Sous la direction de Dorothée Aquino-Weber et Sara Cotelli Kureth, les Cahiers internationaux de sociolinguistique consacrent leur 21e livraison aux «Chroniques de langage dans la francophonie» (147 p., ISBN : 978-2-14-030354-8). L’Oreille tendue a le plaisir d’en être; merci aux éditrices de lui avoir donné l’occasion de raconter sa vie.
Table des matières
Cotelli Kureth, Sara et Dorothée Aquino-Weber, «Les chroniques de langage dans la Francophonie : état des lieux», p. 7-35
Partie 1 : Témoignages de chroniqueuses et chroniqueurs
Feltin-Palas, Michel, «Par amour de la diversité culturelle», p. 39-43
Francard, Michel, «Heurts et bonheurs d’un chroniqueur de langue», p. 45-50
Gasquet-Cyrus, Médéric, «“Dites-le en marseillais”, la vulgarisation linguistique par le divertissement», p. 51-57
Matthey, Marinette, «Mais pourquoi des chroniques de langage ?», p. 59-66
Melançon, Benoît, «De Montréal, tendre l’oreille», p. 67-71
Nadeau, Jean-Benoît, «Pourquoi je chronique», p. 73-77
Partie 2 : Les chroniques de langage dans la Francophonie : analyses
Gauvin, Karine, «À propos des chroniques de langage en Acadie», p. 81-102
Aquino-Weber, Dorothée et Sara Cotelli Kureth, «Les régionalismes dans les chroniques de langage de Suisse romande : un premier aperçu», p. 103-127
Dister, Anne, «Maurice Grevisse et André Goosse : du bon usage au français universel», p. 129-145
Depuis Marina Yaguello dans les années 1980, nous sommes nombreux à avoir voulu lutter, dans de courts ouvrages accessibles, contre les idées reçues en matière de langue. C’est le cas, entre autres auteurs francophones, de Chantal Rittaud-Hutinet (compte rendu), d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin (compte rendu), de Michel Francard, d’Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (comptes rendus un et deux), de Maria Candea et Laélia Véron (compte rendu), et de l’Oreille tendue. Avec Délier la langue. Pour un nouveau discours sur le français au Québec, Mireille Elchacar apporte sa pierre à l’édifice.
L’an dernier, avec Amélie-Hélène Rheault, Elchacar publiait «La présence des linguistes lors de débats sur la langue dans la presse écrite québécoise». Soucieuse de cette «présence», elle souhaite qu’elle soit de plus en plus importante (p. 11-13, p. 16, p. 17). Elle invite ses collègues à s’en prendre aux «idées reçues» (p. 7, p. 62, p. 121) et «aux discours convenus sur le français au Québec» (p. 17), à rejeter le «discours moralisateur» (p. 10, p. 144), «dénigrant» (p. 16) ou «puriste» (p. 60).
Pour sa part, dans cet «exercice de vulgarisation» (p. 7), elle s’attaque à deux questions, notamment dans une perspective historique : les anglicismes, l’orthographe. Des premiers, elle rappelle qu’ils sont trop souvent uniquement affaire de jugement de valeur. De la seconde, elle montre qu’elle est incohérente, illogique et opaque en français et qu’elle devrait être réformée, et elle insiste sur les difficultés pédagogiques que pose son enseignement. Il faudrait sortir de la «nostalgie d’un passé qui n’a jamais existé» (p. 70).
Mireille Elchacar a recours à un très grand nombre d’exemples. Certains sont bien choisis. Pourquoi remplacer cocktail par coquetel (p. 54, p. 64) ? Comment écrire alibi si on n’a jamais vu ce mot (p. 134-135) ? D’autres sont moins convaincants. Baby-foot n’est pas un «faux anglicisme» spécifique au Québec (p. 34 n. ii). Ni baseball ni camping ne sont du «registre familier» dans cette aire linguistique (p. 49). Pendant des années, le discours médiatique québécois sur la langue a été obsédé par la tournure la fille que je sors avec; est-ce encore d’actualité (p. 59-60) ?
À juste titre, l’autrice insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de toujours distinguer les registres quand on réfléchit aux phénomènes linguistiques, de même qu’aux rapports complexes de l’oral et de l’écrit. Elle fait bien ressortir le fait que le français québécois n’a pas de syntaxe qui lui serait propre (p. 58-61); il n’existe pas de langue qui s’appellerait le québécois. Elle propose d’utiles synthèses (p. 61). Des formules font mouche : «Nous vivons en ce moment la plus grande période de fixité de l’orthographe française» (p. 113).
Délier la langue se termine sur «Quelques pistes pour l’avenir» (p. 139-145). Mireille Elchacar souhaite que le Québec soit à l’«avant-garde» de l’«amélioration de l’orthographe française» (p. 140), en allant plus loin que les réformes de 1990 (p. 140-141) et en revoyant les règles de l’accord du participe passé (p. 142-144). Elle appelle aussi de ses vœux «une nouvelle manière de parler de la langue au Québec» (p. 145) fondée sur les travaux des linguistes et non sur les discours s’en prenant aux seules fautes, réelles ou supposées.
