Hydrovocabulaire

Marie-Éva de Villers, le Vif Désir de durer, 2005, couverture

Hydro-Québec oblige, les Québécois ont une relation intime avec l’électricité. Cela transparaît dans leur langue.

Si quelque chose a trop duré, ils sont prompts à tirer la plogue. «Autant tirer la plogue moi-même avant que les gens me déploguent» (la Presse, 20 mars 1999).

Leur colère subite viendra du fait que deux fils se sont touchés. D’autres avanceraient qu’ils ont pété les plombs.

Leur Révolution tranquille aurait été précédée d’une longue période d’obscurantisme, la Grande Noirceur.

Quand ils ont un moment d’inattention, ils disent dormir sur la switch. Deux exemples récents, tirés de Martine à la plage (2012), de Simon Boulerice : «Les fantômes dormaient sur la switch» (p. 18); «Ou elle dormait sur la switch» (p. 60).

Marie-Éva de Villers, dans le Vif Désir de durer (2005, p. 286), signale que Jean Charest, du temps qu’il était chef du Parti conservateur du Canada, utilisait l’expression. Maintenant qu’il est premier ministre du Québec — et qu’Hydro-Québec dépend de lui —, qu’en est-il ?

 

Références

Boulerice, Simon, Martine à la plage. Roman, Montréal, La mèche, coll. «Les doigts ont soif», 2012, 82 p. Avec des dessins de Luc Paradis.

Villers, Marie-Éva de, le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p. Ill.

Sacrer dans le poste

Le «câlice» de Megan (et de Mad Men)

Sur Twitter, le 25 mars, jour de diffusion du premier épisode de la cinquième saison de la série Mad Men, @richardhetu écrivait ceci : «La femme de Don Draper (J. Paré) vient de dire câlice. Une première à la télé américaine. #MadMen.» Le lendemain, même information, avec un commentaire («Misère») et la photo ci-dessous, chez @PasqualeHJ.

Jessica Paré, qui joue Megan Calvet, la nouvelle Mrs Don Draper, vient de Montréal. Qu’elle utilise câlice est facile à justifier. (Vu son nom de famille, elle aurait aussi pu se servir de calvette, forme euphémisée de calvaire.)

Est-ce la première fois que la télévision états-unienne fait entendre ce genre de langage ? Que nenni.

Dans le treizième épisode de la sixième saison des Sopranos, «Soprano Home Movies» (2007), Tony Soprano fait affaire avec deux Québécois francophones. L’un dit à l’autre : «Astie, j’ai oublié !».

La culture québécoise s’exporte au sud de la frontière.

P.-S. — Il y a aussi un «Saclebleu», pour «Sacrebleu», dans «Cold Cuts» (cinquième saison, neuvième épisode, 2004). La traduction française, visible sur YouTube, a remplacé ce juron par «Tabernâcle». La prononciation du personnage de Tony Soprano n’est au point ni dans l’original ni dans la traduction.

P.-P.-S. — L’Oreille a déjà dit un mot de Mad Men et des Sopranos. Le contexte n’était pas tout à fait le même.

 

[Complément du 27 mars 2012]

On peut (ré)entendre ce «câlice» bien senti ici.

 

[Complément du 28 mars 2012]

Pour une réflexion plus générale sur le rapport aux jurons de ceux qui apprennent le français familier parlé au Québec, voir le blogue d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin, En tous cas.

 

[Complément du 31 mars 2012]

Dans la Presse d’aujourd’hui, sous le titre «L’homo tabarnacus», Patrick Lagacé consacre un article aux sacres québécois (p. A10). On y entend l’Oreille.

Bain lâ

@PimpetteDunoyer s’en plaignait sur Twitter il y a quelques jours : «Preuve que “Ben là” est une expression partagée par la majorité des Montréalais de 9-10 ans… #SupportePlus.»

Ben là ?

L’expression peut être une réponse, parfois marquée de résignation, à une demande jugée excessive, notamment parentale. Exemple :

Question (banale) : Tu ne crois pas que tu pourrais, à l’occasion, faire le ménage de ta chambre ?

Réponse (prévisible) : Ben là !

On l’entend de plus en plus souvent dans d’autres contextes, où il s’agit de marquer un désaccord de peu de conséquences.

Sa prononciation n’est pas uniforme. Si le ben a un son de baignoire (bain) et si le a final est gras (â), le rythme d’élocution peut varier, d’un allongement cher à l’adolescence (baiaiain lââââ) à une brièveté exclamative (bainlâ !).

Sur le plan de la syntaxe, on notera que ce ben là se place toujours en tête de phrase.

Une précision finale s’impose : le champ d’attraction de cette expression a largement dépassé le cercle des «Montréalais de 9-10 ans». L’Oreille tendue dispose à la maison d’un spécimen d’adolescent de 14 ans qui l’emploie fréquemment. On la trouve même chez des adultes. Michel Désautels l’a utilisée à la radio de Radio-Canada le 21 mars 2012, et on l’a entendue au micro de Joël Le Bigot sur la même chaîne (dans la bouche de Richard Garneau ?) trois jours plus tard. On a aussi pu la lire sous le clavier d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin, sur Twitter : «ah ben là! tout ça pour une tache en forme de lapin!? gâtée pourrie, la môme!»

Ça ne vous plaît pas ? Ben là !

Si vous allez à la police, nous l’exécuterons

Il lit l’Oreille tendue. Appelons-le, entre nous, le Sartrien de choc.

Un jour, il se plaignait de l’utilisation excessive de l’expression prendre en otage. Il en proposait une définition : «Déranger dans leurs habitudes, même temporairement, les contribuables et leur progéniture.» Il avait son exemple : «Les grévistes ont pris les parents et leurs enfants en otage.»

Hier, des manifestants ont bloqué un des ponts qui mènent à Montréal, le pont Champlain. Le Sartrien de choc a dû être ravi devant la manchette de TVA nouvelles annonçant leur geste.

«Le pont Champlain pris en otage», manchette, 20 mars 2012

Il y a du pour et il y a du contre

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, 2010, couverture

Vous lisez, de l’Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos (2010).

Dans le premier texte, «Autoportrait du descendeur», Paul Fournel écrit, s’agissant de ski : «Les Canadiens sont arrivés sur le cirque avec la réputation de “crazy canaks” […]» (p. 12). Ce qui vous tient lieu de fibre canadienne nationale vous pousse à vous insurger. On ne doit pas confondre les «Canadiens fous à ski» (les «Crazy Canucks») et ces hybrides, qu’on imagine malgré tout de la Nouvelle-Calédonie, qui ne seraient ni tout à fait canaques ni absolument kanaks.

Puis, presque à l’autre bout du livre, Michèle Audin brosse l’«Autoportrait de la femme en quiétude» : «Les Canadiennes sont arrivées dans l’arène avec la réputation de “crazy canes à queue” […]» (p. 122). Vous êtes étonné, mais vous ne vous insurgez pas. Ne vaut-il pas mieux imaginer des «crazy canes à queue» que des «crazy canaks» ?

 

Référence

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, Paris, Mille et une nuits, 2010, 138 p.