Fleurs de corruption

Première page du Devoir du 20 novembre : «Commission Charbonneau. La collusion a fleuri au temps du maire Bourque.»

Ce «maire Bourque» est l’ex-maire de Montréal, Pierre Bourque, ci-devant directeur de son Jardin botanique et grand prêtre de la non-défusion.

Son sobriquet (éminemment horticole) était «Géranium Ier».

«Géranium Ier retrouve ses racines» (la Presse, 7 juin 2003).

«Appelez-le Géranium Ier» (le Devoir, 4 mai 2005, p. A5).

«De la publicité pour “Géranium premier”» (la Presse, 4 mai 2005, p. A20).

«Les lotus de Géranium Ier» (le Devoir, 27-28 janvier 2007, p. D3).

Il n’aurait pas été normal que rien ne «fleurisse» sous son règne.

Vingt et unième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Prétérition

Définition

«Feindre de ne pas vouloir dire ce que néanmoins on dit très clairement, et souvent même avec force» (Gradus, éd. de 1980, p. 359).

Exemple

«Je ne sais quelle gêne m’empêche de dire que ça fait partie de notre culture, de nos valeurs (prétérition)» (Terre des cons, p. 71).

Synonyme

Prétermission

Remarque

Selon Bernard Dupriez, la prétérition est un «procédé paradoxal» : on dit tout en disant qu’on ne va pas dire (Gradus, éd. de 1980, p. 359). L’exemple de Terre des cons est paradoxal au carré : on dit (entre parenthèses) qu’on a dit tout en disant qu’on n’allait pas dire.

 

[Complément du 20 novembre 2012]

P.-S. — La mémoire est la faculté qui oublie. C’est le deuxième texte que l’Oreille tendue consacre à la prétérition.

 

[Complément du 16 octobre 2015]

Vu aujourd’hui sur Twitter :

Exemple de prétérition dans un tweet de Marc Cassivi, 2015

 

[Complément du 21 mars 2017]

Le président des États-Unis, Donald Trump, est un champion de la prétérition si l’on en croit @Harpers.

Série de prétéritions de Donald Trump, dans Harpers

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p.

Les zeugmes du dimanche matin et de Jean Echenoz

Jean Echenoz, 14, 2012, couverture

«Ses projets : profiter du plein soleil d’août, prendre un peu d’exercice et l’air de la campagne, sans doute lire allongé dans l’herbe puisqu’il a fixé sur son engin, sous un sandow, un volume trop massif pour son porte-bagages en fil de fer» (p. 7).

«Charles n’avait pas l’air d’avoir plus envie de parler que dans le train ni que d’habitude […]» (p. 32).

«Une fois sorti de son coma puis de ce qui tenait lieu de bloc opératoire, les yeux ouverts mais fixés sur nulle part, il lui a juste semblé sans trop savoir pourquoi, vu ces rires, qu’il devait y avoir lieu de se réjouir» (p. 84-85).

Jean Echenoz, 14. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2012, 123 p.

 

[Complément du 5 décembre 2014]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 5 décembre 2014.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le passe-partout

Alain Farah, Matamore no 29. Mœurs de province, 2008, couverture

C’est un mot universel.

On peut l’utiliser comme patronyme : «Mon poids est proportionnel, Chose !»; «Les nerfs, Chose !»; «Écoutez, Monsieur Chose»; «Ben voyons donc, Chose» (la Presse, 27 septembre 2000).

Bien qu’il n’y en ait pas de fausses, il y en a de vraies : «Le Bloc veut parler des vraies choses» (la Presse, 4 avril 2003). «On parle-tu des vraies choses ?» (la Presse, 26 novembre 2003); «Parlons des vraies choses, M. Bolduc» (la Presse, 30 septembre 2010, p. A10); «Sauf que, parfois, pour se dire les vraies choses, on a besoin d’une table avec vue imprenable sur la ville, un service impeccable et une carte raffinée» (Matamore no 29, p. 139). On aura compris que c’est la même affaire que les vraies affaires.

Comme le faisait remarquer à l’Oreille tendue une de ses antennes québecquoises, le mot entre aussi dans la composition de «superlatifs euphémiques» (ce n’est pas rien, c’est quelque chose).

On peut encore l’employer pour parler des choses de la chair, par exemple pour décrire des comportements sadomasochistes : «Après le souper, les deux ont fait des choses, puis l’homme lui a demandé d’aller prendre une douche, ce qu’elle a fait» (la Presse, 25 octobre 2012).

La popularité du mot n’est pas que québécoise. Même Jean Echenoz y a recours — mais comme seul lui peut le faire : «Laquelle [Juliette] avait trois mois, on était au début du printemps, Blanche voyait à présent bourgeonner les choses dans les arbres, quoique toujours sans le moindre oiseau, par la fenêtre sous laquelle était stationné le landau» (14, p. 69).

Que ferait-on sans chose ?

 

Références

Echenoz, Jean, 14. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2012, 123 p.

Farah, Alain, Matamore no 29. Mœurs de province, Montréal, Le Quartanier, 2008, 208 p.

Interrogations (pertinentes ?) du jeudi matin

L’Oreille tendue est ce matin d’humeur tatillonne.

Saisissant, en quelque sorte, son Petit Robert (édition numérique de 2010), elle trouve trois sens à l’adjectif pertinent.

Elle laisse de côté le premier, qui relève du droit, et le troisième, qui est affaire de linguistique, pour ne retenir que le deuxième — pas le second : «Cour. Qui convient exactement à l’objet dont il s’agit (=> approprié, vx congru, convenable). Une réflexion, une remarque pertinente. • Par ext. Qui dénote du bon sens, de la compétence. => judicieux. Une analyse, une étude pertinente.» Elle constate que les quatre exemples ne portent que sur le travail de l’esprit : réflexion, remarque, analyse, étude.

Elle s’interroge donc quand elle entend dire d’une personne qu’elle serait «pertinente».

«Hommage à Claude Meunier. Absurde et pertinent» (la Presse, 17-18 juillet 2010, p. A1).

«L’excellent et pertinent Louis-Gilles Francoeur vp du BAPE= une maudite bonne nouvelle! Bravo! #polQC» (@MFBazzo).

Encore plus quand il est question d’une chose.

«le plus pertinent disque de Jim Corcoran depuis la Tête en gigue» (le Devoir, 23 février 2005, p. C8).

«Pratique, amusante et encore pertinente» (le Devoir, 12 novembre 2012, p. B5, au sujet de la voiture Scion XB).

L’Oreille espère bien sûr que ces interrogations sont pertinentes.

 

[Complément du 26 décembre 2012]

L’adverbe pertinemment ne semble pas d’un usage plus aisé : «Il l’avait baisée à couilles rabattues, pertinemment et de tout son cœur […]» (l’Homme chauve-souris, p. 295). On voit à peu près pour «à couilles rabattues» et pour «de tout son cœur». Mais «pertinemment» ?

 

Référence

Nesbø, Jo, l’Homme chauve-souris. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 366, 2012, 473 p. Traduction d’Élisabeth Tangen et Alex Fouillet. Édition originale : 1997.