Accouplements 229

Collage de couvertures de livres de Peter Handke et Jean Tortel

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

En 1980, les éditions Gallimard publient, de Peter Handke, le Poids du monde. Un journal (Novembre 1975-Mars 1977), dans une traduction de Georges-Arthur Goldschmidt. Aucune des entrées ne se termine par un point final.

En 1987, les éditions André Dimanche publient, de Jean Tortel, Passés recomposés. Tous les vers se terminent par un point final.

Le zeugme du dimanche matin et de Maylis de Kerangal

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, 2012, couverture

«Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d’une centaine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, futes camouflage et slips kangourous, la chaînette religieuse qui joue sur le poitrail, des gars en guise de parois dans les sas et les couloirs, des gars assis, debout, allongés sur les couchettes, laissant pendre leur bras, laissant pendre leurs pieds, laissant pendre leur ennui résigné dans le vide, plus de quarante heures qu’ils sont là, à touche-touche, coincés dans la latence du train, les conscrits.»

Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est, Paris, Verticales, coll. «Minimales / Verticales», 2012, 136 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le zeugme du dimanche matin et de Hervé Le Tellier

Hervé Le Tellier, Mon dîner avec Winston, 2023, couverture

«Cet homme-là, eh bien, il se balade tranquillement sur une petite route, en Bavière. Un Français, dans une voiture japonaise, en Bavière, et en paix. Oui, l’Europe est en paix, à peu près.»

Hervé Le Tellier, Mon dîner avec Winston, avant-propos, chronologie et notes de l’auteur, Paris, Gallimard, coll. «Folio théâtre», 2012, 2023, 78 p., p. 24.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 227

Max Weinreich, «A language is a dialect with an army and navy», en anglais et en yiddish, 1945

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Essai sur le caractère et les mœurs des François comparés à ceux des Anglois, À Londres, 1776, 284 p. Paru anonymement. Texte de Jean-Jacques Rutlidge. (Orthographe modernisée.)

«Lorsque la langue d’un peuple devient plus générale que celle d’un autre, nous n’en devons pas tant chercher la cause dans son excellence, que dans les considérations politiques qui peuvent opérer cet effet. Quand une grande nation brille avec éclat et étend sa puissance par ses conquêtes et ses établissements, il est naturel que le monde en prenne connaissance, et il s’ensuit nécessairement que l’usage de sa langue s’étende à proportion de la correspondance que ses acquisitions et la multiplicité des affaires forcent d’avoir avec elle. Ainsi, la langue latine devint universelle du temps des Romains, et l’espagnol a été aussi à la mode que le français l’est aujourd’hui : mais on ne doit pas inférer de là que les nations française ou espagnole aient été en vénération chez leurs voisins, dès qu’on voit au contraire que leur politique les a fait détester. Rien que la nécessité de négocier avec elles n’a pu obliger de parler leur langue, parce que leur interposition dans toutes les affaires la rendait la plus commune : d’où l’on peut conclure que l’extension de la langue française, ce motif si souvent plaidé en sa faveur, au lieu de nous convaincre de son excellence et de la préférence qu’elle mérite, a un effet contraire et sert plutôt à nous rappeler l’ambition et l’inquiétude qui sont la vraie et injuste origine de cette vaste extension» (p. 268-269).

Weinreich, Max, Yivo [Yiddish Scientific Institute] bleter, 25, 1, 1945.

«A language is a dialect with an army and navy.» (Pour en savoir plus, voir ici ou .)

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

«Une langue, c’est un dialecte qui s’est doté un jour d’une armée, d’une flotte et d’un commerce extérieur…» (éd. de 1986, p. 118)

Plamondon, Éric, Oyana, Meudon, Quidam éditeur, 2019, 145 p.

«Je n’ai jamais oublié cette phrase qu’il m’avait dite : une langue, c’est un patois qui a gagné la guerre» (p. 45).

 

P.-S.—Les citations de Belleau et de Plamondon vous disent quelque chose ? C’est normal.

Les zeugmes du dimanche matin et de Maylis de Kerangal

Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont, éd. de 2020, couverture

«Sanche ne connaît ni le vertige ni la difficulté de travailler en solitaire dans un espace restreint, il a le sens de l’équilibre et des responsabilités, celui de la sécurité — les grues sont dangereuses sur un grand périmètre —, enfin il est doué d’une formidable capacité de concentration : il a trouvé sa place.»

«Sanche accourt à la table, zigzague dans la salle pleine et moite, parmi les fronts qui ruissellent, les bouches humectées d’alcool et d’allégations débiles […].»

Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5339, 2020, 336 p. Édition numérique. Édition originale : 2010.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)