Le zeugme du dimanche matin et de Christian Desmeules

«N’étant jamais retourné depuis dix ans à La Frayère, François Bouge, petit-fils de Monti, sentant l’urgence et une migraine “lui monter dans les sinus comme de la chair à saucisse”, décide de quitter précipitamment Montréal pour rendre visite à sa famille en Gaspésie.»

Christian Desmeules, «Un premier roman magistral de Christophe Bernard», le Devoir, 14-15 octobre 2017, p. F2.

 

[Complément du 29 mars 2023]

Le Christophe Bernard dont parle Christian Desmeules est, il est vrai, fort friand de zeugmes. Voir un relevé bien partiel ici.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Sainte flanelle : récit d’origine

La flanelle de la sainte flanelle

«Mais le tissu social de Montréal
C’est de la sainte flanelle»
(Loco Locass, «Le but», chanson, 2009)

 

 

Comment désigner les Canadiens de Montréal — c’est du hockey ?

Dans son Langue de puck. Abécédaire du hockey (2014, p. 85-86), l’Oreille tendue rappelait l’existence des possibilités suivantes : le Canadien de Montréal, le CH (comme sur l’écusson du Club de hockey Canadien), les Habitants, les Habs, le Bleu blanc rouge, le Tricolore, les Glorieux, les Flying Frenchmen, voire l’Organisation. Et il y a la sainte flanelle.

Exemples :

«La Sainte Flanelle, une entreprise qui éprouve des problèmes de productivité» (le Devoir, 11 avril 2012).

«Les habitants se contaient des histoires et chantaient des chansons pour ne pas se décourager et geler tout rond; ils faisaient brûler des lampions en invoquant et en priant sainte flanelle, patronne tricolore des pures laines et des tricotés serré, pour qu’elle les réchauffe et allume leurs lanternes» (Jocelyn Bérubé, 2003, p. 30).

«Pendant qu’son corps partait au cimetière
Pour le grand repos éternel
Son âme retraitait au vestiaire
Pour enfiler la Sainte-Flanelle»
(Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», chanson, 2008)

«Jeu-questionnaire. Connaissez-vous votre flanelle ?» (la Presse+, 26 décembre 2015)

On voit plusieurs graphies de cette expression : sainte flanelle, Sainte Flanelle, Sainte flanelle, Sainte-flanelle, Sainte-Flanelle, flanelle et Flanelle. Ça fait désordre. Suivons Annie Bourret qui, dans Pour l’amour du français (1999, p. 143), recommande la graphie sainte flanelle.

Mais depuis quand parle-t-on de sainte flanelle pour désigner l’équipe montréalaise ? La récente mise en ligne, par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, des archives du journal la Presse (1920-2013) permet d’offrir une première proposition de datation. Le 7 novembre 1975 (cahier Sports, p. B2), le journaliste Réjean Tremblay parle de «sainte flanelle rouge». Ce semble être la première attestation écrite. Un lieu commun était né.

 

Références

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bourret, Annie, Pour l’amour du français, Montréal, Leméac, 1999, 199 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Accouplements 97

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Le Devoir est un quotidien qui aime la diversité des points de vue. La preuve en est donnée dans l’édition des 2-3 septembre 2017.

Dominic Tardif, «Poésie. La tendresse des mots sur les douleurs du présent», p. F2.

«Notre époque serait celle du “je” tout-puissant, se plaisent à répéter les sociologues à la gomme et autres chroniqueurs du dimanche.»

Fabien Deglise, «Essai québécois. Des essais pour poursuivre la réflexion sur le monde autour de nous», p. F8.

«À l’ère de l’affirmation ostentatoire du “je”, il est illusoire de se croire seul au monde, et encore plus dans une époque mouvante où les décisions individuelles, tout comme les inactions de chacun, ont des conséquences ressenties par tous.»

Proposition de moratoire du lundi

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de parler de l’expression Révolution tranquille; c’était ici. Est-elle appréciée au Québec ? Beaucoup trop.

«Révolution tranquille en création musicale» (le Devoir, 3-4 juin 2017, p. E4).

«La révolution tranquille de Terry Riley» (le Devoir, 13-14 mai 2017, p. E3).

«Révolution tranquille dans le secteur de l’énergie» (la Presse+, 11 juin 2016).

«Cuba à l’aube d’une autre révolution, tranquille celle-là» (le Devoir, 7 janvier 2015, p. B1).

«Pour une Révolution tranquille de la rémunération globale du secteur municipal» (la Presse+, 18 novembre 2014).

«Révolution tranquille dans les valeurs mobilières» (la Presse, 5 juillet 2014, cahier Affaires, p. 6).

«Une “révolution tranquille” pour Montréal» (le Devoir, 16 septembre 2013, p. A3).

«La petite Révolution tranquille. Haïti tente de convaincre les donateurs de faire cadrer l’aide internationale dans son nouveau projet de société» (la Presse, 15 janvier 2013, p. A19).

«John Parisella veut provoquer une révolution tranquille de la #philanthropie… #UdeM» (@udemnouvelles).

«La “e-révolution tranquille”, cela vous dit quelque chose ?» (le Devoir, 30 avril 2012, p. A7).

«Macky Sall, candidat de l’opposition au Sénégal. Révolutionnaire tranquille» (la Presse, 3 mars 2012, p. A26).

«Un néocolonialisme à la québécoise ? La gestion de nos richesses naturelles attend encore sa révolution tranquille dans certains secteurs» (le Devoir, 2-3 avril 2011, p. B6).

«La “Révolution tranquille” du Rwanda» (la Presse, 8 mai 2010, p. A31).

«Ottawa prépare la “révolution tranquille” des autochtones» (la Presse, 27 septembre 2006, p. A11).

«Le théâtre et sa révolution tranquille» (le Devoir, 8-9 mai 2004, p. E1).

Le moment est peut-être venu d’avoir recours à ce syntagme figé avec plus de parcimonie. Merci.