De l’intérêt de l’écriture inclusive

Peter Burke, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?, 2022, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de Qu’est-ce que l’histoire culturelle ? (2022), de Peter Burke, dans la traduction de Christophe Jaquet :

De même, des historiens féministes ont essayé non seulement de rendre les femmes «visibles» dans l’histoire, mais aussi d’écrire sur le passé d’un point de vue féminin (p. 121).

Qui sont ces «historiens féministes» ?

S’il s’agit uniquement d’hommes, on ne voit pas bien comment ils seraient capables d’écrire «d’un point de vue féminin». De même, on pourrait les accuser de paternalisme : des hommes «essaieraient» de «rendre les femmes “visibles”», mais pas elles-mêmes ?

S’il s’agit de femmes et d’hommes — ainsi que permet de le penser certaine «règle» de la grammaire française —, on peut imaginer que «rendre les femmes “visibles”» et «écrire […] d’un point de vue féminin» n’auraient pas tout à fait le même sens pour les unes et pour les autres.

Il existe pourtant des formes diverses d’écriture inclusive, dont certaines sont faciles à pratiquer.

Essayons ceci, à défaut de complètement réécrire la phase :

De même, des historiennes et des historiens féministes ont essayé non seulement de rendre les femmes «visibles» dans l’histoire, mais aussi, pour les historiennes, d’écrire sur le passé d’un point de vue féminin.

À votre service.

 

Référence

Burke, Peter, Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?, Paris, Les Belles Lettres, 2022, vii/255 p. Édition originale : 2004. Troisième édition : 2019. Avant-propos d’Hervé Mazurel. Préface à l’édition française de Peter Burke. Traduction de Christophe Jaquet.

Hommage à Michel Porret

Fabrice Brandli et Marco Cicchini (édit.), Pages d’histoire. Autour de Michel Porret, 2021, couverture

Un pote de l’Oreille tendue, l’historien Michel Porret (Université de Genève), est aujourd’hui à la retraite. Des collègues lui ont consacré un volume d’hommages. L’Oreille est honorée d’en être.

(Michel Porret ? Ici, et encore là.)

 

Référence

Brandli, Fabrice et Marco Cicchini (édit.), Pages d’histoire. Autour de Michel Porret, Chêne-Bourg, Georg éditeur, 2021, 578 p. Ill. ISBN : 978-2-8257-1248-1.

 

Table des matières

 

Brandli, Fabrice et Marco Cicchini, «Introduction : l’œil sensible de l’historien», p. 7-31.

 

Première partie. Lumières et Révolution

 

Pastore, Alessandro, «Da Ginevra all’Olanda Dominique Beddevole (1657-1692), anatomista cartesanio», p. 35-56.

Pitassi, Maria-Cristina, «Les identités brouillées : de l’imprimé au manuscrit et retour. Autour des Mémoires concernant la théologie et la morale (1732)», p. 57-71.

Melançon, Benoît, «Voltaire, “tête pensante”», p. 73-89. https://doi.org/1866/28557

Milliot, Vincent, «“Tout changer pour que rien ne change” ? Le conservatisme éclairé d’un policier des Lumières Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807)», p. 91-112.

Rosset, François, «Casanova, utopiste sénile ?», p. 113-124.

Denis, Vincent, «De la Ferme générale à la police révolutionnaire, l’ascension d’un bureaucrate pendant la Révolution française : François-Claude Maisoncelle», p. 125-138.

Belissa, Marc, «“Le Philadelphien à Genève” ou comment meurt une république quand en naît une autre», p. 139-157.

Martin, Jean-Clément, «Vérité historique, fake news et responsabilité de l’historien», p. 159-173.

Jaquier, Claire, «Un récit suisse dans la bibliothèque mondiale», p. 175-187.

 

Deuxième partie. Les vies fragiles

 

Gauvard, Claude, «Une tentative de viol en 1835 : le fabuleux destin de Perrote Turelure», p. 191-203.

Cicchini, Marco, «La vie coupable d’Augustin Barlie et la mémoire judiciaire du grand incendie de 1670», p. 205-223.

Testori, Olinda, «Mourir sur l’échafaud par accident. Le jeu mortifère des enfants de Genève à la fin du XVIIe siècle», p. 225-246.

Maugué, Ludovic, «La fin des supplices ? La mort sur le bûcher en 1791 du “méchant” Sadoz, voleur et incendiaire», p. 247-264.

Fontana, Vincent, «L’homme au serpent, ou la vie fragile d’un révolté sous la Révolution et l’Empire», p. 265-284.

