«C’est quoi le problème ?» (Hockey de rue, p. 108)
On monte d’un cran quand l’interlocuteur est visé.
«C’est quoi ton problème ? demanda Anou en enfilant son chandail» (Meurtres sur la côte, p. 149).
L’ajout d’un juron rend la menace plus nette.
«C’est quoi ton estie de problème ?» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 237)
Dans ces exemples, le / ton problème ? est une interrogation purement rhétorique : il ne s’agit ni de s’enquérir ni de compatir, mais de faire taire — avec des degrés d’intensité divers.
—J’ai déjà dit que je ne voulais pas vous voir fourrer le chien par ici, a-t-il aboyé.
—Je ne… fourre pas le chien.
Je ne savais pas ce que l’expression voulait dire, sinon que c’était quelque chose que Rigger n’aimait pas (Hockey de rue, p. 150).
Ça prend juste un bâtard comme toi pour venir fucker l’chien (les Corpuscules de Krause, p. 189).
Qu’en est-il donc de ce chien, qu’on fourre ou qu’on fucke (prononcé phoque) ?
Dans le premier texte, fourrer le chien signifie glander, ne rien faire — loafer (verbe intransitif du premier groupe, prononcé lôfer), aurait-on dit à une autre époque.
Dans le suivant, il s’agit plutôt de compliquer une situation, de la faire se détériorer; cet emploi est péjoratif. Qui fucke le chien, donc, fout le bordel ou fait merder. (Cette deuxième acception, du moins aux oreilles de l’Oreille, paraît moins commune que la première.)
Un forum de discussion sur Internet — merci à @LucGauvreau — évoque une troisième signification : avoir de la difficulté. Il y est question de «fuckage de chien» et de «fuckage de canidés».
Ces tentatives de définition laissent deux questions ouvertes.
D’où une telle expression peut-elle bien venir ? Comme dans d’autres cas, il vaut peut-être mieux ne pas se poser la question, histoire de ne pas se représenter l’affaire.
Le bon usage recommande-t-il fourrer (comme dans la traduction du roman de David Skuy par Laurent Chabin) ou fucker le chien (ainsi que l’écrit Gordon) ? Le débat a récemment occupé Twitter.
L’Oreille a souvenir d’avoir entendu les deux verbes. Forcée d’utiliser l’expression, elle choisirait le second.
En Outaouais, c’est moins clair. Pour @catherine_pj, il faut fucker, mais, selon @iericksen, dans «le nord de l’Outaouais», ce serait fourrer. Commentaire de @PimpetteDunoyer : «Va falloir que vous fixiez la ligne de partage ;-).»
Histoire de compliquer les choses, @AMBeaudoinB connaît au moins une région où on fucke la chienne.
Avant Twitter, en 1980, dans son Dictionnaire de la langue québécoise, aux articles «chien» et «fourrer», Léandre Bergeron retient fourrer (p. 128 et 233). L’année suivante, dans son Supplément, voilà «Foquer l’chien» (p. 102). On voit aussi apparaître «Fourreur de chien» («n.m. — Sobriquet donné au contremaître dans les chantiers. — Paresseux», p. 103). Nulle trace, cependant, du foqueur de chien.
Qui fixera l’usage ? Qui sera le Vaugelas de la copulation canine ? En attendant, cela fait désordre.
[Complément du 19 janvier 2015]
C’est Victor-Lévy Beaulieu qui a publié il y a plus de trente ans les dictionnaires de Bergeron. Le 31 décembre 2014, histoire de finir l’année en beauté, le quotidien le Devoir reproduisait un texte tiré de la page Facebook de Beaulieu sous le titre «Ce désastre qu’est devenu notre langue». Son dernier paragraphe était le suivant : «Tout cela pour vous dire que dorénavant, j’éliminerai systématiquement de ma page toutes celles et tous ceux-là que je considère comme les assassins de notre langue, donc du pays à faire venir. Que toutes celles et tous ceux-là aillent foquer le chien avec des pareils à eux-mêmes !» (p. A7) Manifestement, foquer le chien ne fait pas partie des vœux de bonne année de VLB à ses lecteurs.
[Complément du 19 mai 2018]
En chanson, fucker le chien se trouve dans «Mon pays» (interprétation : Robert Charlebois; paroles : Réjean Ducharme). C’est un reproche.
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.
Le Québec se voulait la capitale des capitales. Cela n’empêche pas d’autres lieux de se croire plus gros que le bœuf.
La Finlande : «Helsinki, capitale du bonheur» (Radio-Canada, 28 février 2012).
