Le mythe : se tromper et avoir raison

I.

Soit le poème «44» de Trivialités de Michel Beaulieu (2001) :

il finirait bien par déménager
quoiqu’il advienne et Maurice Richard
le tout premier de mes samedis soirs
blessé me forçait à voir Elmer Lach
dont j’obtiendrais l’autographe à la plage
l’été suivant compter le but gagnant
puis s’immortaliser dans les séries
en deuxième surtemps de la septième
sur une passe de son ailier droit
une photo montre Milt Schmidt assis
sur la glace et les bâtons des deux joueurs
en forme de V tandis qu’ils s’étreignent

Le but décrit par le poète, celui des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, a été marqué par Elmer Lach (oui), sur une passe de Maurice Richard (oui), devant un Milt Schmidt effondré (oui), durant les séries éliminatoires (oui), en prolongation (oui). C’est le but gagnant (oui), contre les Bruins de Boston, le 16 avril 1953. Les bâtons de Lach et Richard forment un V (oui); l’atteste une photo célèbre prise par Roger Saint-Jean.

Elmer Lach et Maurice Richard, photographie par Roger Saint-Jean, la Presse, 16 avril 1953

Le poète a toutefois tort. Cela se passait dans le cinquième match (pas le septième) et au début de la première période de prolongation, le «surtemps» (pas la deuxième).

II.

Dans le film Histoires d’hiver de François Bouvier (1998), un oncle raconte à son neveu un but marqué par Maurice Richard le 8 avril 1952 contre les Bruins de Boston, «un des plus beaux jeux qui s’est jamais vus dans l’histoire des séries de la couple Stanley». Il affirme que le match s’est terminé 2 à 1 en faveur des Canadiens contre les Bruins de Boston.

Maurice Richard a marqué ce soir-là (oui) un but devenu légendaire. C’était pendant les séries éliminatoires (oui).

L’oncle a toutefois tort. Maurice Richard a marqué le 2e but de son équipe contre le gardien Jim «Sugar» Henry et le match s’est terminé 3 à 1.

III.

Stéphane Laporte, le chroniqueur de la Presse, livre ses souvenirs du célèbre ailier droit des Canadiens le 15 mars 1998 sous le titre «Mes oncles et Maurice Richard».

Que disent ces oncles ?

«— Une fois Stéphane, le Rocket y’avait passé la journée à déménager des gros meubles. Pis y’était tellement épuisé rendu au soir qu’il a demandé à son coach de ne pas le faire jouer. Mais son coach l’a fait jouer pareil. Et Maurice a compté cinq buts ! Pas deux, pas trois, pas quatre… cinq buts ! Pis Michel Normandin lui a donné les trois étoiles à lui tout seul !
— Ben non Jacques, c’est pas Normandin qui lui a donné les trois étoiles, c’est Lecavalier !
— Voyons Yvan, oussé que tu t’en vas avec ton Lecavalier, c’est Normandin…»
Je me permets d’interrompre mes deux oncles :
«— C’est ni l’un ni l’autre, c’est Charlie Mayer !
— Ben oui, t’as raison ! Comment ça se fait que tu sais ça toi, le p’tit bout ?
— Je l’ai lu dans un de mes livres !»

Le 28 décembre 1944, après une journée de déménagement (oui), Maurice Richard a marqué cinq buts (oui) contre les Red Wings de Detroit dans une victoire de 9 à 1. Charlie Mayer a nommé Maurice Richard première, deuxième et troisième étoile d’un match (oui).

Stéphane Laporte a toutefois tort. Ce n’est pas le 28 décembre que Maurice Richard a reçu les trois étoiles d’un match; c’est le 23 mars de la même année, à la suite de la victoire de son équipe, 5 à 1, contre les Maple Leafs de Toronto.

***

Sur le plan factuel, Michel Beaulieu, François Bouvier et Stéphane Laporte ont tort. Ce qu’ils racontent avec assurance est faux.

Pourtant, ils ont raison, en quelque sorte. Maurice Richard est un mythe; tous les discours sur lui sont vrais.

Sans croyance, pas de mythe.

P.-S.—L’Oreille tendue a consacré tout un livre à ces questions, les Yeux de Maurice Richard (2006).

P.-P.-S.—Les exégètes ne s’entendent pas sur le nom de celui qui a décerné les étoiles du match à Maurice Richard le 23 mars 1944. Outre les noms mentionnés par les oncles de Stéphane Laporte, il y a aussi ceux de Foster Hewitt et d’Elmer Ferguson. Paul Daoust, en 2006, parle même d’un tandem Charles Mayer / Elmer Ferguson (p. 25). L’Oreille ne saurait trancher.

P.-P.-P.-S.—L’exposition «La rue Sainte-Catherine fait la une» du musée Pointe-à-Callière (7 décembre 2010 au 24 avril 2011) entretenait la même confusion : «5 buts et 3 passes en un seul match; il obtient les 3 étoiles de la rencontre !».

