Tout recommencer, ou pas

«Lane Hutson, nouveau contremaître de la reconstruction», site RDS.ca, 13 octobre 2024

Les équipes sportives ne peuvent pas toujours être au sommet du classement année après année. Il arrive des moments où elles doivent se transformer. Comment appeler cette transformation ?

Prenons l’exemple des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. On y a entendu plusieurs expressions au fil des ans. D’autres sont possibles.

Reset (dans la langue de Marc Bergevin) ou réinitialisation (en français).

Retool (bis) ou rééquipement (bis). Dans le même esprit : réoutillage.

Réingénierie, mot importé du vocabulaire de la pédagogie, en passant par la politique, auquel certains préfèrent reconfiguration des processus.

Reconstruction (rebuild). En bonne logique entrepreneuriale, celle-ci nécessiterait un contremaître (voir l’image ci-dessus, tirée du site de RDS du 13 octobre 2024) ou un reconstructeur, voire, au besoin, des vacances de la reconstruction.

Refondation. Le terme existe dans le système de santé québécois, mais il ne paraît pas avoir migré à l’aréna.

Rajeunissement. Si c’était aussi facile que cela, ça se saurait !

Pour faire plus simple, on peut parler de mot en r-. C’est imprécis mais inclusif.

P.-S.—Comme on le sait, à un certain moment, histoire d’être dans le mix, il faut cesser de se contenter du mot en r-.

P.-P.-S.—Oui, bien sûr, c’est de la langue de puck.

 

[Complément du 23 novembre 2024]

Titre du jour dans la Presse+ : «Sénateurs d’Ottawa. Faudra-t-il déconstruire la reconstruction ?» Les derridiens apprécieront.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Aux parapluies !

Charlotte Aubin, Toute ou pantoute, 2024, couverture

Soit les vers suivants, tirés du recueil de poésie Toute ou pantoute :

il mouille à siaux
j’aurais voulu l’anticiper
avant d’en avoir la certitude (p. 12).

Ces siaux sont des seaux, voire des chaudières.

Quand il mouille à siaux, dans le français populaire du Québec, c’est qu’il tombe des trombes d’eau. Protégez-vous.

Synonyme : «Il pleut à boire debout […]» (Amiante, p. 179).

À votre service.

 

Références

Aubin, Charlotte, Toute ou pantoute. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 87 p. Ill.

Dulude, Sébastien, Amiante, Saguenay, La Peuplade, 2024, 209 p. Ill.

Du bon usage des coins

Soit la phrase suivante, dans un entretien donné par René Homier-Roy :

«Quand je me suis mis à faire des entrevues, j’avais tendance à tourner les coins ronds dans l’écoute, à faire mine d’écouter sans vraiment y mettre l’intensité nécessaire» (p. 33).

Au Québec, qui va trop vite en affaires est réputé couper / tourner les coins ronds. Exemples ici et .

Conséquence ?

«En France, M. Legault est suivi par l’immigration à cause de ses déclarations faites avant son départ. Les journalistes lui demandent de clarifier ses idées. Un certain brouillard demeure. Ses solutions se démarquent encore par la rondeur de leurs coins» (la Presse+, 4 octobre 2024).

Joli.

P.-S.—Couper / tourner les coins ronds, ce n’est pas bien. Travailler fort dans les coins, c’est le contraire. Oui, c’est de la langue de puck.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

«Les principes qui guident René Homier-Roy. Propos recueillis par Catherine Genest», Nouveau projet, 26, printemps-été 2024, p. 32-33.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture

Sens dessus dessous

Publicité de plomberie, Montréal, 2013

Dans la langue populaire du Québec, (en) dessous a droit à plusieurs prononciations et à plusieurs graphies.

Dessour : «C’était dans la cassette. Ça l’avait glissé en dessour du lit» (les Sentiers de neige, p. 284).

De sour : «Comme tirée par la manette de la télévision, dans un frottis de chaussons suivi d’un cliquètement de griffes excitées, la mère a tourné en virant de sour le coin du corridor, quand même battue dans le sprint final par le chien l’accompagnant» (la Bête creuse, p. 434-435).

D’sour : «l’ostie de singe / y est-tu allé s’cacher en d’sour du lynx» (l’Allégorie du tiroir à ustensiles, p. 83).

Tsour : «Je préfère de loin flotter en superficie avec lui que faire des pets de tsour de bras en apnée» (Une femme extraordinaire, p. 107). N.B. : On aura reconnu l’aisselle dans ce tsour de bras.

