Langue de campagne (15)

Les chefs politiques québécois ont-ils le sens de la formule qui fait mouche et qui marque les consciences ? Dont les auditeurs — en l’occurrence ceux des débats télévisés d’août 2012 au Québec — vont se souvenir ?

Guère.

François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, le soir du 19 août, a lancé un «Pendant que les Québécois marchent, les autres courent» bien senti, et il l’a répété.

Le même soir, Françoise David, de Québec solidaire, a eu une fort piquante réplique pour le premier ministre et chef du Parti libéral : «À votre place, Monsieur Charest, je ne fanfaronnerais pas.» N’ayant pas été invitée aux face-à-face des jours suivants, elle n’a pas eu l’occasion de la marteler.

Il faut probablement être épistologue, comme l’Oreille tendue, pour apprécier l’accusation de Pauline Marois, du Parti québécois, envers le même Jean Charest : «On pratique, chez Monsieur Charest, le fédéralisme de correspondance.» L’actuel premier ministre provincial aimerait bien écrire à ses homologues fédéraux, qui ne lui répondraient pas. Joli.

Pour la phrase qui tue, donc, on repassera.

P.-S. — L’Oreille tendue s’en voudrait de ne pas souligner le franc-parler de Catherine Dorion, la candidate d’Option nationale dans la circonscription de Taschereau. Que dit-elle de la plateforme de son parti ? Que c’est «la plus bandante». Rien de moins.

Langue de campagne (14)

Il y a des mots neutres, sur lesquels tout le monde s’entend : candidat, circonscription, droit de vote.

Et il y a les objets de contentieux, ces mots dont les sens varient au fil des circonstances et des stratégies : démocratie, vote stratégique, intérêt supérieur de la nation (cette expression existe aussi au pluriel), chef (la question a été posée pour la Coalition avenir Québec), référendum (d’initiative populaire ou pas), cadre financier, classe moyenne (ou «contribuables moyens», pour le dire avec Amir Khadir, de Québec solidaire), valeurs, droite, gauche, néolibéralisme, identité, pays, autrement (comme dans «faire de la politique autrement»).

L’obscurité (potentielle) est à la fois un état de fait (linguistique) et une stratégie de communication (politique). Au Québec, mais pas seulement.

Langue de campagne (13)

La plupart des commentateurs s’entendent pour dire que la révélation du débat électoral télévisé du 19 août 2012 entre Jean Charest (Parti libéral), François Legault (Coalition avenir Québec), Pauline Marois (Parti québécois) et Françoise David (Québec solidaire) a été cette dernière.

Que dire de la langue de Françoise David ?

On ne pouvait qu’être frappé par le naturel de son expression. Loin des tics de ceux qu’elle appelait ses «collègue», elle ne passait pas son temps à reprendre des expressions toutes faites. De même, elle n’hésitait pas à utiliser, par exemple, «han» en fin de phrase, comme le font des masses de ses compatriotes.

Son sens de la répartie tranchait sur les répliques de ses adversaires politiques : «Franchement !», «Laissez-moi une p’tite chance» (à François Legault), «Je prends beaucoup l’autobus et je peux vous dire qu’il n’y a pas de bataille dans l’autobus» (à François Legault, encore, qui ne doit pas le prendre souvent).

Le «Je n’en disconviens pas» qu’elle a utilisé à un moment lui a valu des éloges sur Twitter. (L’Oreille tendue se réjouit de voir employée publiquement une expression qu’elle affectionne.)

C’est surtout à Françoise David que revient une des piques les plus justes de la soirée. S’agissant de la question de la corruption au Québec, elle avait un conseil pour le premier ministre : «À votre place, Monsieur Charest, je ne fanfaronnerais pas.»

Elle aurait pu verser dans le populisme : «À votre place, Monsieur Charest, je ne f’rais pas mon smatte.» Ou dans le rare : «À votre place, Monsieur Charest, je ne plastronnerais pas.» Elle a choisi le verbe le mieux calibré.

Est-ce cela, faire de la politique «autrement» ?

P.-S.—Québec solidaire oblige, Françoise David parle aussi d’«assemblée citoyenne» et elle se sert de l’adjectif «métissé». On n’en attendait pas moins d’un parti de gauche.

P.-P.-S.—Sur le blogue de Québec solidaire, aujourd’hui, sa co-porte-parole préfère «menterie» à «mensonge». Cela n’étonne pas, venant d’elle.

Langue de campagne (12)

À la suite des débats entre les chefs des principaux partis politiques du Québec tenus la semaine dernière, on doit signaler quelques disparitions, peut-être temporaires.

La féminisation automatiqueles Québécois et les Québécoises, les citoyens et les citoyennes —, omniprésente dans les conférences de presse des politiques de tout acabit en temps normal, avait été laissée au vestiaire les soirs du 19, du 20, du 21 et du 22 août. (Elle ne devrait pas y rester longtemps.)

On ne s’en étonnera pas : quitter n’a pas retrouvé ses compléments.

Pendant de longues minutes des débats auxquels il a participé, François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, n’arrivait plus à retrouver le pronom relatif dont. Cela donnait d’innombrables «C’que l’Québec a besoin». Il n’est pas le premier homme politique à être ainsi dépossédé : Robert Bourassa l’a précédé durant sa campagne de 1989, où des publicités télévisées utilisaient exactement la même formule. (L’Oreille tendue, alors dans la fleur de l’âge, avait même consacré un texte, notamment, à cette question, dans le magazine culturel Spirale.)

À chacun ses modèles (linguistiques).

Langue de campagne (11)

Où la politique se fait-elle ?

Jean Charest (Parti libéral du Québec) est formel : ce n’est pas dans la rue.

D’autres se méfient des officines : des créatures de l’ombre y prendraient des décisions sans consulter qui que ce soit.

Tous ne s’entendent pas sur la place des médias dits «sociaux» dans la présente campagne électorale québécoise. Est-elle, ou bien pas, «2.0» ? Internet est-il le nouveau lieu du politique ?

En revanche, les assemblées de cuisine ont toujours la cote. Aller voir des gens chez eux, serrer des mains, répondre directement aux questions, embrasser (et pas seulement des bébés) : ça continue, comme dans le bon vieux temps.