«Quitter» a quitté

Tony Accurso est un entrepreneur en construction québécois.

Depuis quelques mois, des accusations de nature diverse pèsent contre lui. Il en a marre. Il se retire de ses entreprises. Voilà ce qu’il annonçait avant-hier.

Le journal la Presse a rapidement annoncé la chose sur son site Web. Connaissant l’aversion de l’Oreille tendue pour certain usage du verbe quitter, @iericksen lui a signalé, sur Twitter, cette parution : «Un usage absolument absolu de “quitter”» (merci).

Tony Accurson «quitte»

Le journal papier d’hier matin reprenait l’information (p. A2), mais avec une modification de taille, du moins aux yeux de l’Oreille.

Tony Accurson «part»

Ce n’est pas tout. Le lien qui menait à l’article dont le titre contenait le verbe quitter mène toujours au (presque) même article, mais le titre a encore changé. C’est donc le troisième.

Tony Accurson «n’a rien volé»

On n’arrête pas le progrès.

Volière du jour

Pigeon. Contribuable hexagonal fortuné qui refuse de se faire plumer par les mesures fiscales du gouvernement socialiste de François Hollande. Niche dans Facebook et Twitter (et parfois en Belgique). Synonyme : geonpi. Exemple : «Des “pigeons” à l’assaut du gouvernement français» (la Presse, 6 octobre 2012, p. A28).

Questions (de féminisation) du jour

Imaginez que vous travaillez dans le domaine des lettres et sciences humaines.

Imaginez que vous soumettez une proposition de communication à un colloque dans votre discipline.

Imaginez que vous recevez l’accusé de réception suivant : «Seul[e]s les personnes retenues seront contactées.»

Suggérez-vous à votre interlocuteur de corriger sa phrase de la façon suivante : «Seul[e]s les person[ne]s retenu[e]s seront contacté[e]s» ?

Avez-vous une autre réponse à lui adresser ?

Acceptez-vous malgré de tout de participer au colloque ?

À vous.

Le point de vue de Pluton

Pendant les grèves étudiantes du printemps 2012, une policière du Service de police de la ville de Montréal, Stéphanie Stéfanie Trudeau, alias «Matricule 728», s’est rendue célèbre par ses interventions auprès de certains manifestants. Ces gestes avaient été suffisamment répréhensibles pour que ses supérieurs la retirent des équipes présentes lors des autres manifestations.

Son nom vient de revenir dans l’actualité, à la suite d’une intervention musclée, pour utiliser un euphémisme, le 2 octobre, à Montréal. Comme le dit la policière elle-même : elle a «sauté [sa] coche». C’est la télévision de Radio-Canada qui révélait l’affaire hier (voir et, surtout, entendre le reportage ici). Depuis, c’est le sujet de l’heure sur les médias dits «sociaux»; voir par exemple le Tumblr matricule728fordummies (matricule728pourlesnuls).

Il y aurait beaucoup à dire de cette intervention et de la réaction de l’employeur de Stéfanie Trudeau. Arrêtons-nous sur la langue qu’elle utilise.

Son répertoire de jurons est étendu : criss, tabarnak, câlisse. Son favori est estie / ostie : «osties de carrés rouges», «esties de sans cœur», «estie de cave», «estie de taouin», «esti d’trou d’cul», «estie de conne qui a pas rapport», «estie de graines de cave».

Elle ne manque ni d’insultes ni d’invectives : «rats», «artisses», «mangeux d’marde», «crottés», «ta yeule», «fais un homme de toué». L’ancien premier ministre du Québec Maurice Duplessis en avait contre les «joueurs de piano»; «Matricule 728» s’en prend aux «gratteux de guitare». Autres temps, autres mœurs.

La plus étrange de ces insultes est sûrement «Plateaunienne du nowhere».

«Plateaunienne» est un néologisme, mais il n’est pas propre à la policière; on en trouve plusieurs exemples grâce à Google. Il désigne une habitante d’un quartier montréalais, le Plateau Mont-Royal. Il semble être construit sur le modèle de «plutonienne» («Relatif à Pluton», dit le Petit Robert, édition numérique de 2010). Pour Stéfanie Trudeau, le Plateau, c’est une autre planète.

Pour «nowhere» («nulle part»), c’est plus compliqué. Comment peut-on être à la fois de quelque part (le Plateau) et de nulle part (nowhere) ?

Il est vrai qu’à écouter parler Stéfanie Trudeau on peut se demander sur quelle planète nous vivons.

Plateaunienne du nowhere
Merci à Iannik Marcil

 

[Complément du 27 novembre 2012]

Citation tirée du site lapresse.ca du jour, au sujet d’un film dont Stéfanie Trudeau vient d’interdire la diffusion, 728 agente XXX : «Outre le retrait du film, Mme Trudeau réclame 100 000 $ pour atteinte à son image et mauvaise foi. Elle signale qu’elle n’a jamais été consultée et n’a jamais consenti à l’utilisation de son image ou de ses caractéristiques. Surtout dans le cas présent, alors que son image est associée à la pornographie. Elle reproche à l’actrice principale et aux producteurs du film d’avoir utilisé une femme vêtue d’un uniforme de police avec l’insigne 728, d’avoir repris son langage et certaines de ses expressions, de même que certains de ses gestes, notamment avec une matraque, le poivre de Cayenne, et lors d’une arrestation, et cela hors contexte» (l’Oreille souligne).

Voilà un film qui donne un sens nouveau à la phrase «Arrêtons-nous sur la langue qu’elle utilise.»

 

[Complément du 16 juillet 2014]

Stéfanie Trudeau devait comparaître hier au palais de justice de Montréal. Cela n’a finalement pas eu lieu, ainsi que le rapporte Annabelle Blais dans la Presse+ d’aujourd’hui. La journaliste parle de «platoniciens du nowhere» plutôt que de «Plateaunienne». C’est prêter bien de la philosophie au Matricule 728.

 

[Complément du 28 août 2015]

Pour la rentrée «littéraire», on annonce, dans la catégorie des «Biographies étrangères» («étranges» ?), un livre de Stéfanie Trudeau, cosigné avec Bernard Tétrault, Matricule 728. Servir et se faire salir. Mon histoire (Ada, 2015). Sera-t-il écrit dans cette riche langue ?

Matricule 728. Servir et se faire salir. Mon histoire (Ada, 2015)

 

[Complément du 20 janvier 2017]

Le romancier Patrick Senécal n’a pas été insensible au Printemps érable dans les quatre ouvrages de sa série Malphas, surtout dans le quatrième, Grande liquidation. Il n’a pas été insensible non plus au vocabulaire de Matricule 728, puisqu’il fait dire ceci au directeur de la police de la petite ville de Saint-Trailouin : «La police vient d’arriver, elle va disperser tous ces osties de pouilleux de mangeux de marde de gratteux de guitare dans deux minutes» (p. 537).

 

Référence

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.