A volonté

Bons mangeurs et bons buveurs, les Québécois aiment aussi économiser. Ils apprécient les buffets à volonté et les bars ouverts, là où l’on s’empiffre et s’imbibe pour un prix unique réputé modique.

Bar ouvert est d’ailleurs devenu synonyme de générosité indue, souvent gouvernementale, dans bien d’autres domaines que la restauration.

«Avis aux propriétaires immobiliers et à ceux qui envisagent de devenir propriétaire : le bar ouvert hypothécaire tire à sa fin» (la Presse, 3 mars 2010, cahier Affaires, p. A1).

«Le Trésor n’est pas un “bar ouvert”. Jean Lapierre affirme qu’Ottawa n’offrira pas la lune à Bombardier» (le Devoir, 9 novembre 2004).

«Patrimoine : “Pas de bar ouvert”, dit Christine St-Pierre» (le Devoir, 19 février 2008, p. B8).

«Le CPQ espère que Québec ne deviendra pas un “bar ouvert”» (le Devoir, 22 décembre 2008, p. A2).

Les Québécois aiment aussi le festival : il y en a des centaines dans la Belle Province.

Julie Snyder, la dulcinée de PKP, a opéré la semaine dernière une fusion inattendue de ces trois expressions populaires, en parlant de «festival du buffet ouvert des injures» («Procès en diffamation intenté par Pierre Karl Péladeau contre Sylvain Lafrance. Julie Snyder défend son amoureux», la Presse, 13 novembre 2010, p. A14).

Ça fait beaucoup.

Les joies du bilinguisme

Cette publicité, dans la vitrine de l’épicerie près de chez l’Oreille tendue, il y a quelques jours :

«Sans gluten free», publicité, Montréal, 2010

Premier réflexe : qu’est-ce que ce «gluten free» qu’il n’y a pas dans le produit en montre («sans gluten free») ?

Deuxième réflexe : voilà ce que c’est que d’habiter une ville bilingue («sans gluten» / «gluten free»).

Toutes les occasions de citer Gaston Miron étant bonnes, saisissons celle-ci :

Dès que j’ai pu me rendre compte du monde extérieur, je trempais dans un environnement linguistique à prépondérance anglaise et bilingue, le français étant réservé à l’usage domestique. Ce chevauchement des deux langues, plus exactement d’une langue sur l’autre, finissait par composer une trame indifférenciée, les mots allaient par couples et ces paires de signes me saisissaient comme un seul signal. Door/porte, pull/tirer, pont/bridge, meat/viande, lundi/monday, péage/toll, men/hommes, address/adresse, merci/thank you, bienvenue/welcome, etc. Et j’étais cerné par l’affichage, l’annonce, la réclame. Le monde était tel, pensais-je (p. 222).

 

Référence

Miron, Gaston, «Le bilingue de naissance», Maintenant, 134, mars 1974; repris dans l’Homme rapaillé. Poèmes, Montréal, Typo, 2005, 258 p. Préface de Pierre Nepveu. Édition originale : 1998.

De la binette

Marcienne Martin, Dictionnaire des pictogrammes numériques et du lexique en usage sur Internet et les téléphones portables, 2010, couverture

Sous la signature de Marcienne Martin, les Éditions L’Harmattan viennent de faire paraître un Dictionnaire des pictogrammes numériques et du lexique en usage sur Internet et les téléphones portables (2010, 154 p.).

Dans le communiqué de presse, il est précisé que ce dictionnaire «a un caractère non exhaustif étant donné les possibilités illimitées que possède une langue en cours de création». Question, dès lors : pourquoi publier un dictionnaire papier d’un objet aussi mobile, voire éphémère, que les pictogrammes numériques et que le lexique lié à une technologie particulière ? Un site Web interactif ne serait-il pas plus approprié ? Devant un objet qui change aussi rapidement, pourquoi se limiter à un ouvrage imprimé condamné à une prévisible obsolescence ?

Mince consolation : on peut acheter le PDF du livre. (De là à le lire sur son téléphone, c’est une autre histoire.)

P.-S. — Binette ? Plutôt qu’émoticône, c’est la traduction que proposait dès 1995 l’Office québécois de la langue française du mot «smiley».

Le guide alimentaire canadien, bis

En première page du journal la Presse les 6-7 novembre : «Quand les restaurants mangent leurs bas.» Voilà qui devrait étonner.

S’il est vrai que l’on nous recommande souvent de manger régulièrement des fibres, ce titre peut paraître aller un tantinet trop loin. N’est-ce pas exagérer le souci de son transit intestinal ? Est-ce pour cela que le magazine Québec science a déjà parlé du Québécois comme d’un «mangeur distinct» (été 2009) ?

On aurait tort de le penser : au Québec, manger ses bas n’a rien à voir avec l’alimentation. L’expression désigne plutôt un échec complet, ou du moins un échec appréhendé : voilà ce qu’il nous reste quand tout a échoué. Celui qui mange ses bas doit ravaler son honneur. Désespéré, il est à la dernière extrémité.

L’Oreille tendue se demande — mais sans impatience excessive — d’où pareille expression peut bien venir.

P.-S. — Manger ses bas peut aussi signifier être nerveux. «J’ai pensé à Denys Arcand, qui devait être en train de manger ses bas […]» (la Presse, 26 mai 2003). Ce n’est pas l’usage le plus courant.

Une tête bien faite

L’université de l’Oreille tendue souhaite la former. Soit. Celle-ci a donc assisté récemment à une «formation pour cadre académique». (Elle laisse ses lecteurs rêver au PowerPoint qu’on nous a asséné.)

Elle y a découvert des choses; elle n’en disconvient pas. Cela dit, on lui a appris que nous avions l’obligation d’«instrumenter nos processus» et «nos décisions». Si elle a bien compris, elle devrait être elle-même «instrumentée». Elle n’a pas osé demander ce que cela voulait dire; froussarde qu’elle est, elle avait peur de la réponse.