Entsoure : «Son immensité m’apaisait. Il devait se passer bien des affaires entsoure, mais la surface, elle, n’avait pas envie de s’obstiner avec qui que ce soit» (Une femme extraordinaire, p. 236).

C’est comme ça, et ce n’est probablement pas tout.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Cloutier, Fabien, l’Allégorie du tiroir à ustensiles. Chroniques et monologues pour se replonger dans les années 2018-2022, Montréal, Lux éditeur, 2022, 224 p. Dessins de Samuel Cantin.

Éthier, Catherine, Une femme extraordinaire, Montréal, Stanké, 2022, 302 p.

Lambert, Kev, les Sentiers de neige. Conte d’hiver, Montréal, Héliotrope, 2024, 412 p.

Érotisme de la langue de puck

«Sexy Sport Hockey», Lady Death, 25, 2013, couverture

Sur la glace, parfois, c’est chaud.

Le commentateur Yvon Pedneault aimait dire qu’un joueur allait se blottir derrière un adversaire, ce qui faisait du hockey une activité bien intime.

Les défenseurs n’hésitent pas à envoyer les joueurs de l’autre équipe embrasser la baie vitrée.

On plaint le gardien de but qui a une faiblesse entre les jambes.

Ce n’est pas moins émoustillant dans les représentations culturelles du hockey.

Bertha, le personnage de Fridolinons 45 de Gratien Gélinas, se prépare pour le «Bal des Facteurs» : «C’est moi qui “score” tantôt […]» (éd. de 1980, p. 82).

En 1951, Jeanne d’Arc Charlebois met en chanson le conflit des désirs entre Maurice Le Rocket Richard et ses admiratrices :

Toutes les femmes de la province
De Gaspé jusqu’à Longue-Pointe
Envahissent le Forum
Pour venir voir jouer leur homme
Y en a qui donneraient leur vie
Rien qu’pour un p’tit bec de lui
Maurice les embrasserait bien
Mais y aime mieux rentrer des points

(«Maurice Richard», 1951, 2 minutes 32 secondes, disque 78 tours, étiquette Maple Leaf 5018A, paroles d’Yvon Dupuis, musique de Jean «Johnny» Laurendeau)

Neuf ans plus tard, Les Jérolas chanteront le même conflit, mais pour un autre joueur, Jean Béliveau :

Quand i passe su’l’bord d’la bande
Les filles se mettrent à crier
«Viens icitte mon petit ange on va-ti ben t’embrasser»
À la vitesse d’un train Jean Béliveau s’en revient
Il les embrasserait ben
Mais i aime ben mieux compter des points

(«La chanson du hockey», 1960, 2 minutes 41 secondes, disque 45 tours, étiquette RCA Victor 57-5491, composition de Jean Lapointe)

Revenons à Maurice Richard, avec Denise Filiatrault, en 1957. Son héroïne veut entrer au Forum de Montréal voir son joueur favori :

J’suis énervée
J’suis excitée
Je veux m’enrouer
À force de crier

Rock’n’roll Rocket Rocket
Rock’n’roll Rocket Rocket

(«Rocket Rock and Roll», 1957, 2 minutes 37 secondes, disque 45 tours et disque 78 tours, étiquette Alouette CF 45-758)

Le désir n’est pas que féminin dans les chansons consacrées au hockey :

Les joueurs sont rendus des hommes d’affaires
Faudrait leur faire peur dans l’vestiaire
Envoyer dins douches André Boisclair

(Réal Béland, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 2007, 4 minutes, disque audionumérique, étiquette Christal Musik CMCD9954)

Vous préférez la poésie ? En 1990, Michel Bujold publiait l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques.

Vous aimez parler cru ? Il y a les plottes à puck.

À chacun ses fantasmes.

P.-S.—En 2019, ici même, il était question de l’érotisation, par des hommes, de Richard, le célèbre numéro 9 des Canadiens de Montréal.

 

Références

Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.

Gélinas, Gratien, les Fridolinades 1945 et 1946, Montréal, Quinze, 1980, 265 p. Ill. Présentation par Laurent Mailhot. Réédition : les Fridolinades, Montréal, Typo, 2014. Anthologie préparée par Anne-Marie Sicotte.

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Édition revue et augmentée, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 159 p. Préface d’Olivier Niquet. Illustrations de Julien Del Busso.

Melançon, Benoît, Langue de puck, édition revue et augmentée de 2024, couverture