fulmard venant de paraître, célébrons pendant quelques jours.)

Jean Echenoz aime les voitures.

Pour certaines, il faut tendre l’oreille. Feulement — «d’un moteur V8 bi-turbo de Koenigsegg Agera» (p. 44). Grognement — «d’un moteur V12 de Lamborghini Aventador» (p. 87). Ronflement — «d’un moteur W12 de Bentley Continental GT Speed» (p. 154). Il y a aussi, évoquée mutiquement, une Bugatti Veyron Supersport (p. 42).

Dès après, cela n’est plus tout à fait pareil : rue Ternaux, chez Jean-Loup Mozzigonacci, les «grondements de moteurs [sont] beaucoup moins distingués que dans la résidence Tourneur-Lopez, […] relevant généralement de la classe moyenne» (p. 164). Énumérons : Audi Q2 (p. 19, p. 78), dont on devinera qu’il est «havane» (p. 56) et «plein d’options» (p. 148), «roadster Honda jaune» (p. 55, p. 63-64, p. 210), Peugeot (p. 70), «vaste Volvo anguleuse de couleur margarine, ressemblant à un break d’antiquaire» (p. 158, p. 182), «Opel Crossland à l’état d’usage» (p. 182, p. 185, p. 184), «Hyundai hybride» suivie par «une Lexus» (p. 189).

Au dernier étage du parking, plus de noms : «voitures de cadres et voiturettes de femmes de cadres» (p. 79), voiturettes de golf (p. 102), «automobile d’un standing assorti à celui de l’hôtel» (p. 211), qui n’est pas bien élevé.

C’est ici qu’il faut garer les nombreux taxis du roman (p. 99, p. 121, p. 124, p. 137, p. 147, p. 148), tous anonymes à l’exception d’«une espèce de Skoda beigeasse» (p. 232, p. 234).

Elle virera bientôt au rouge.

 

Référence

Echenoz, Jean, Vie de Gérard Fulmard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 235 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Robert Belleret

Robert Belleret, Paul Bocuse, 2019, couverture

«“Tu es monté jusqu’ici à vélo ? Tu n’es pas un feignant, je t’embauche !” lui glisse en substance la monumentale patronne (qui, à trente ans, pesait près de cent kilos), auréolée de gloire et de fins cheveux poivre et sel.»

Robert Belleret, Paul Bocuse. L’épopée d’un chef. Biographie, Paris, Éditions de l’Archipel, coll. «Biographie», 2019, 259 p., p. 38.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Pauvre lui

Éric Chevillard, Démolir Nisard, 2006, couverture

Ce matin, l’Oreille tendue donnera la deuxième séance de son cours Questions d’histoire de la littérature à l’Université de Montréal.

Elle citera Désiré Nisard.

Et elle citera Éric Chevillard :

Mais comment sais-tu tout cela ? me demande Métilde. Il suffit pourtant de lire quelques lignes de ce sinistre cagot pour ne plus rien ignorer de lui et deviner d’où il vient, de quel œuf pourri, de quelle enfance contrariée il est issu. Mais, certainement, Métilde a mieux à faire que d’envoyer un bibliothécaire extraire dans les arrière-fonds poussiéreux de la réserve les quatre tomes, scellés par l’humidité et l’indifférence séculaire du lectorat, de l’Histoire de la littérature française de Nisard et laisser se faner dans ces pages quelques heures de sa jeunesse, de sa beauté fascinante. Comme je souffrirais de savoir Métilde enlisée jusqu’à mi-corps dans ce marécage ! Métilde prisonnière de la boue grise de ces volumes et Nisard tout au fond rampant comme un visqueux reptile, s’enroulant autour de ses chevilles, Nisard tapi au creux de son œuvre idéalement vide, triste construction de pâte à papier, et guettant la proie juvénile, après des décennies de solitude amère à peine troublées par la visite oblique de quelque universitaire pressé en quête d’une référence pour une note en bas de page, Nisard vautré dans sa fange avisant soudain le pied rose de Métilde, y ventousant ses lèvres flasques, Nisard dont j’ai toujours soupçonné la secrète abjection, incapable cette fois de cacher son jeu et de se dominer après une si longue abstinence, et se jetant sur elle en crachotant, l’œil fou, l’air hagard (p. 11).

 

Référence

Chevillard, Éric, Démolir Nisard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2006, 172 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Courtilz de Sandras

Courtilz de Sandras, Mémoires de M. le marquis de Montbrun, éd. de 2004, couverture

«faites-lui votre cour, jouez avec lui, gagnez sa confiance, et son argent si vous pouvez, et enfin portez-le à s’en revenir ici»

Courtilz de Sandras, Mémoires de M. le marquis de Montbrun, Paris, Desjonquères, coll. «XVIIIe siècle», 2004, 250 p., p. 206. Texte établi, annoté et indexé par Érik Leborgne. Préface de René Démoris. Édition originale : 1701.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)