Renneville, Marc, «Moirax 1932. Cette histoire que je n’écrirai pas», p. 285-301.

 

Troisième partie. Doctrines et pratiques du droit de punir

 

Salvi, Elisabeth, «Entre culture de la loi et de la grâce : sentences et droit souverain à Lausanne (1536-1798)», p. 305-322.

Lilti, Antoine, «Cet “étrange empressement de voir des misérables” : le spectacle de la souffrance et la légèreté du badaud», p. 323-337.

Lacchè, Luigi, «Alle origni del Traité de droit pénal di Pellegrino Rossi : le radici intellettuali di un’opera europea nel laboratorio ginevrino», p. 339-355.

Ortolani, Marc, «La peine dans le commentaire méconnu des Délits et des peines de Ruffino Massa. Premiers jalons recherche», p. 357-375.

Tavilla, Elio, «La peine de mort et l’École positive italienne (XIXe-XXe siècles)», p. 377-397.

Higelin, Audrey, «L’Instruction sur le règlement général pour les prisons départementales : un panoptisme à la française ?», p. 399-417.

Tabet, Xavier, «Cesare Lombroso, le “souffle de l’antisémitisme” et le “néochristianisme socialiste”», p. 419-432.

Garibian, Sévane et Robert Roth, «Ordonner l’arbitraire. Propos croisés en clin d’œil à Michel Porret», p. 433-450.

 

Quatrième partie. Vérité du corps, vérité de l’âme

 

Chappuis, Loraine, «L’étreinte paillarde et ses circonstances. Le lieu, le temps et le contexte des relations sexuelles hors mariage à Genève au XVIIIe siècle», p. 453-474.

Bastien, Pascal, «La Caverne des Grands Voleurs, ou les cires d’échafaud de Philippe Curtius (Paris, 1782-1784)», p. 475-491.

Rey, Alice, «Pour une histoire du corps pénal (XVIe-XIXe siècle)», p. 493-511.

Kaspar, Martin, «L’âme du criminel sous le scalpel : l’anthropologie criminelle à la quête de l’origine du mal», p. 513-529.

Brandli, Fabrice, «Folie des hommes, folie des bêtes : l’aliénisme comparé de Claude-Charles Pierquin de Gembloux (1798-1863)», p. 531-547.

Chauvaud, Frédéric, «Queue-de-cerise ne compte pas pour des prunes. L’affirmation d’un personnage de papier», p. 551-564.

 

[Complément du 28 août 2023]

Le texte de l’Oreille est désormais disponible à https://doi.org/1866/28557.

Votre arrière-grand-père et Voltaire

La semaine dernière, en goguette conjugale sherbrookoise, l’Oreille tendue a visité une exposition consacrée à Voltaire. Son attention a été attirée, entre autres choses, par une publicité de la bière Molson représentant l’écrivain.

Publicité de la bière Molson représentant Voltaire, 1954

Pourquoi citer Candide et parler d’«arpents de neige» ? C’est que Voltaire «était convaincu que le Canada ne valait pas qu’on se batte pour le conserver», dit l’annonce. Des «arpents de neige», cela vaudrait bien peu.

Intriguée, l’Oreille a mené enquête. Voici quelques découvertes préliminaires, grâce aux merveilleuses ressources numériques de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Cette publicité n’a pas paru que dans le quotidien montréalais le Devoir (9 avril 1954, p. 5), comme l’indique le musée diocésain de Sherbrooke; on la trouve aussi — recherche non exhaustive — dans l’Action catholique (23 juin 1954, p. 21) et dans le Droit (28 juillet 1954, p. 15).

Cette «réclame» s’inscrit dans «une série publiée par Molson’s», dit-on. Qu’y trouve-t-on ? Sous l’intitulé «Qui a dit… ?», d’autres personnages historiques sont associés à des phrases, parfois datées :

«Le temps c’est de l’argent !» («François» Bacon, 1620, le Bien public, 21 mai 1954, p. 6);

«Je répondrai par la bouche de mes canons» (Frontenac, 1690, le Droit, 21 avril 1954, p. 15 et 21 juin 1954, p. 15);

«Après moi le déluge» (Louis XV à Mme de Pompadour, le Droit, 28 mai 1954, p. 24 et 25 août 1954, p. 11);

«Une armée marche sur son ventre» (Napoléon, le Guide, 18 février 1954, p. 6; le Canada, 26 mai 1954, p. 8; le Clairon maskoutain, 28 mai 1954, p. 14);

«Les Canadiennes sont si jolies que ça repose les yeux lorsqu’on en rencontre une qui l’est moins» (Mark Twain, 1881, le Droit, 16 février 1954, p. 12 et 20 août 1954, p. 10);

«Le XXe siècle appartient au Canada» (Wilfrid Laurier, le Bien public, 18 juin 1954, p. 6).

