Ru-ru et poulet

Sébastien Bailly, les Zeugmes au play, 2011, couverture

Deux beaux cas de cacophonie aujourd’hui.

Le premier, chez la traductrice de Mary Pope Osborne : «Bondissant par-dessus les tuiles brisées qui encombrent la cour, ils se ruent vers la porte et jaillissent dans la rue» (p. 60). Ce «ruent» / «rue» fait ronron.

Le second, beaucoup plus ancien, et signalé récemment par Sébastien Bailly dans les Zeugmes au plat : «Je suis romaine, hélas ! puisque mon époux l’est» (Corneille, Horace, première version, acte I, scène 1). Selon Wikipédia, il s’agirait, dans ce cas, d’un kakemphaton.

 

Références

Bailly, Sébastien, les Zeugmes au plat. Éloge d’une tournure humoristique, Paris, Mille et une nuits, coll. «Mille et une nuits», 585, 2011, 107 p. Avant-propos de Hervé Le Tellier.

Pope Osborne, Mary, Panique à Pompéi, Paris, Bayard poche, coll. «La cabane magique», 8, 2009, 73 p. Traduction et adaptation de Marie-Hélène Delval. Illustration de Philippe Masson. Dixième édition. Édition originale : 1998.

Divergences transatlantiques 013

Soit une «Veste longue de sport, en tissu imperméable, munie d’une capuche», au genre fluctuant (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Au Québec, le mot est surtout masculin : «Lorsque Norah passe près d’eux, un des employés jette un drôle de regard à son parka de caribou qui, il faut l’avouer, détonne un peu dans le décor» (Nicolas Dickner).

En France, il paraît être beaucoup employé au féminin : «Elle portait une parka sale, un chapeau tordu sur la tête et on pouvait véritablement dire qu’elle était sans âge» (Arnaldur Indridason, p. 79).

Qu’en disent les Belges ?

 

[Complément du 22 août 2011]

Que faire quand on est une écrivaine québécoise et qu’on est publiée en France ? Mélanie Vincelette, dont le roman Polynie a paru en 2011 chez Robert Laffont, a été confrontée à la difficulté. Pour ne déplaire à personne, elle a trouvé une solution élégante. Page 30, il est question «d’un parka en laine bleue». Page 163 apparaît «une parka traditionnelle rouge». Page 197, il y a plus simple : «des parkas modernes». Tout le monde est content.

 

Références

Dickner, Nicolas, Boulevard Banquise, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, 2006, 47 p. Ill. Un conte de Nicolas Dickner, inspiré et illustré d’œuvres de la collection d’art inuit Brousseau.

Indridason, Arnaldur, la Rivière Noire, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir», 2011, 299 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2008.

Vincelette, Mélanie, Polynie, Paris, Robert Laffont, 2011, 213 p.

L’Oreille se met à parler

Parmi les nombreux tics médiatiques — les médiatics, donc (merci à @francisroyo et au blogueur derrière KONMEXPLIK2) —, celui-ci, très présent chez les chroniqueuses culturelles de la radio de Radio-Canada : l’accent tonique mis sur un adverbe, par volonté de mise en relief. Cela se pratique surtout avec les adverbes en –ment : vraiment, tellement, etc.

Histoire d’offrir le meilleur service possible à ses bénéficiaires, l’Oreille tendue s’est essayée à rendre cette fâcheuse habitude, venue, comme il se doit, de l’anglais. Il suffit de cliquer ci-dessous.

 

Sound Icon / Icône du son

 

Cette insistance existe aussi à l’écrit : «TELLEMENT d’accord avec Marc Cassivi: Bertrand Cantat Le droit de vivre cyberpresse.ca/chroniqueurs/m… vi .Et on en parle avec @paularcand à 8:20h» (Marie-France Bazzo, sur Twitter, le 5 avril).

Ce n’est pas mieux.

 

[Complément du 9 mai 2015]

Tellement n’est pas seulement un adverbe d’intensité. Ce peut aussi être un adverbe d’affirmation : c’est un oui plus fort qu’un oui. Accompagné d’un point d’exclamation, tellement est encore plus fort; c’est un oui au cube.

 

[Complément du 29 décembre 2023]

L’insistance peut aussi passer par l’italique : «J’aime tellement Siri Hustvedt» (la Presse+, 29 décembre 2023).

Du qui qui, bis

Publicité télévisée de Bell, dans un club vidéo : «Qui qui sort pour louer des films ?»

Publicité télévisée de Bell, au bureau : «Qui qui a fini le café ?»

Qui qui engage des publicitaires aussi nuls ?

La langue du hockey à travers les âges (comme)

Je r’gardais tous ‘es matchs à tévé
Ent’ mon père pis Lecavalier

Pierre Bertrand, «Hockey» (1978)

Il y a quelques mois, il était question, en ces écrans, de l’évolution du lexique du baseball. Aujourd’hui, parlons hockey.

Les amateurs connaissent le rôle joué par l’annonceur René Lecavalier dans la popularisation d’un vocabulaire français pour décrire l’univers du hockey. Pour ses efforts, il a reçu en 1959 le prix Olivar-Asselin de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et on lui a décerné deux doctorats honoris causa, l’un de l’Université de Montréal, l’autre de l’Université du Québec.

René Lecavalier avait eu des prédécesseurs, par exemple l’abbé Étienne Blanchard.

