Divergences transatlantiques 023

Soit les deux photos suivantes.

Vol AC830, Montréal => Genève, 11 juin 2012

Ordures et vidanges

Vol AC831, Genève => Montréal, 17 juin 2012

Vidanges et ordures

Première constatation : le pictogramme du jeteur de détritus (ou du semeur de trois graines de quelque chose) ne doit pas être compris par tout le monde, puisqu’il faut lui adjoindre du texte.

Deuxième constatation : pour rendre le pictogramme compréhensible, il faut l’expliquer en plusieurs langues : français, anglais, arabe.

Troisième constatation : les possibilités d’interprétation sont multiples. On peut choisir de parler du contenu : «vidange», «waste», «garbage», «nifayate» (déchets). Ou du contenant : «poubelle».

Quatrième constatation : le mot vidange peut rendre perplexe un non-Canadien. Selon le Petit Robert (édition numérique de 2010), au sens de «Déchets, ordures ménagères», il s’agirait d’un régionalisme utilisé seulement au Canada, «critiqué» qui plus est. Il peut aussi rendre perplexe un Canadien : comme le remarque à juste titre le Robert, le mot, en ce sens régional, n’existe qu’au pluriel (des vidanges). Les employés d’Air Canada auraient-ils des problèmes d’accord ?

 

[Complément du 5 juillet 2012]

Restons dans le rayon plomberie. Sur sa page Facebook, Mathieu Charlebois s’interroge sur la nature des trois «choses» que l’on ne doit pas jeter dans les toilettes selon un pictogramme identique à ceux reproduits ci-dessus. Il croit qu’il s’agit de cubes de sucre. Ça se discute.

Résolument «résolument» ?

Soit le tweet suivant, de @RemiMathis : «De même qu’un esquif est toujours “frêle”, ce qui est contemporain l’est toujours “résolument” #Galeries #Communicants.»

Laissons voguer le frêle esquif — non sans citer la définition que donne le Petit Robert (édition numérique de 2010) de ce substantif : «Littér. Petite embarcation légère. Un frêle esquif» — et attachons-nous à résolument.

Résolument contemporain est en effet fort populaire. Résolument moderne ne l’est pas moins, ainsi que l’attestent ces jours-ci les pages sportives du quotidien la Presse : «Le style de Bergevin est résolument […] moderne» (14 juin 2012, p. 1); «Sylvain Lefebvre sera un entraîneur-chef résolument moderne» (15 juin 2012, p. 3).

On sera sensible aussi au résolument urbain, qui n’est peut-être, en définitive, qu’un synonyme de résolument contemporain et de résolument moderne : «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (le Devoir, 3 juillet 2009, p. B7).

On ne saurait être résolument contre cet adverbe, même si l’on rappellera qu’il ne devrait s’appliquer qu’à des personnes, dans la mesure où sa définition est la suivante : «D’une manière résolue, décidée; sans hésitation»; «Avec une résolution qui dénote du courage, de l’intrépidité» (le Petit Robert, bis).

 

[Complément du 7 octobre 2018]

Image du jour, tirée de Twitter.

 

[Complément du 15 octobre 2018]

En France aussi.

L’Oreille tendue chez les Helvètes

L’Oreille tendue rentre d’un colloque, à Genève, sur Jean-Jacques Rousseau. Ci-dessous, notes dépareillées.

L’ami François Bon est frappé de l’utilisation endémique, en France, de voilà. La Suisse n’est pas moins touchée. (La remarque vaut autant pour pas de souci, opportunité, quelque part et morale citoyenne.)

Le français parlé sur les rives du lac Léman a ses particularités. Les mouettes y sont aquatiques, mais motorisées. Les cornets y sont en plastique. Bien sûr y tient lieu de oui.

Ça a beau être universitaire, mais ça ne sait pas la différence entre mettre à jour (actualiser) et mettre au jour (révéler). Et ça s’attarde à qui mieux mieux, même un instant.

Du groupie en sciences humaines : appeler Jean-Jacques Rousseau «Jean-Jacques». Personne ne dit pourtant «Denis» pour Diderot. Heureusement.

Au restaurant, on ne doit pas confondre le service (ce qui est remis au serveur pour son travail) et le pourboire (ce qui est remis au serveur pour son travail).

Quand, en colloque, l’Oreille entend parler d’«une personnalité remarquable mais trop peu étudiée», elle se dit toujours que ce silence de la critique est probablement justifié.

Mme X est «la future grande tante d’Alfred de Musset» ? Grand bien lui fasse.

Lui : «C’est une jeune femme, 20 ans peut-être.» Un autre : «Une retraitée d’environ 58 ans.» Ils parlent de la même personne. Il y en a un des deux que sa perspicacité honore.

Sur sa tombe, l’Oreille demande que soit gravé ceci : «Dans les colloques, il respectait scrupuleusement son temps de parole. R.I.P.»

Rassurez-la : dites à l’Oreille que ses présentations PowerPoint ne sont pas aussi nulles, car bavardes, que celles-là. Elle vous en implore.

Oxymores à éviter : «la convergence d’horizons antagonistes»; «une neutralité bienveillante».

Entre deux communications, il y a toujours la télé, et les joies de l’Euro(pe) : dans sa chambre d’hôtel, l’Oreille avait le même match de foot sur au moins huit chaînes. C’est pendant Suède-Angleterre qu’elle a découvert l’autogoal, soit le fait de marquer contre son propre camp (scorer dans son but). La télé n’est pas complètement inutile. (Le but suivant, comme il se doit, était «incroyable».)

«Vous tenez un blogue ? Vraiment ?» «Vous utilisez Twitter ? Pourquoi ?» L’avenir du numérique ne passe pas par le Siècle des lumières.

Les interlocuteurs de l’Oreille avaient presque tous suivi le «printemps érable» dans les médias européens, sans y comprendre grand-chose. Manifestement, ces derniers n’ont guère fait leur travail.

Les voyages, particulièrement en avion, ne font pas ressortir ce que l’humanité a de meilleur. (L’Oreille ne s’exclut pas de l’humanité.)

Du temps où il y descendait (Hergé, l’Affaire Tournesol, p. 17-19), Tryphon Tournesol devait-il parler anglais pour se faire comprendre des employés de l’Hôtel Cornavin, dont certains baragouinent à peine le français ?

Quoi qu’on puisse en penser, l’Oreille est casanière. Elle n’aime pas trop être dépaysée. La preuve.

P.-S. — Dans le même ordre d’idées, l’Oreille a déjà publié quelques «Scènes de la vie de colloque» (en PDF ici).

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167