Chaque publicité est illustrée par un portrait de la personne à qui on doit la citation, sauf pour Napoléon : au lieu d’une représentation d’époque, on a dessiné quatre militaires contemporains, sourire aux lèvres, remplissant leur plateau de victuailles.

Le slogan «La bière que votre arrière-grand-père buvait» ne correspond guère aux exigences de la publicité actuelle, laquelle préfère généralement l’ultramoderne à la tradition. Molson l’a pourtant utilisé pendant des décennies. Il apparaît en effet dès les années 1910 (la Presse, 30 mai 1916, p. 10).

Ce n’est pas la première fois que Molson fait appel à l’histoire pour vendre ses produits. En 1931, le XVIIe siècle était à l’honneur : Louis Hébert défrichant son champ en 1620 (le Nouvelliste, 24 octobre 1931, p. 5); Lambert Closse défendant l’Hôtel-Dieu en 1652 (la Presse, 16 juin 1931, p. 21); Louis Joliet quittant Lachine en 1673 (le Progrès du Golfe, 1er mai 1931, p. 4). Chaque réclame était accompagnée de sa vignette explicative.

En 1952, la campagne publicitaire porte sur les richesses contemporaines du Québec : le titane (le Journal de Waterloo, 1er février 1952, p. 2); le tourisme (le Guide, 24 avril 1952, p. 4); les ressources naturelles (le Guide, 1er mai 1952, p. 5); le cuivre (le Petit Journal, 24 juin 1952, p. 22). La perspective n’est plus historique, mais économique.

Nos «arrière-grands-pères» — nos «arrière-grands-mères» ? — s’instruisaient en buvant. Envions-les.

P.-S.—En matière de bière, on trouvera d’autres publicités québécoises illustrées ici.

 

[Complément du 25 janvier 2023]

Autopromotion 598

Anne Caumartin, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe (édit.), Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, 2021, couverture

Les Presses de l’Université de Montréal publient, sous la direction d’Anne Caumartin, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe, un ouvrage collectif intitulé Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise. Dédié «À la mémoire de Laurent Mailhot (1931-2021)», il est disponible en plusieurs formats et en libre accès.

L’Oreille tendue y publie un texte, «Le Forum de Montréal».

Quatrième de couverture

L’originalité de cet ouvrage est de tenter de mettre en perspective une part des mythes, des emblèmes et des lieux communs de l’imaginaire collectif québécois tout en misant sur les expériences, les réflexions et les souvenirs personnels des auteurs. Ni rappel d’un glorieux passé français, ni réification d’une américanisation, ni célébration d’une historiographie ou d’une littérature savante, ni enfin apologie d’une «vraie» culture populaire, les objets qui le composent ont d’abord été retenus pour leur portée interprétative. En dehors de toute prétention à l’encyclopédisme ou à la représentativité, ils ont en commun d’offrir différentes strates de représentations. Qu’il s’agisse de tordre le cou aux mythes les plus persistants ou de ranimer certains spectres envahissants pour mieux les prendre à parti, les 26 collaborateurs ont tous joué le jeu de la relecture et de l’actualisation, conjuguant, en des proportions variables, une démarche savante et une écriture essayistique.

Table des matières

Introduction, p. 9-18

Première partie. Où ? Les espaces de la culture

«Constituer un territoire, mot à mot. Autour et à rebours du coureur des bois et de l’habitant», Michel Lacroix, p. 21-34

«L’hiver», Daniel Laforest, p. 35-47

«Colonisation. Trois récits sans futur», Micheline Cambron, p. 49-69

«La rivalité Montréal-Québec. Histoire et mémoire d’un antagonisme», Harold Bérubé, p. 71-95

«Le Forum de Montréal», Benoît Melançon, p. 97-105 — https://doi.org/1866/28556

Deuxième partie. Quand ? Les moments de la culture

«La Conquête dans la mémoire et l’imaginaire québécois», Charles-Philippe Courtois, p. 109-138

«Patriotes ou rebelles», Michel Ducharme, p. 139-158

«Les rouges», Yvan Lamonde et Jonathan Livernois, p. 159-174

«Splendeurs et misères de la “revanche des berceaux”», Denyse Baillargeon, p. 175-195