Parmi les publications du prolifique abbé — Stylistique canadienne, le Bon Français en affaires, Recueil d’idées, Dictionnaire du bon langage, etc. —, on doit faire une place à part à ses imagiers, 1000 mots illustrés ou Gravures et mots ou 2000 mots bilingues par l’image, qui ont connu plusieurs incarnations.

Dans l’édition de 1920 comme dans l’édition de 1924 (en plus petit format) de 2000 mots bilingues par l’image, le lexicographe a une section sur la «balle au camp» (le baseball) et une autre sur le «hoquet» (le hockey). En 1915, les deux sports étaient fondus, et l’un ne portait pas le même nom.

À la fin des années 1910, l’abbé Blanchard a en effet décidé de laisser tomber le terme gouret — qui désignait à la fois le bâton des joueurs et le sport dans son ensemble —, au profit de hoquet. Motif ? «Le mot hockey vient de l’ancien mot français hoquet. Nous sommes de l’avis du “Droit” [journal d’Ottawa], proposant de substituer ce mot à gouret» (2000 mots bilingues par l’image, p. 60).

Hockey a aujourd’hui remplacé hoquet, sauf chez la Catherine Cusset du Problème avec Jane, qui évoque le «hoquet sur glace» (p. 173). Ce n’est pas le seul mot proposé par Étienne Blanchard à être tombé en désuétude; c’est ce que révèle l’illustration de la page 34 de l’ouvrage 1000 mots illustrés ou Gravures et mots.

Étienne Blanchard, 1000 mots illustrés ou Gravures et mots, 1915, p. 34

 

 

Les gourets, sauf en ces contrées où l’on croit légitime de parler de palets, sont devenus des bâtons (fig. 18). Le gauleur est un gardien; quelques joueurs sont disparus (le foncier, le milieu), d’autres ont changé de nom (le centre droit, le centre gauche) (fig. 19). Les filets sont dorénavant bien tendus; plus besoin de raidisseur (fig. 20). On a toutefois conservé le ruban gommé (fig. 21) et la jambière (fig. 22). Plus loin dans l’ouvrage, on évoquera la rondelle ou le disque, mais également la galine, mot qui sortira progressivement de l’usage (p. 37).

Quelques années plus tard, dans 2000 mots bilingues par l’image (p. 61), le raidisseur deviendra un tendeur (fig. 3) et on apprendra qu’on peut remplacer ruban gommé par chatterton (fig. 2). La chevillère semblait faire partie, en 1915, du lexique du baseball; en 1920 et en 1924, elle est passée sur la glace (fig. 4).

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, 1920, p. 61

 

L’abbé Blanchard était peut-être trop prolifique. En 1925, dans la sixième édition d’En garde !, il oublie de substituer hoquet à gouret. Le gouret de 1915, devenu bâton de hoquet, hoquet ou canne (de hoquet) en 1920 et 1924, est maintenant une (un ?) cross ou une canne (p. 40). La chevillère n’est plus; place au protège-cheville ou au support-cheville (p. 41). En 1915, en 1920 et en 1924, on joue sur un patinoir aussi bien que sur une patinoire; plus en 1925, où le masculin l’emporte (p. 40).

Mais il n’y avait pas que l’abbé Blanchard. En 1937 est publié le Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball). Ce lexique du hockey ressemble plus au nôtre que celui de Blanchard — patinoire est féminin, on tire la rondelle ou le disque avec un bâton —, mais il reste des différences : pénitencier (banc des punitions), équipe d’as (équipe d’étoiles), pilote (entraîneur), point égalisant (but égalisateur).

Remercions René Lecavalier d’avoir normalisé tout cela.

René Lecavalier, portrait

 

[Complément du 3 septembre 2019]

En 1949, F.J.F. (le frère mariste Jean-Ferdinand) publie, sous le titre Cultivons-nous, 2236 questions de culture générale, suivies de leur réponse. Question 2000 : «Qui fut surnommé par le consul de France, “le jardinier de la langue française au Canada” ?» Réponse : «M. l’abbé Étienne Blanchard» (p. 124).

 

[Complément du 22 janvier 2024]

La Fondation Lionel-Groulx consacre une des vidéos de sa série «Nos géants» à René Lecavalier; c’est ici. Il y est brièvement question d’Étienne Blanchard.

 

Références

Blanchard, abbé Étienne, 1000 mots illustrés ou Gravures et mots, Montréal, 1915, 111 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, Imprimerie J. Tremblay & fils, 1924, 112 p. Ill.

Blanchard, abbé Étienne, En garde ! Termes anglais et anglicismes dans le commerce, les amusements, les professions, les métiers, les voyages, à la ferme, au parlement, etc., Montréal, Librairie Beauchemin, limitée, Bibliothèque canadienne, coll. «Montcalm», 413 B, 1925, 124 p. Sixième édition.

Cusset, Catherine, le Problème avec Jane, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 3501, 2001, 458 p. Texte révisé par l’auteur.

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Cultivons-nous, Roberval, Les imprimeurs Roberval, 1949, 142 p.

Vocabulaire français-anglais des jeux de hockey[,] de tennis et de balle aux buts (base-ball), Québec, La librairie de l’Action catholique, 1937, 29 p. «Publié avec la bienveillante autorisation de la Société du parler français, qui a rédigé ce Vocabulaire.»