Entendons-la.
P.-S.—L’Oreille tendue, dix-huitiémiste de son état, est tatillonne en matière de Siècle des lumières : non, l’Encyclopédie, qui a paru de 1751 à 1772, ne compte pas 35 volumes (p. 32), mais 28 (17 de textes, 11 d’illustrations). Il ne faut pas confondre l’Encyclopédie dirigée par Diderot et D’Alembert et son Supplément, avec lequel ils n’ont rien à voir.
P.-P.-S.—L’Oreille tendue, bibliographe de son état, est tatillonne en matière de références. Elle ne s’explique pas qu’on puisse évoquer nombre de textes sans en donner ni la référence ni, au moins, le titre ou la date de parution (p. 10-12, p. 14, p. 15, p. 19, p. 33). Elle déplore que, dans la bibliographie finale, le même titre apparaisse sous deux formes (p. 152 et p. 154; p. 157). Des titres cités ne se trouvent pas en bibliographie (p. 89, p. 141). Dire d’Alain Rey qu’il est «coauteur du Petit Robert» (p. 100) est abusif. Tout ça fait désordre.
Elchacar, Mireille et Amélie-Hélène Rheault, «La présence des linguistes lors de débats sur la langue dans la presse écrite québécoise», dans Carmen Marimón Llorca, Wim Remysen et Fabio Rossi (édit.), les Idéologies linguistiques : débats, purismes et stratégies discursives, Berlin, Berne, Bruxelles, New York, Oxford, Varsovie et Vienne, Peter Lang, coll. «Sprache – Identität – Kultur», 2021, p. 277-301.
Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, la Convivialité. La faute de l’orthographe, Paris, Éditions Textuel, 2017, 143 p. Préface de Philippe Blanchet. Illustrations de Kevin Matagne.
Hoedt, Arnaud et Jérôme Piron, Le français n’existe pas, Paris, Le Robert, 2020, 158 p. Préface d’Alex Vizorek. Illustrations de Xavier Gorce.
Pour des raisons évidentes, la survie du français au Québec est depuis longtemps un objet d’inquiétude. Comment quelques millions de personnes pourront-elles conserver leur langue alors qu’elles sont entourées de centaines de millions d’anglophones ?
Cette inquiétude légitime se transforme parfois en alarmisme.
On l’a vu quand une partie des données du plus récent recensement canadien ont été rendues publiques il y a quelques semaines. En fonction des indicateurs retenus, les avis divergeaient, mais beaucoup de commentateurs ont pronostiqué la disparition de la langue française au Québec à plus ou moins long terme. (La position de l’Oreille tendue ? Elle tient en un tweet.)
On le voit encore dans cette publicité électorale du Parti québécois.
Elle ne se distingue pas par son sens de la nuance. On peut en retenir au moins deux choses.
En 2022, à l’exception d’une partie du Québec, le Canada paraît uniformément anglophone, d’un océan à l’autre. Les francophones hors Québec, notamment ceux des provinces de l’Atlantique, apprécieront leur disparition de la carte linguistique du pays.
La capsule publicitaire est marquée par un catastrophisme que ne partagent pas tous les démolinguistes : «Le français recule à vitesse grand V au Québec», y entend-on. Si l’on croit le parti qui a fait voter la Charte de la langue française (la loi 101) en 1977 — c’était il y a 45 ans —, dans 28 ans, on ne parlera plus français au Québec. La marée rouge submergera Montréal vers 2030, la ville de Québec vers 2033, puis l’ensemble du territoire provincial en 2050.
Certes, la publicité n’est généralement pas caractérisée par ses nuances. Cela ne devrait pas empêcher de se garder une petite gêne avant de laisser entendre n’importe quoi.
Cahiers internationaux de sociolinguistique, 20, 2022. Dossier «Langues minorées : des décisions de justice et de leurs effets. L’exemple de la loi Molac (France 2021) et de ses suites», sous la direction d’Eguzki Urteaga et Philippe Blanchet.
Dürrenmatt, Jacques, Frédéric Duval, Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt, Chronologie de l’histoire de la langue française, Paris, Bescherelle, coll. «Bescherelle culture – Chronologies», 2022, 320 p.
Langage et société, 176, 2022, 176 p. Dossier «Quand les animaux participent à l’interaction sociale. Repenser le “tour de parole”», sous la direction de Chloé Mondémé.
Langue française, 214, juin 2022. Dossier «L’esprit encyclopédique moderne en France entre 1690 et 1902», sous la direction de Denis Vigier.
Lexique, 29, 2021. Dossier «Les phraséologismes pragmatiques. Préfabrication et lexiculture», sous la direction de Gaétane Dostie et Dorota Sikora.
Semen, 50, 2, 2022. Dossier «Le langage engagé. Perspectives politiques critiques en sciences sociales du langage», sous la direction de Richard Guedj, Manon Him-Aquilli et Sandra Nossik.