«La Grande Noirceur, ou visa le noir, tua le blanc», Julien Goyette, p. 197-213

«Le kaléidoscope de la mémoire d’Octobre», Jean-Philippe Warren, p. 215-229

Troisième partie. Qui ? Les figures de la culture

«Nous autres, ou l’Autre en nous. Échos de la parole autochtone au Québec», Catherine Broué et Marie-Pier Tremblay Dextras, p. 233-255

«Les porteurs d’eau», Vincent Lambert, p. 257-271

«“C’est pas l’anglais qui vous fait peur”.  L’antagonisme anglais dans l’imaginaire québécois», Martine-Emmanuelle Lapointe, p. 273-286

«La mère de tous les maux. Le mythe du matriarcat au Québec», Karine Hébert, p. 287-305

«Les vestiges d’un passé catholique», Karine Cellard, p. 307-329

«De l’utilité des “maudits Français”. Une histoire d’amour vache et de bouc émissaire», Élisabeth Haghebaert, p. 331-356

Quatrième partie. Quoi ? Les objets de la culture

«Entre parler (le bon) français et parler joual», Chantal Bouchard, p. 359-369

«Le butin du cortège triomphal. Le patrimoine de la migration», Martin Pâquet, p. 371-395

«Un héritage problématique. La mémoire de la religion», Mathieu Bélisle, p. 397-412

«Les “grands romans québécois”», Élisabeth Nardout-Lafarge avec la collaboration de Chloé Savoie-Bernard, p. 413-433

«La fatigue culturelle», Michel Biron, p. 435-457

 

Référence

Caumartin, Anne, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe (édit.), Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2021, 461 p. Ill.

Le Rocket et le prince

La reine Élisabeth II, le prince Philip, le gouverneur général Vincent Massey, Lucille et Maurice Richard, 1959, Rideau Hall, Ottawa

Philip Mountbatten, duc d’Édimbourg, est mort aujourd’hui. Quel lien peut-il bien avoir avec Maurice «Le Rocket» Richard, le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal — c’est du hockey ? Leurs chemins se sont croisés à quelques reprises.

La future reine du Canada, Élisabeth, et son mari, ledit prince Philip, assistent à un match des Canadiens le 29 octobre 1951, au Forum de Montréal. Ils verront Richard marquer deux buts, ses 298e et 299e. Selon Jean-Marie Pellerin (1976, p. 172), le prince aurait alors adressé ces mots à l’ailier droit : «Nice going, Rocket» (Bien joué, Rocket). L’année suivante, le Rocket enverra au couple royal la rondelle de son 325e but (p. 201).

Richard rencontrera le couple devenu royal en 1959. D’après Robert Rumilly (1978, vol. 2, p. 697), le 24 juin, le yacht royal Britannia accoste à Montréal et un dîner est organisé à bord, auquel participent le maire de Montréal Sarto Fournier, le quart-arrière des Alouettes Sam Etcheverry et Maurice Richard — les deux sportifs avaient auparavant participé au défilé de la Saint-Jean. (Une recherche très rapide dans les journaux de l’époque ne permet pas de confirmer les dires de Rumilly.) Le 1er juillet, à Rideau Hall, rebelote : le prince et le scoreur «parlèrent évidemment de hockey, pendant que Mme Richard et la reine parlaient de leurs enfants et leur éducation», dixit Jean-Marie Pellerin (p. 456).

Le prince Philip, en 1999, se souviendra du match de 1951 quand, sur papier à en-tête de Buckingham Palace, il félicitera publiquement le Rocket au moment du dévoilement de la télésérie Maurice Richard.

Tous les chemins mènent au Rocket.

 

Références

Maurice Richard. Histoire d’un Canadien / The Maurice Rocket Richard Story, docudrame de quatre heures en deux parties, 1999 : 1921; 1951. Réalisation : Jean-Claude Lord et Pauline Payette. Production : L’information essentielle.

Pellerin, Jean-Marie, l’Idole d’un peuple. Maurice Richard, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 517 p. Ill. Rééd. : Maurice Richard. L’idole d’un peuple, Montréal, Éditions Trustar, 1998, 570 p. Ill.

Rumilly, Robert, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, coll. «Bibliothèque canadienne-française. Histoire et documents», 1978, 2 vol. : tome I (1890-1944), 720 p.; tome 2 (1944-1959), 747 p. Ill.