Retard du blogueur non tatoué

Toute contente, hier, de découvrir, à l’émission de radio Citoyen numérique de Michel Dumais, l’expression «tatouage des fichiers», dans la bouche de Gilles Herman des Éditions du Septentrion. Quelle jolie expression !

Par acquit de conscience, l’Oreille tendue jette un coup d’œil au Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Déception : elle y est.

Tatouage numérique : «Technique de marquage qui consiste à insérer une signature invisible et permanente à l’intérieur des images numériques transitant par les réseaux, tel Internet, afin de lutter contre la fraude et le piratage et d’assurer la protection des droits de propriété intellectuelle.»

Le mot existe en ce sens depuis… 1999.

Selon le GDT, le tatouage numérique, ou filigranage numérique, ou marquage numérique, est seulement affaire d’image ou de «document audiovisuel numérique». En fait, désormais, on l’emploie aussi pour les fichiers textuels; il faudrait le préciser.

Maigre consolation.

Le message ne passait plus

Motif fréquent de congédiement d’entraîneur dans le sport professionnel. Ne s’emploie que dans un sens : du haut vers le bas, du chef vers ses employés. Exemple : «Il semble que le message n’ait pas passé, comme ils disent dans les arénas» (la Presse, 8 juillet 2009, Sports, p. 6).

Du temps où il était entraîneur, on a pu utiliser ce motif pour expliquer le sort réservé à Jacques Demers. Ça ne risque pas de lui arriver au Sénat, où il a un contrat garanti (pour rester dans le jargon sportif) de dix ans.

Citation tourangeau-malaise du jour

Jean Echenoz, l'Équipée malaise, 1986, couverture

«— On ne parle pas chinois, dit-elle, dans la Mayenne. Tu as parlé en chinois. Tu as appelé là-bas.

Pas en chinois, s’abstint de relever Pons. En malais. Et dans le meilleur malais. L’État de Johore, où se trouve la plantation, est connu comme celui où l’on parle la langue la plus pure, la plus exempte d’accents régionaux, d’influences allogènes. C’est un peu comme la Touraine pour nous autres.»

Jean Echenoz, l’Équipée malaise. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1986, 251 p., p. 132.

Citation belge du jour

Jean-Marie Klinkenberg, la Langue et le citoyen, 2001, couverture

«Il en va du français comme de toute autre langue : il n’existe pas. Pas plus que l’allemand ou l’espagnol, d’ailleurs. Ce qui existe, ce sont des Français, des Allemands, des Espagnols. Le joual du déneigeur montréalais, le français de l’ouvrier spécialisé maghrébin de chez Renault, le français teinté de wallonisme de mes cours de récréation verviétoises, le français classieux et branché du triangle d’or Neuilly-Auteuil-Passy, le français, non moins branché, du Paname à Renaud, celui du beur de Sarcelles et celui du sérigne sénégalais, celui des trottoirs de Rabat et celui des marchés de Kinshasa, le français caldoche et l’acadien, le québécois et le negro french. Et la langue de la Chanson de Roland, avec ses déclinaisons ? Encore du français. Comme le créole haïtien. Comme la langue de Céline avec sa ponctuation haletante. Comme celle de Cavanna avec son oralité, et celle de Claudel avec ses périodes.»

Jean-Marie Klinkenberg, la Langue et le citoyen. Pour une autre politique de la langue française, Paris, Presses universitaires de France, coll. «La politique éclatée», 2001, 196 p., p. 24-25.

Le serpent de mer

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

À l’occasion de la parution prochaine de l’essai Zéro faute. L’orthographe, une passion française de François de Closets, l’hebdomadaire le Point publie un dossier avec titre en couverture : «Orthographe. La grande injustice» (numéro 1928, 27 août 2009, p. 46-54).

De Closets se souvient qu’il a été «un jeune délinquant orthographique», rejeté par les «graphocrates» et les «graphorigides». Résigné, il ne croit pas à une réforme : «On ne peut plus résoudre la crise de l’orthographe actuelle par une simplification, il faudrait faire une réforme de très grande ampleur, qui serait rejetée.» La solution ? Les correcteurs informatiques. (Ça ne s’invente pas.)

Le dossier contient tous les lieux communs d’usage. «L’orthographe est en crise. Collégiens, étudiants, cadres : les nouvelles générations ne savent plus écrire trois phrases sans erreurs» (Fabien Roland-Lévy). «Notre langue [est] magnifique dans son ordonnancement général» (François de Closets). «Je n’entrerai pas dans la querelle du niveau général des élèves d’aujourd’hui. Ce que je sais, c’est qu’en français ce niveau décline» (Érik Orsenna).

Quand on sait que la dernière proposition de rectifications orthographiques date, en France, de décembre 1990, on doit constater que la discussion est toujours aussi mal nourrie. Le «psychodrame national» (Fabien Roland-Lévy) n’est pas prêt de se régler.

 

Référence

Closets, François de, Zéro faute. L’orthographe, une passion française, Paris, Mille et une nuits, 2009, 300 p.