Il y a du pour et il y a du contre

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, 2010, couverture

Vous lisez, de l’Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos (2010).

Dans le premier texte, «Autoportrait du descendeur», Paul Fournel écrit, s’agissant de ski : «Les Canadiens sont arrivés sur le cirque avec la réputation de “crazy canaks” […]» (p. 12). Ce qui vous tient lieu de fibre canadienne nationale vous pousse à vous insurger. On ne doit pas confondre les «Canadiens fous à ski» (les «Crazy Canucks») et ces hybrides, qu’on imagine malgré tout de la Nouvelle-Calédonie, qui ne seraient ni tout à fait canaques ni absolument kanaks.

Puis, presque à l’autre bout du livre, Michèle Audin brosse l’«Autoportrait de la femme en quiétude» : «Les Canadiennes sont arrivées dans l’arène avec la réputation de “crazy canes à queue” […]» (p. 122). Vous êtes étonné, mais vous ne vous insurgez pas. Ne vaut-il pas mieux imaginer des «crazy canes à queue» que des «crazy canaks» ?

 

Référence

Oulipo, C’est un métier d’homme. Autoportraits d’hommes et de femmes au repos, Paris, Mille et une nuits, 2010, 138 p.

Le nono a la vie dure

Roy MacGregor, Complot sous le soleil, 2001, couverture

On grandit, et on s’imagine que les mots de son enfance disparaissent avec elle. On est convaincu que poche était sorti de l’usage, et on se trompe. On croyait nono désuet, et on se trompe encore.

Nono ? Le mot, substantif ou épithète, s’inscrit dans une série de termes désignant une forme, plus ou moins bénigne, de bêtise : deux de pique, épais, gnochon, gueurlo, insignifiant, moron, snôro, tarla, toton, twit — pour ne retenir que ceux-là. En 1980, Léandre Bergeron le définissait d’un synonyme : «Imbécile» (p. 337). C’est un brin trop fort.

Est nono qui est victime de sa nounounerie : «Tâchons de nous réjouir sans sombrer dans la nounounerie» (la Presse, 19 novembre 2003). La compagne du nono est généralement la nounoune, même si Gaston Dulong préfère la nonote (Dictionnaire des canadianismes, éd. de 1999, p. 352).

Où trouve-t-on le mot nono aujourd’hui ?

Dans les titres de presse : «Téléphone intelligent pour conducteur nono» (la Presse, 7 mars 2011, cahier L’auto, p. 18).

À la télévision : l’excellent blogue OffQc | Quebec French Guide en relevait récemment une occurrence dans la série les Parent.

Chez les traducteurs : «Pas le moustique, nono, dit Sim» (Terreur au camp de hockey, p. 27); «C’est pas les lunettes, nono !» (Complot sous le soleil, p. 68).

Sous la plume du chroniqueur de la Presse Pierre Foglia, qui est friand du mot. Un seul exemple, où il parle de son collègue Yves Boisvert : «il s’était fait offrir un repas par M. Accurso et [il] avait refusé, le nono» (la Presse, 20 décembre 2011, p. A8).

Bref, l’Oreille était nonote d’avoir cru à l’obsolescence du mot nono.

 

[Complément du 15 mars 2012]

Anne-Marie Beaudoin-Bégin, du blogue En tous cas…, signale à l’Oreille tendue l’entrée nono de la Base de données lexicographiques panfrancophone•Québec. On y découvre une nonotte (avec deux t). Merci.

 

[Complément du 31 janvier 2018]

Ces jours-ci, nono reprend du galon, si tant est qu’il en ait jamais perdu, grâce au premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Celui-ci a traité les membres d’un groupuscule québécois d’extrême droite, La Meute, de «nonos qui se promènent avec les pattes de chiens sur le t-shirt». Ce n’est pas la première fois que la langue de Justin Trudeau attire l’attention.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Dulong, Gaston, Dictionnaire des canadianismes, Sillery (Québec), Septentrion, 1999, xix/549 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

MacGregor, Roy, Complot sous le soleil, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 6, 2001, 148 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1997.

MacGregor, Roy, Terreur au camp de hockey, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 4, 1999, 142 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1997.

On ne s’en lasse jamais

L’Oreille tendue a eu plusieurs fois l’occasion de citer la prose singulière du périodique le Français à l’université de l’Agence universitaire de la francophonie. C’était le 4 novembre 2009, le 13 juillet 2010, le 24 octobre 2010, le 18 janvier 2011 et le 19 avril 2011.

Une nouvelle livraison vient de tomber dans sa boîte aux lettres. Délectons-nous de quelques phrases :

Issue des domaines littéraire et artistique où l’œuvre est extraite de son livre, de son cadre ou de son écran pour être repensée dans un ensemble de circonstances de production et de réception, la notion de contexte traverse aujourd’hui de nombreuses disciplines. […] Au point de tension entre le micro et le macro, entre le particulier et l’universel, [le] paradigme [du contexte] rencontre inévitablement celui de la complexité dans son sens étymologique («qui est tissé ensemble»), mettant en évidence son caractère systémique.

Tout est à faire rouler sur la langue dans ces lignes : «l’œuvre […] extraite de son livre, de son cadre ou de son écran», «la notion de contexte traverse [vraiment ?] aujourd’hui [ô révolution !] de nombreuses disciplines», le «point de tension entre le micro et le macro», les paradigmes «du contexte» et «de la complexité», le «caractère systémique» du premier (pas du second ?).

Un mot suffira pour résumer la pensée de l’Oreille : encore !

 

Référence

Le Français à l’Université, 16, 3, 2011, p. 1.

L’identité québécoise

Les sociologues, les historiens et les littéraires l’ont, à juste titre, dit et redit : on peut suivre l’évolution des interrogations identitaires de ceux qu’on nomme aujourd’hui Québécois en s’attachant aux adjectifs qu’on a utilisés pour les désigner (canadiens, canadiens-français, québécois).

Les psychanalystes, eux, ont depuis longtemps du grain à moudre avec un panneau fréquemment vu sur les routes de la Belle Province :

Est-il vraiment possible de confondre ses propres enfants («le vôtre») avec ceux des autres («nos enfants») ? Pareil trouble de l’identité familiale ne devrait-il pas inquiéter ?

P.-S. — Ce panneau ne tarabuste pas l’Oreille tendue d’aujourd’hui; c’est une de ses plus vieilles marottes. Si elle en parle maintenant, c’est parce que ce panneau routier vient d’être adapté au goût du jour. Des manifestations étudiantes récentes ont donné lieu à des affrontements avec la police. D’où ceci :

 

[Complément du 31 janvier 2015]

Vieillissement de la population oblige, il existe désormais une nouvelle version du panneau. (Merci à @JC_Theriault.)

Panneau «Attention à nos p’tits vieux. C’est peut-être le vôtre»

 

[Complément du 3 juillet 2016]

Variation sur un thème connu, Lévis (Québec), 2016. (Merci à @gpinsonm19.)

Panneau routier, Lévis (Québec), 2016

 

[Complément du 22 juin 2020]

Album musical parental :

Guillaume Mansour, album Attention à nos enfants, c’est peut-être le vôtre, 2020, pochette

 

[Complément du 17 décembre 2023]

Beaucoup d’enseignants québécois sont en grève. D’où ceci :

«Attention à nos enseignants c’est peut-être le vôtre», Pancarte, grève des professeurs, Montréal, 2023