Les zeugmes du dimanche matin et de Frédéric Pommier

Frédéric Pommier, Paroles, paroles. Formules de nos politiques, 2012, couverture

Jean-Pierre Chevènement «prend donc des mesures, puis, à l’issue de la réunion, il prend également la parole au cours d’une conférence de presse […]» (p. 37).

«Mais elle n’est pas revenue. Ni aux fondamentaux ni dans la cuisine» (p. 90).

«Que se passe-t-il ? Tout d’abord on prend un café. Ou un whisky. Ou une menthe à l’eau. Puis on prend le temps, on discute» (p. 93-94).

P.-S. — Stricto sensu, le premier texte et le troisième ne sont pas des zeugmes, mais leur esprit relève de celui de cette figure de rhétorique.

Frédéric Pommier, Paroles, paroles. Formules de nos politiques, Paris, Seuil et France inter, 2012, 202 p.

Non, Solange ne te parle pas québécois

Le 16 avril, sur YouTube, nouvelle capsule de la série Solange te parle : Solange te parle québécois. À la première écoute, l’Oreille tendue avait trouvé fort réussi le passage, bière aidant, d’un accent parisien à un accent québécois, et bien choisies les expressions employées (bain là, nécessairement, dans le fond).

Qu’on en juge.

Dès sa sortie, la vidéo a été largement commentée, par exemple sur YouTube ou sur le blogue En tous cas.

Plus récemment, Hugo Dumas lui a consacré un article chagrin, «Solange te parle sans accent», dans la Presse du 10 mai 2012 (cahier Arts, p. 8). Il décrit d’abord la série Solange te parle et, s’agissant de Solange te parle québécois, il rappelle que Solange s’appelle en fait Ina Mihalache et qu’elle a vécu 19 ans au Québec avant de s’établir en France. Dumas est «extrêmement perplexe» devant la volonté d’Ina Mihalache de refuser, dès l’adolescence, l’«accent québécois» — comme s’il n’y en avait qu’un — au profit de l’«accent français» — bis. Il déplore qu’elle ait cessé de parler «en québécois pure laine», qu’elle se soit débarrassée «de son parler québécois», qu’elle ne parle plus «notre langue» : «se travestir vocalement à ce point, c’est troublant», écrit celui qui affirme pourtant ne pas «vouloir jouer au psy à cinq sous».

Laissons Dumas à ses états d’âme, mais insistons sur une chose, qui unit le journaliste et la comédienne : l’un et l’autre se trompent quand ils disent que la seconde a délaissé sa «langue maternelle», que, pour elle, c’est une «langue morte». Solange ne parle qu’une langue, le français, tantôt avec un accent, tantôt avec un autre. Il n’existe pas de langue qui s’appellerait «le québécois».

 

[Complément du 23 novembre 2015]

Nouvelle vidéo sur la même chaîne et le même sujet :

Même remarque : «en québécois» ? Non.

Le triomphe du différentiel

Samuel Archibald, Arvida, 2010, couverture

Soit les deux phénomènes suivants, indubitables l’un comme l’autre.

Il arrive que les écrivains, des plus obscurs au plus célèbres, soient fascinés par un mot ou une expression.

Samuel Archibald est, ces jours-ci, un des écrivains les plus célèbres au Québec. Encore cette semaine, il recevait le Prix des libraires pour son Arvida (2011). (L’Oreille parlait de ce recueil le 2 septembre 2011.)

Dès lors, une question se pose à l’exégète archibaldien : l’auteur d’Arvida a-t-il un mot fétiche ? Si oui, lequel. (Il n’y a pas de sinon.)

L’Oreille tendue propose l’hypothèse suivante : Samuel Archibald a un faible pour différentiel (pas l’adjectif, le substantif).

Démonstration

«C’est Jim qui conduit sur les chemins de bois quand son père est soûl. Il a aidé son père à monter dans le camion puis il a roulé lentement sur la route de la compagnie forestière. Son père ronflait à côté de lui quand c’est arrivé, juste avant la côte défoncée qui le rend toujours nerveux, la côte pleine de roulières où les camionneurs cassent souvent leur transmission et qu’ils appellent la côte du différentiel» (Arvida, p. 43).

«J’ai acquis là-bas [dans une shop] une certitude en germe, qui est moins une posture politique à part entière que ma morale d’écrivain et d’enseignant : je n’ai pas le droit de demander aux gens de s’intéresser à ce que j’écris ou d’écouter ce que j’ai à leur dire si je ne les écoute pas moi-même et si je ne m’intéresse pas du tout à la fabrication du nœud Rapala, au bon assemblage du tré-carré ou aux sensibilités particulières des différentiels» («Le néoterroir et moi», p. 25).

CQFD

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Archibald, Samuel, «Le néoterroir et moi», Liberté, 295 (53, 3), avril 2012, p. 16-26. https://id.erudit.org/iderudit/66334ac

Divergences transatlantiques 022

Daniel Grenier, Malgré tout on rit à Saint-Henri, 2012, couverture

Soit les deux phrases suivantes.

«ils sont pressés, tous, courant à la sortie des bureaux, mangeant, lorgnant les montres et les téléphones, portant les sacoches» (Ceux d’à côté, p. 22).

«Elle avait fait mine de fouiller dans sa sacoche, évitant de regarder dans sa direction, comme s’il avait été un mendiant» (Malgré tout on rit à Saint-Henri, p. 13).

La première sacoche, façon de parler, n’a pas de sexe : «Sac de cuir (ou parfois de toile forte) qu’une courroie permet de porter», dit le Petit Robert (édition numérique de 2010). En revanche, la seconde, au Québec, en a un, le féminin : «Sac à main (de femme)» (bis).

C’est comme ça.

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Mauvignier, Laurent, Ceux d’à côté. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2002, 156 p.