 

Références

Beaulieu, Michel, Trivialités, Montréal, Éditions du Noroît, 2001, [s.p]. Ill. Préface de Guy Cloutier.

Daoust, Paul, Maurice Richard. Le mythe québécois aux 626 rondelles, Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2006, 301 p. Ill.

Laporte, Stéphane, «Mes oncles et Maurice Richard», la Presse, 15 mars 1998, p. A5. Repris dans la Presse, 28 mai 2000, p. A8, dans Stéphane Laporte, Chroniques du dimanche, Montréal, La Presse, 2003, p. 23-26 et dans Alain de Repentigny, Maurice Richard, Montréal, Éditions La Presse, coll. «Passions», 2005, p. 9-11.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

F comme Canadiens

L’Oreille tendue, il y a bientôt deux ans, présentait une conférence à l’Université d’Ottawa. Son titre : «Flambeau, fantômes du Forum, famille : les filiations des Flying Frenchmen». (Oui, c’est une allitération.)

Il y était question d’un certain nombre des lieux communs entourant la transmission culturelle des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, notamment des fantômes qui aideraient l’équipe dans les moments les plus inattendus et du flambeau que ses joueurs se passent de génération en génération (voir ici et ).

Dans Alex et les fantômes (2009), le court métrage d’animation d’Éric Warin, il n’y a pas de flambeau, mais des Français volants, des fantômes et de la filiation, si.

Papi, le grand-père d’Alex, le «placier porte-bonheur» de l’ancien Forum de Montréal (où ont longtemps joué les Canadiens), est mort, mais son fantôme et ceux des grands joueurs de l’équipe (Howie Morenz, Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur) s’unissent pour lui offrir une soirée de rêve.

 


P.-S.—La filiation sportive est affaire masculine : un fils, son père, son grand-père. Le monde d’Alex et les fantômes est un monde sans femme.

P.-P.-S.—L’Oreille ne s’y fera jamais : parmi les fantômes du Forum, il y a des morts (Morenz, Richard) et des vivants (Béliveau, Lafleur). Des fantômes de vivants ?

P.-P.-P.-S.—Si ses oreilles ne la trompent pas, elle entend, dans la bouche du père d’Alex (il s’agit de la voix du comédien Marc Messier), un «une nouvelle endroit» du plus mauvais effet.

P.-P.-P.-P.-S.—Les Canadiens de Montréal seraient bien malvenus de se plaindre de la publicité (gratuite ?) que leur fait ce court métrage. Le tricolore est dans chaque plan.

 

[Complément du 11 février 2022]

L’Oreille tendue, depuis, a publié un texte inspiré de sa conférence d’Ottawa :

Melançon, Benoît, «Le Forum de Montréal», dans Anne Caumartin, Julien Goyette, Karine Hébert et Martine-Emmanuelle Lapointe (édit.), Je me souviens, j’imagine. Essais historiques et littéraires sur la culture québécoise, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Champ libre», 2021, p. 97-105. https://doi.org/1866/28556

La voix du hockey

En 1979, Roch Carrier publie un conte qui deviendra un classique canadien.

Dans «Une abominable feuille d’érable sur la glace», tous se liguent contre le narrateur, des autres enfants au vicaire-arbitre, simplement parce que, à la suite d’une erreur de la maison Eaton’s, il se voit forcé d’endosser le maillot honni des Maple Leafs de Toronto devant neuf incarnations du joueur de hockey mythique des Canadiens de Montréal, Maurice Richard.

Le texte est devenu tellement célèbre que son incipit, dans les deux langues officielles, orne les billets de banque de cinq dollars de la Monnaie royale canadienne :

Les hivers de mon enfance étaient des saisons longues, longues. Nous vivions en trois lieux : l’école, l’église et la patinoire; mais la vraie vie était sur la patinoire.
Roch Carrier
The winters of my childhood were long, long seasons. We lived in three places — the school, the church and the skating-rink — but our real life was on the skating-rink.

En 1980, l’Office national du film du Canada tire de ce conte, désormais baptisé «Le chandail de hockey», un court métrage d’animation réalisé par Sheldon Cohen. (On peut le voir sur le site de l’ONF.) C’est l’auteur lui-même qui en assure la narration.

Si ses oreilles ne trompent pas l’Oreille tendue, c’est le même Roch Carrier qui assure, dans sa version française, la narration d’une publicité télévisée de Canadian Tire diffusée ces jours-ci. L’objectif de cette publicité est de remercier ceux qui rendent le hockey possible au Canada (joueurs, parents, bénévoles) et de préparer les spectateurs à la tenue des jeux Olympiques d’hiver de 2014.

On pourrait se réjouir qu’un écrivain soit sollicité pour ce genre d’activité. On est toutefois obligé de tempérer son ardeur (littéraire et hockeyistique) quand on entend le narrateur utiliser un anglicisme gros comme un équipement de gardien de but, «levée de fonds» (pour «campagne de financement»). C’est bien la preuve que les écrivains n’ont pas le monopole de la correction linguistique.

