Causons

En 2004, pour leur Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue et son complice avaient recensé, au Québec, un nombre considérable de tables : d’aménagement, de concertation, de convergence, de prévention, de suivi, ronde, de conversion, des nations. Ils les avaient rapportées à d’autres manifestations du grégarisme des habitants de la Belle Province : les audiences, le carrefour, le chantier, la coalition, le comité, la commission, la concertation, le consensus, la consultation, les états généraux, le festival, le forum, le groupe, les partenaires sociaux, la rencontre, le salon et le sommet.

On pourrait aujourd’hui ajouter à l’énumération la table de pilotage — il existe une Table de pilotage du renouveau pédagogique du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec — et le café urbain — selon RueMasson.com, «Depuis un peu plus d’un mois, Rosemont s’est transformé en vaste lieu d’échange : les cafés urbains ont donné la parole aux habitants pour que leur quartier reflète davantage leurs préoccupations»; on y prépare notamment le Forum social de Rosemont qui aura lieu en mai prochain.

Il faudrait surtout faire une place à la conversation, par exemple la Conversation publique sur l’avenir minier du Québec. Quiconque connaît la langue de Shakespeare avait pu y repérer depuis longtemps le succès du mot conversation employé à toutes les sauces, des colloques universitaires aux débats publics. Le voilà donc maintenant en français.

Comme le disait un slogan célèbre du siècle dernier : «On est six millions, faut s’parler.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Une publicité (de pétrole ?) entendue à la télévision québécoise le 31 décembre 2013 se présente comme une «conversation». Même la publicité s’y met.

 

[Complément du 19 décembre 2014]

Au Québec, il arrive même qu’une table écrive.

Une table de concertation écrit à une ministre

 

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Scènes de la vie linguistique autoroutière

Samedi 3 mars 2012, autoroute des Laurentides, direction nord.

À Laval, à côté du Cinéma Colossus, un immeuble sur le fronton duquel on peut lire, dans une seule langue : «Sky Venture.» Autre exemple d’extraterritorialité lavalloise ?

Quelques kilomètres plus loin, à Sainte-Thérèse, sur les murs d’un centre commercial : «Ici on wouf.»

Au retour.

Un panneau publicitaire, encore à Laval : «Relaxe, prends ton Slow Cow.»

Entre plusieurs maux, faut-il nécessairement choisir le moindre ?

Les ploucs, bis

On l’a vu : «insomniaques», c’est pour les ploucs; pour les autres, c’est «insomniacs».

Même partition dans le cahier «Les grands constructeurs» inséré dans la Presse du 29 février.

Page 21 : «À l’image de votre style de vie…» (Boisé Notre-Dame, Laval).

Page 3 : «Sax invente le lifestyle durable» (Ville de Mont-Royal).

De là à dire que les ploucs habitent Laval, il n’y a qu’un pas.

P.-S. — Oui oui : «lifestyle durable», comme le développement.

À la vôtre !

Il y a les capitales autoproclamées : elles sont trop nombreuses pour être toutes recensées.

Il y a aussi les capitales désignées par des instances officielles. Ainsi, la société Radio-Canada est actuellement à la recherche de «la capitale santé» du Canada.

Annonce du site de Radio-Canada, 2012

Avis aux intéressés.

Complexité sacrée

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de souligner l’existence d’un fort courant d’euphémisation dans l’usage des jurons au Québec. Ainsi, au lieu de dire tabarnak, on choisira tabarnan.

De même, les sacres sont souvent l’objet d’une proliférante relexicalisation. On peut, par exemple, utiliser tabarnak à plusieurs sauces : tabarnak !, mon tabarnak, tabarnak de x, tabarnaker quelque chose, s’en tabarnaker, s’en contre-tabarnaker, s’en contre-saint-tabarnaker, etc.

Démonstration conjointe de ces deux phénomènes dans un tweet récent de @mmegreenwood : «j’peux pas m’empêcher de vouloir encore que les Canadiens gagnent, même si on s’en contretabaslaque total, rendu là.»

Contre + tabarnaker => contre + tabaslaquer (euphémisme) => Contretabaslaquer.

CQFD.

P.-S. — La croyance dans le succès des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, même quand il est de plus en plus improbable, fait aussi partie de l’inconscient collectif québécois.

 

[Complément du 7 mai 2013]

 

 Radio-Canada, 7 mai 2013

Autre exemple, conjoignant hockey et euphémisation, tiré du site de Radio-Canada aujourd’hui.