Un mot peut en cacher un autre

«Posons des gestes», dit la Ville de Montréal

Dans sa vie professionnelle, l’Oreille tendue fréquente nombre de collègues hexagonaux. Ce sont eux qui lui ont appris — ô étonnement ! — ne pas connaître l’expression poser un geste. Pourtant, pour elle, rien de plus banal : dans les médias comme dans la conversation, au Québec, le geste appelle poser, comme Abbott, Costello (les lecteurs peuvent remplacer ce duo par celui de leur choix).

Son Petit Robert (édition numérique de 2010) considère lui aussi l’expression comme un régionalisme : «(Canada) Poser un geste : entreprendre une action. Poser un geste pour la planète

Voilà pourquoi telle manchette de la Presse attire l’œil de l’Oreille : «Les sauveteurs n’ont pas fait les bons gestes, dit la coroner» (23 juin 2011, p. A16). Sous ce «fait», il y a un «posé» qui gît.

P.-S. — L’expression n’est pas particulièrement récente. On la trouve dans la bouche d’un des personnages de Gratien Gélinas en 1950 : «Le geste irréparable que tu vas poser là, ma fille, tu sais qu’il n’est pas beau […]» (p. 186).

 

[Complément du 28 octobre 2015]

Ce matin, ce tweet :

 

Référence

Gélinas, Gratien, Tit-Coq. Pièce en trois actes, Montréal, Beauchemin, 1950, 196 p. Ill.

Réponses de la Saint-Jean

Que célèbre-t-on en ce 24 juin, fête de la Saint-Jean-Baptiste et fête nationale, dans la Belle Province ? Ce qui est d’ici : la «Beauté d’ici» (la Presse, 22 juin 2001, cahier Arts et spectacles, p. 8), la «science d’ici» (publicité de Télé-Québec, la Presse, 4 janvier 2011, p. A2), le «fromage suisse d’ici» (publicité, novembre 2006) — bref, les «gens d’ici» («C’est dans les chansons», chanson de Jean Lapointe).

Est-il difficile de décrire, à la télévision, un match de basket en espagnol ? Si, affirme le Wall Street Journal du 8 juin, exemples à l’appui. (Merci à l’antenne québéco-angeleno de l’Oreille tendue.)

Existe-t-il un «lexique bio» ? Oui, comme le démontre Éric Chevillard sur l’Autofictif en date du 23 juin, s’agissant de galettes «à la farine de blé de meule».

Quelqu’un a-t-il pensé à établir un «Lexique des idées reçues littéraires» dans la France d’aujourd’hui ? Oui, et ça fait mouche : l’Empire des signes, le 22 juin.

Faut-il soigner sa typographie en distinguant bien les minuscules des majuscules ? Oui, sinon on risque de confondre, comme dans les Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010), un «club optimiste des Basses-Laurentides» (p. 170) et un «club Optimiste des Basses-Laurentides», par exemple celui de Saint-Antoine.

Le Web offre-t-il des outils utiles pour la rédaction de discours politiques ? Oui, notamment le Générateur de langue de bois, conçu pour la présidentielle française de 2007, mais toujours d’actualité pour celle de l’année prochaine.

Quelqu’un a-t-il essayé, d’un point de vue sociolinguistique, de décrire «la norme grammaticale du français parlé» des élites du Québec ? Oui, Davy Bigot, dans le premier numéro d’une nouvelle revue numérique, Arborescences : revue d’études françaises. Sa conclusion ? «[Les] membres des élites sociale et culturelle du Québec emploient de façon homogène [en situation de communication formelle] un modèle grammatical oral très proche de celui présenté dans Le bon usage (donc de l’écrit).» Cette conclusion rejoint celle de Marie-Éva de Villers, qui s’intéressait dans son livre de 2005 au lexique québécois; on s’étonne d’autant de ne pas voir ce livre dans la bibliographie de l’article de Bigot. (En matière de français québécois, on préférera cet article à celui de Denyse Delcourt paru en 2006, qui est moins bien informé.)

 

Références

Bigot, Davy, «De la norme grammaticale du français parlé au Québec», article numérique, Arborescences : revue d’études françaises, 1, 2011. https://doi.org/10.7202/1001939ar

Delcourt, Denyse, «“Parler mal” au Québec», article numérique, Mondesfrancophones.com. Revue mondiale des francophonies, 4 avril 2006. http://mondesfrancophones.com/espaces/langues/parler-quebec/

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Villers, Marie-Éva de, le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p. Ill.

Marie-Éva de Villers, le Vif Désir de durer, 2005, couverture

Explication cynégétique du jour

Orignal mort, dans un camion

Soit la phrase suivante, tirée du Charme discret du café filtre d’Amélie Panneton (2011) :

C’est l’automne et c’est la saison des Japonais, un peu comme c’est la saison des orignaux : bien qu’on ne les voie jamais écartelés sur le toit d’un camion, ils deviennent tout de même le point de mire de l’industrie touristique au grand complet (p. 72).

Pour la comprendre, il n’est pas inutile de savoir que les chasseurs québécois aiment bien exhiber sur leur véhicule la carcasse de leurs victimes (ici : un orignal).

On ne sache pas, en effet et en revanche, que ce soit vrai des touristes de l’Empire du Soleil levant, même si les chantres du développement touristique aimeraient que les visiteurs étrangers restent le plus longtemps possible dans la Belle Province.

 

Référence

Panneton, Amélie, le Charme discret du café filtre. Nouvelles, Montréal, Éditions de la Bagnole, coll. «Parking», 2011, 158 p.

Québécasie

François Barcelo, J’haïs le hockey, 2011, couverture

On l’a dit à maintes reprises : le Québec aime les capitales. (Voyez la catégorie du même nom, en bas, à droite.) Encore ce samedi, dans le cahier Vacances voyage de la Presse, en titre : «Lanaudière / Saint-Zénon. La capitale mondiale de la mouchetée» (p. 13). (Il s’agit de truite, bien sûr.)

Il était dès lors prévisible que les romanciers s’emparent de cette obsession provinciale.

Exemple tiré du roman J’haïs le hockey, mi-polar ni-humour noir, de François Barcelo (2011) : «C’en est rendu que Saint-Zéphyrin se qualifie maintenant, sur un grand panneau que vous pouvez voir à l’entrée de la ville, de “capitale québécoise de la cuisine exotique”» (p. 15). Cela s’explique facilement : il y a une forte population «québécasienne» (p. 17) dans cette ville (fictive), en l’occurrence des Vietnamiens ou des enfants de familles dont un des parents est vietnamien.

P.-S. — Le narrateur s’appelle «Vachon» sur la quatrième de couverture et à la p. 6, puis «Groleau» dans le reste du roman. Ça fait désordre.

 

Référence

Barcelo, François, J’haïs le hockey. Roman, Montréal, Coups de tête, coll. «Roman noir», 45, 2011, 111 p.