P.-S. — Pierre Houde, le descripteur des matchs de hockey à la télévision du Réseau des sports, aime répéter que le prénom de Jonathan Toews, le brillant joueur de centre des Blackhawks de Chicago, doit se prononcer Jonathan, à la française, et non Djonathane, à l’anglaise, sa francophone de mère y tenant mordicus. Or Roch Carrier, au début de la publicité, nomme le joueur Djonathane. Sa mère ne sera pas contente.

 

Référence

Carrier, Roch, «Une abominable feuille d’érable sur la glace», dans les Enfants du bonhomme dans la lune, Montréal, Stanké, 1979, p. 75-81. Pour les autres éditions et adaptations, voir ici.

Guy Lafleur, gourou

Yves Tremblay, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, 2013, couverture

Guy Lafleur, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, a fait couler beaucoup d’encre. Biographes, journalistes, paroliers, dramaturges, romanciers, poètes, nouvellistes ont écrit sur lui. L’Oreille tendue elle-même ne s’est pas gênée pour parler du «Démon blond»; voir ici et .

L’automne 2013 a donné lieu à deux nouvelles publications : Guy Lafleur. La légende, de Pierre-Yvon Pelletier, que l’Oreille n’a pas encore lu, et Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, d’Yves Tremblay.

L’amateur de hockey n’apprendra pas grand-chose dans le livre de Tremblay, cette hagiographie rédigée par un ami de Guy Lafleur — ami qui emploie Lafleur comme porte-parole publicitaire.

L’ouvrage brosse un portrait de Lafleur en apôtre de la pensée «positive». Lafleur aurait traversé des difficultés hors de la glace — aucune n’est décrite dans l’ouvrage, alors que les journaux ont beaucoup parlé des épreuves familiales que le mari et le père a traversées au fil des ans —, mais il s’en serait sorti grâce à son attitude. En résumé :

Plus que des souvenirs, ce livre intemporel et unique, autorisé par Guy Lafleur, deviendra une source de motivation pour tous, jeunes et moins jeunes (quatrième de couverture);

Vingt-cinq ans après ce retour tant médiatisé de la superstar, Yves [l’auteur parle alors de lui-même à la troisième personne du singulier] se rappelle cette expérience de vie et, avec le recul, il constate pour la première fois que parmi tous ceux qu’il a côtoyés, la vie professionnelle de Guy Lafleur, devenu lui-même une pure légende, est une application «vivante» et «positive», et le modèle par excellence des principes des plus grands théoriciens de l’épanouissement personnel et du succès, tels que Napoleon Hill, Anthony Robbins, Jack Canfield, Dale Carnegie, Joseph Murphy et compagnie (p. 208).

Guy Lafleur et la croissance personnelle : même combat.

 

Références

Pelletier, Pierre-Yvon, Guy Lafleur, la légende. L’album photo du démon blond, Montréal, Editions de l’Homme, 2013, 206 p. Ill.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

L’Oreille tendue souhaite vous tâter…

…en tout bien tout honneur.

Au printemps 2013, du premier au dernier jour des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey, l’Oreille a publié ici même les 57 entrées d’un «Dictionnaire des séries». Il y était question, jour après jour, match après match, de la langue du hockey.

En février 2014, ces textes, revus et augmentés, accompagnés de quelques inédits, présentés dans un nouvel ordre, paraîtront à Montréal chez Del Busso éditeur. L’ouvrage à paraître sera généreusement illustré.

L’Oreille a proposé à son éditeur et néanmoins ami, Antoine Del Busso, le titre suivant : Petit lexique illustré à l’usage de l’amateur de notre beau sport national, titre qui a reçu son aval.

Puis, un jour, hésitation éditoriale. En effet, l’Oreille ayant intitulé, sans trop y réfléchir, un de ses courriels «Langue de puck», l’éditeur a été séduit par la formule, au point de se demander s’il ne tenait pas là un meilleur titre de livre que Petit lexique illustré à l’usage de l’amateur de notre beau sport national.

Qu’en pensent les bénéficiaires de l’Oreille tendue ? Quel titre préfèrent-ils ?

Langue de puck ?

Petit lexique illustré à l’usage de l’amateur de notre beau sport national ?

Langue de puck. Petit lexique illustré à l’usage de l’amateur de notre beau sport national ?

Autre chose ?

Elle et lui vous remercient à l’avance.

P.-S. — On ne confondra évidemment pas poque et puck.

 

[Complément du 29 janvier 2014]

Finalement, ce sera Langue de puck. Abécédaire du hockey et ça paraîtra au début de mars. (Pourquoi ce changement de sous-titre ? Le premier — Petit lexique illustré à l’usage de l’amateur de notre beau sport national — correspondait parfaitement au graphisme initial de l’ouvrage. Ce graphisme ayant complètement changé, Abécédaire du hockey fait mieux l’affaire.)

Ci-dessous, une première maquette de la couverture.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)