«Nous échangeons un sourire d’abord, nos gâteaux ensuite.»
Marie-Pascale Huglo, Peaux, Québec, L’instant même, 2002, 143 p., p. 138.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
Les jurons constituent une grande part du patrimoine linguistique québécois.
Certains romanciers rappellent qu’il s’agit d’un héritage à transmettre; c’est le cas de François Blais.
Les auteures de l’inénarrable ouvrage le Parler québécois pour les nuls (2009), dont l’Oreille tendue parlait hier, ont un chapitre intitulé «Jurons québécois» (chapitre 15, p. 213-216). On y apprend notamment qu’il faut distinguer le sacre (le juron) «comme substantif» (le petit crisse), «comme adjectif qualificatif» (une crisse de grosse montagne), «comme adverbe d’intensité» (crisse que t’es fin) et «comme verbe» (j’ai crissé ma job là). Cette partition se tient. (Sur le strict plan des catégories grammaticales, il y a du travail à faire.) En revanche, la nomenclature fait place à des termes inconnus des sacreurs impénitents (l’Oreille, par exemple). «Colaye» ? «Câlache» ? «Criffe» ? «Estin» ? «Sacrafayeïce» ? «Cibon» ? «Ciboulon» ? L’Oreille est sceptique.
Elle aurait peut-être intérêt à consulter Artiom Koulakov, ce linguiste russe que présentait le Devoir de la fin de semaine dernière («Juré sacré, kamarad !», 10-11 avril 2010, p. D5). Selon ce professeur de l’Université d’État de Saratov, «avec un nombre limité de gros mots, “les Québécois ont créé un nombre infini de sacres”. Voilà de quoi être fier.» Infini ? Vraiment ?
Quoi qu’il en soit, comme le signalait Jean Dion sur son blogue, le Québec vient de perdre, en la personne du syndicaliste Michel Chartrand, un de ses plus fidèles praticiens du sacre (crisse, câlisse, hostie, calvaire, estie, etc.).
Heureusement, la relève est là.
Références
Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.
Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.
Sabourin, Marc-André, «Juré sacré, kamarad ! Quand un linguiste russe s’entiche du juron québécois», le Devoir, 10-11 avril 2010, p. D5.
Avec Pierre Popovic, nous proposions, dans le Village québécois d’aujourd’hui (2001), puis dans le Dictionnaire québécois instantané (2004), la définition suivante du mot souche : «A longtemps désigné ce que le bûcheron laissait derrière lui. Désigne maintenant le bûcheron lui-même.»
En 2004, nous définissions coupe (sentir la ~) ainsi : «Archaïsme hockeyistique. Rappelle le temps où la flanelle était sainte et les glorieux glorieux.»
Husqvarna fabrique, entre autres choses, des tronçonneuses. Sa plus récente publicité télévisée ? «Ça sent la coupe.»
Où le bûcheron rejoint l’amateur de hockey, autour d’une souche.
P.-S. — Pour les non-autochtones, un mot d’explication n’est peut-être pas inutile : l’équipe de hockey de Montréal s’appelle les Canadiens; on dit également la sainte flanelle et les Glorieux. Il fut un temps où cette équipe remportait plus souvent qu’à son tour la Coupe Stanley. Ce n’est plus le cas, malgré une brève fièvre collective printanière : alors, pour quelque jours, «Ça sent la coupe». L’expression a donné son titre à un roman de Matthieu Simard (2004).
Références
Melançon, Benoît et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire, Montréal, Fides, 2001, 147 p.
Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.
Simard, Matthieu, Ça sent la coupe. Roman, Montréal, Stanké, 2004, 270 p. Rééd. : Montréal, 10/10, 2008, 256 p.
Titre potentiellement sibyllin dans la Presse du 27 mars 2010 : «Le NTE dans la schnoutte» (cahier Arts et spectacles, p. 14). Mais qu’est-il donc arrivé au Nouveau théâtre expérimental ? Qu’est-ce que cette schnoutte ?
Première remarque : la graphie du mot n’est pas fixée. À côté de schnoutte, il y a, au moins, chnoutte.
Deuxième remarque : la chose désignée n’est pas unique, mais une caractéristique unit ses diverses incarnations : la viscosité (plus ou moins grande).
C’est clair dans le spectacle la Fin du NTE tel que décrit dans la Presse : Daniel Brière, le metteur en scène, use «d’une substance semi-liquide aux propriétés étonnantes : une matière malléable, presque vivante et extrêmement salissante que l’équipe de production a affectueusement baptisé la “schnoutte”. Durant le spectacle, il en coulera sur le décor, sur l’aire de jeu et… sur les acteurs.»
Composé d’un «mélange de fécule de maïs et d’eau, augmenté d’un additif utilisé pour conserver l’uniformité des mélanges de yogourt», ce «curieux coulis» a «quelque chose d’incontrôlable et d’organique».
«Incontrôlable» ? Cela vient du fait que la schnoutte est plus ou moins liquide. C’est la raison pour laquelle le mot est parfois utilisé en météorologie : «Aujourd’hui, il va tomber de la schnoutte» (radio de Radio-Canada).
«Organique» ? Voilà pourquoi on peut dire à quelqu’un de manger de la schnoutte, voire un char de schnoutte.
Vu sa polysémie, on utilisera le mot avec sobriété.
P.-S. — Comme le fait remarquer Ephrem Desjardins, chnoutte peut aussi être une interjection. Traduction libre : «Merde !»
[Complément du 5 février 2015]
Graphie rare : «schenoutte» (@_URBANIA).
[Complément du 10 avril 2019]
Le mot peut aussi servir de synonyme à pacotille : «En plus, c’était un magasin qui vendait juste d’la schnout !» (Centre d’achats, p. 68)
Références
Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.
Jimenez, Emmanuelle, Centre d’achats, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 18, 2019, 127 p. Ill. Suivi de David Robichaud, «Contrepoint. Chercher le bonheur, trouver une robe jaune à paillettes».
«Elle avait la superbe des filles qui font de la gymnastique à Lévis.»
Sophie Létourneau, Polaroïds. Récits, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2006, 166 p., p. 31.