Attention aux pharmaciens

Pharmacienne dans son officine

Il existerait, au Québec, un lieu obscur où se prendraient les vraies décisions : les officines (toujours au pluriel).

Il y en aurait dans le monde du sport, au baseball (la Presse, 3 octobre 2004, p. S5) comme au football (Montréal football, p. 178).

Les plus importantes seraient cependant gouvernementales (le Devoir, 12 mai 2005, p. A3). Ce n’est jamais aussi clair que chez le romancier Robert Barberis, qui évoque, dans la Rencontre, «l’ambiance calfeutrée des officines gouvernementales de la Vieille Capitale» (p. 17).

Un Français serait étonné de cette vie de l’ombre, lui qui s’attend à trouver dans une officine, d’abord et avant tout, un pharmacien.

 

Références

Barberis, Robert, la Rencontre, Montréal, Éditions du fleuve, 1988, 89 p.

Lemay, Daniel, Montréal football. Un siècle et des poussières…, Montréal, Éditions La Presse, 2006, 240 p.

De la germaine

Dans la faune québécoise, une espèce nouvelle est apparue : la germaine.

Qu’est-ce qu’une germaine ?

Le journal la Presse propose la définition suivante : «Dans un couple, la Germaine, c’est elle qui gère et qui mène. D’où son surnom : Germaine» («La Germaine d’Occupation double encaisse son 4 %», 2 décembre 2008, cahier Arts et spectacles, p. 3).

Plus largement, c’est une forte femme, qui aime prendre des initiatives, être aux commandes, conduire plutôt que suivre. Si son efficacité ne laisse aucun doute, on ne peut pas toujours en dire autant de ses qualités en matière de relations interpersonnelles. La germaine ne recule pas, quels que soient les obstacles.

Quels sont les deux verbes préférés de la germaine ?

Opérer. La germaine opère. C’est une fonceuse, une proactive plus que proactive, une de celles qui font ce qu’il faut pour obtenir ce qu’elles veulent, et qui le font vite. Qui opère n’aime pas perdre son temps.

Regarder. Ce verbe, toujours à la deuxième personne du présent de l’impératif, introduit un éclaircissement (je vais t’expliquer), qui devrait être inutile (puisqu’il le faut), doublée d’une menace (mais t’as intérêt à comprendre). Par aphérèse, on entend aussi ’garde.

Exemple :

Heye, t’es une vraie germaine, toé ! T’opères !
’Garde, là : j’chus là pour ça.

Remarque : le mot n’existe qu’au féminin; il n’est pas de germain.

 

[Complément du 26 août 2019]

Le mot est passé dans la langue populaire depuis un certain temps déjà, mais certains, tel Patrick Émiroglou dans Salut l’écrivain ! (2019), hésitent encore à l’utiliser librement : «Il faisait ressortir la “Germaine” en moi, ce que je détestais plus que tout !» (p. 80)

 

[Complément du 23 février 2021]

Se trouve aussi en position adjectivale : «Le gars un peu gnochon avec la fille germaine, Laurent Paquin n’en avait pas envie pour sa série de capsules humoristiques intitulée Je t’aime, sur ICI Tou.tv» (la Presse+, 22 février 2021).

 

[Complément du 1er juin 2021]

On voit aussi la graphie gère-mène, par exemple dans la pièce de théâtre documentaire Tout inclus de François Grisé (2021, p. 44).

 

Références

Émiroglou, Patrick, Salut l’écrivain !, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, 167 p. Ill.

Grisé, François, Tout inclus. Tome 1, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 26, 2021, 122 p. Ill. Précédé d’un «Mot des dramaturges». Suivi de «Contrepoint. La ruée vers l’or gris : risques et rentabilité», par Anne Plourde.

Les enfants de la pub

Un lecteur du Devoir s’insurge contre l’emploi généralisé du tutoiement dans les publicités pour le nouveau vélo en libre-service de Montréal, le Bixi : «Change ta ville», «Pédale avec ta tête», «Change l’indice de smog», etc. Il considère que cela infantilise les utilisateurs potentiels de ces bicyclettes (14 juin 2009, p. C4). Il a raison.

En revanche, la publicité de l’Insectarium de Montréal, elle, a recours à juste titre au tutoiement : «Viens jouer dehors. Nouvel espace de découvertes. La Cour aux insectes.» Pourquoi ? Parce qu’elle s’adresse, elle, vraiment à des enfants, ceux qui iront courir dans la nouvelle aire de jeu du Jardin botanique.

Il est rassurant de savoir que quelqu’un, dans l’administration municipale, peut distinguer les vrais enfants des autres.

Ne quittez pas, ter

Le 18 juin, l’Oreille tendue notait qu’à l’Université de Montréal elle n’était pas la seule à regretter l’emploi intransitif du verbe quitter. Un usager de la Bibliothèque des lettres et sciences humaines — ce n’est pas l’Oreille, elle le jure — avait écrit «faute !» sur une affichette qui comportait les mots «quitter pour l’été».

L’Oreille repasse hier devant la même affichette. Celle-ci porte les traces d’un dialogue :

Université de Montréal, 6 juillet 2009

À côté de «faute !», quelqu’un a ajouté «Non !», puis quelqu’un d’autre a mis son grain de sel, mais avec pédagogie : «Oui. Quitter est un verbe transitif (demande COD)».

La guerre fait rage. Pour d’autres informations du front, ne quittez pas.

La ville, c’est urbain

L’urbain a la cote.

Un spa, c’est bien; un «spa urbain», c’est mieux. Vous songez à déménager à la campagne ? «Optez pour un naturel urbain» (Salaberry-de-Valleyfield, juillet 2005).

Mais il y a plus fort : le résolument urbain.

À Québec — qui, jusqu’à preuve du contraire, est une ville —, on peut fréquenter le Urba Resto Lounge. C’est, dit le Devoir de ce samedi, «un restaurant résolument urbain, aux allures branchées et décontractées» (3 juillet 2009, p. B7). Qu’y mange-t-on ? Une cuisine «dite urbaine d’inspiration internationale». Qu’y écoute-t-on ? De la musique «à saveur urbaine», voire «à saveur lounge et urbaine».

Peut-on être plus urbain que cela ? C’est résolument difficile à imaginer.

 

[Complément du 11 juillet 2009]

Déambulant hier soir rue Saint-Joseph, un lecteur québecquois de l’Oreille tendue est tombé sur la publicité suivante : «Votre boutique de chaussures urbaines bientôt ici». La ville, à Québec, ça marche.

 

[Complément du 18 juillet 2009]

Montréal n’est évidemment pas à l’abri de cette mode. Plaza Alexis-Nihon, au centre-ville, hier : «Totalement urbain.»

 

[Complément du 10 juin 2018]

«Hono Izakaya, un pub urbain à la japonaise», titre le Devoir de la fin de semaine. Dans l’article ainsi coiffé, on lit notamment ceci : «L’ambiance étonne. Pour ce resto d’une trentaine de places, les propriétaires ont voulu créer une ambiance urbaine et décontractée, voire minimaliste, avec un décor où dominent les planches nues, le mur de briques laissant deviner le tracé de l’ancien escalier et, bien sûr, l’espace bar où s’attablent amis et collègues le temps d’un verre ou deux.» Ce «pub urbain» à l’«ambiance urbaine et décontractée» se trouve dans la Vieille capitale.

Soyons rassurés : Québec reste une ville.