La France : «Soupçonnée de cannibaliser les subventions, l’opération “capitale culturelle” entend rassurer ses accusateurs» (le Monde, 19 mars 2011, p. 27). Il est question de Marseille.
L’Alberta : Drumheller serait la «“capitale canadienne des dinosaures”» (Mensonges et dinosaures, p. 18).
La Colombie-Britannique : «Vancouver, capitale piétonnière» (Radio-Canada, 4 avril 2012).
L’Allemagne : «Métropole capitale. Berlin explose» (la Presse, 24 mars 2012, cahier Arts, p. 1).
L’Australie : «Au cœur de la capitale des opales» (le Devoir, 31 avril-1er mai 2012, p. D1).
En matière de capitalisation, nous ne sommes plus seuls. Il y a toutefois de l’espoir : «Montréal a peut-être encore deux ou trois choses à envier aux autres métropoles culturelles, mais plus pour très longtemps» (la Presse, 24 mars 2012, cahier Arts, p. 8).
On grandit, et on s’imagine que les mots de son enfance disparaissent avec elle. On est convaincu que poche était sorti de l’usage, et on se trompe. On croyait nono désuet, et on se trompe encore.
Nono ? Le mot, substantif ou épithète, s’inscrit dans une série de termes désignant une forme, plus ou moins bénigne, de bêtise : deux de pique, épais, gnochon, gueurlo, insignifiant, moron, snôro, tarla, toton, twit — pour ne retenir que ceux-là. En 1980, Léandre Bergeron le définissait d’un synonyme : «Imbécile» (p. 337). C’est un brin trop fort.
Est nono qui est victime de sa nounounerie : «Tâchons de nous réjouir sans sombrer dans la nounounerie» (la Presse, 19 novembre 2003). La compagne du nono est généralement la nounoune, même si Gaston Dulong préfère la nonote (Dictionnaire des canadianismes, éd. de 1999, p. 352).
Où trouve-t-on le mot nono aujourd’hui ?
Dans les titres de presse : «Téléphone intelligent pour conducteur nono» (la Presse, 7 mars 2011, cahier L’auto, p. 18).
À la télévision : l’excellent blogue OffQc | Quebec French Guide en relevait récemment une occurrence dans la série les Parent.
Chez les traducteurs : «Pas le moustique, nono, dit Sim» (Terreur au camp de hockey, p. 27); «C’est pas les lunettes, nono !» (Complot sous le soleil, p. 68).
Sous la plume du chroniqueur de la Presse Pierre Foglia, qui est friand du mot. Un seul exemple, où il parle de son collègue Yves Boisvert : «il s’était fait offrir un repas par M. Accurso et [il] avait refusé, le nono» (la Presse, 20 décembre 2011, p. A8).
Bref, l’Oreille était nonote d’avoir cru à l’obsolescence du mot nono.
Ces jours-ci, nono reprend du galon, si tant est qu’il en ait jamais perdu, grâce au premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Celui-ci a traité les membres d’un groupuscule québécois d’extrême droite, La Meute, de «nonos qui se promènent avec les pattes de chiens sur le t-shirt». Ce n’est pas la première fois que la langue de Justin Trudeau attire l’attention.
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.
Dulong, Gaston, Dictionnaire des canadianismes, Sillery (Québec), Septentrion, 1999, xix/549 p. Nouvelle édition revue et augmentée.
MacGregor, Roy, Complot sous le soleil, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 6, 2001, 148 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1997.
MacGregor, Roy, Terreur au camp de hockey, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 4, 1999, 142 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1997.
«Il tourna la tête pour scruter la rue, son visage ressemblait à une carapace de crabe, rouge et luisante, qu’on aurait fichée sur un vieux manteau usé et des épaules tombantes. Au milieu de l’animal, un nez crochu comme une pince de crustacé et deux yeux minuscules, retranchés au fond d’un entonnoir de rides.
[…]
Quel âge est-ce qu’il pouvait avoir ? Avec les cheveux blancs qui lui jaillissaient des oreilles et les pattes d’oie qui lui bouffaient la moitié du visage, je lui aurais donné cent ans ou presque. Quoique. Après le coup du crachat et à sentir son odeur de vieux fauve en fin de chasse, je ne lui aurais rien donné du tout. Pas même prêté, à vrai dire. Un bon bain chaud, à la limite, mais sans garantir l’état de la baignoire à la fin de l’opération. Il avait une véritable tête de crapule et des ongles d’oiseau de proie, aussi longs qu’ils étaient noirs et pointus. Le genre d’homme au long cours dont l’existence n’avait pas dû couler paisiblement.»