Chantons la langue avec Rocé

Rocé, Gunz n’Rocé, 2013, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Rocé, «Habitus», Gunz n’Rocé, 2013

 

Disposés à marcher en bandes et à connaître la fouille
La bande des tiens prétexte que cherchent les patrouilles
Disposés à s’unir en ami d’la cité, à subir les familiarités
À mourir trop loin d’l’égalité
Disposés à être tutoyés par toute institution
Institution méprise et déplore ton élocution
Qu’est-ce qui pousse un jeune à garder l’argot et la démarche
Alors qu’il sort de l’horizon et qu’il prend de l’âge ?
Entre le jeune abonné aux musées et celui à l’abribus
Seul un des deux portera le poids de son habitus
On a les mêmes os, la même langue, le même sang mais t’oublies un détail
L’genre d’accent avec lequel tu finis tes phrases
Tu sais qu’les riches sont pas plus libres que toi
Eux aussi sont aliénés par leurs mots, leurs codes, leurs choix
Sauf que leur argot est bien vu, il est même courtisé
On dit du tien qu’il est bad, dis-leur qu’il est souligné
Leur style et leur mode sont juste plus prisés
En plus, tu grandis et l’argot du préau n’est plus l’consensus
Deux poids, deux mesures en fonction d’ta voix, ton allure
Ton aisance du langage dans la guerre du langage
Ce monde peut cerner d’où tu viens et j’en ai pas dit plus
Humain, tu restes emprisonné par tes habitus
Le quartier a ses règles, ses lois, son langage, son argot
Tu sais d’quoi j’parle surtout quand t’es ado
Rempli d’vivacité, tu sors du bahut, du chahut
Contaminé par les expressions tordues d’la rue, t’as vu ?
Tu ramènes à l’école une manière de parler
Tu t’la racontes, la manière d’manier la langue et d’tailler
Tes parents se sont dit, l’école change les nantis
Mais leur enfant grandit, veut parler comme un bandit
C’est une règle sociale, on s’adapte à notre monde
L’accent, le verbe, la phrase te reflètent, te ressemblent
T’as un arrière-goût du quartier, tu restes son ombre, c’est chaud
Les mots qui t’servent à parler reflètent l’écho des autres
T’as pas encore conscience qu’le langage est ton passeport
Plus tard, faudra qu’tu parles bien ou bien qu’tu parles fort
Ton horizon d’enfant construit ta personnalité
Tes manières, ton argot t’façonnent comme personne n’a idée
Ça jouera sur l’mariage, sur l’choix du job
Sur ton décor, sur le nom des gosses, sur l’choix d’l’école
De la musique que t’écoutes, de celle qu’tu comprends pas
Des malheureux qu’tu écoutes et d’ceux qu’tu n’entends pas
Si tu es d’ceux qui ont grandi dans le gris des tours
L’oreille bien trop remplie par l’argot qui s’écoule
Tu auras tendance à être moins à l’aise au centre-ville
Que dans le quartier sensible où ta jeunesse a grandi tranquille
D’autres sont nés avec la chance d’avoir la langue dominante
Qui s’habille d’l’accent des capitales scintillantes
En vrai ils n’ont pas de mérite d’être nés là ils sont nés
Mais ils ont l’passeport dans la guerre du langage français
On a les mêmes os, la même langue, le même sang mais j’oublie un détail
L’genre d’accent avec lequel j’finis mes phrases
C’monde peut cerner d’où j’viens et j’en ai pas dit plus
Humain, j’reste emprisonné par mes habitus

 

S’en servir

«Cocologie», spectacle de Coco Belliveau, affiche, métro de Montréal, 25 novembre 2025

Publicité, dans le métro de Montréal, pour le spectacle de l’humoriste Coco Belliveau. Son titre ? «Cocologie (n.f.)».

Cocologie ?

On l’a vu : le coco, dans le français populaire du Québec, c’est la tête. La cocologie, nom féminin (n.f.), c’est ce qui se trouve à l’intérieur de la tête : l’intelligence. Faire preuve de cocologie, c’est bien.

Bon spectacle.

Épluchage du jour

Publicité dans le métro de Montréal, 20 novembre 2025

Épluchons, si vous le voulez bien, cette publicité de la région de Lanaudière («Osez grand • Voyez grand»), vue dans le métro de Montréal.

Cette région est juste à l’extérieur des grands centres : l’air y est plus frais.

Il n’est donc pas étonnant que ses légumes, à leur tour, soient frais.

Qui a «l’air frais», dans le français populaire du Québec, n’est guère apprécié : ce peut être, en effet, un frais chié. C’est un peu plus inattendu.

À votre service.

 

P.-S.—Ce devait être à l’école primaire. Quelqu’un a reproché à l’Oreille d’avoir «l’air frais» («l’air fraîche» ?). Était-ce vrai ? Était-ce nécessaire ?