Les si n’aiment pas les rait, dit-on

Sophie Bienvenu, Chercher Sam, 2014, couverture

 

«C’était la première fois que je pleurais depuis des années. Faut croire que là, j’avais trouvé une source.

J’étais plus capable d’avancer tellement les larmes me prenaient de force.

Ma mère m’a pris dans ses bras. Je me suis laissé aller. Je crois même que je gémissais dans son cou comme un kid. Elle disait “allez, allez… pleure pas, va”, en me frottant le dos.

J’avais le nez collé dans le creux de son épaule, ça faisait une tache de morve sur son manteau de laine noire.

“Maman, si j’aurais su…”, je gémissais.

J’avais tellement la face collée sur elle qu’elle comprenait pas ce que je disais. Elle m’a demandé de répéter. J’ai répété.

Elle a écarquillé les yeux et elle a eu un mouvement de recul.

“C’est ça, j’avais bien entendu. On dit ‘si J’AVAIS su’. Pas ‘si j’aurais’. Enfin c’est pas avec Karine que tu vas apprendre à parler français correctement, certain. Allez viens-t’en, le cortège va partir sans nous, le corbillard attend.”

Soudainement, j’ai eu le goût de vomir.

J’ai serré les poings et les dents.

J’ai rien dit en chemin vers le cimetière. J’ai rien entendu non plus.»

Sophie Bienvenu, Chercher Sam. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2014, 169 p., p. 62.

 

[Complément du 21 août 2022]

Le vêtement idéal pour illustrer cette citation ?

«Les scies j’aurais», t-shirt

Les zeugmes du dimanche matin et de Fanny Britt

Fanny Britt, les Maisons, 2015, couverture

«Philémon termine le primaire cette année, Boris suivra dans deux ans, Oscar dans six. Après, ce sera l’école secondaire et mes friandises seront refusées avec ostentation, surtout devant les amis, la vieille mère sera reléguée à sa chambre à coucher pendant que ses enfants frencheront à qui mieux mieux dans le sous-sol en se parlant en codes qu’eux seuls comprendront; ils se vautreront dans le mystère et les hormones de la jeunesse, bref, un jour, je ne serai plus jamais jeune et je redoute ce moment, alors je suis responsable des gâteaux et j’y prends un plaisir démesuré» (p. 30-31)

«Après le souper, les adultes se sont attardés à table, remplis de vin et d’histoires répétées cent fois» (p. 48).

Fanny Britt, les Maisons. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 221 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La langue de puck (de tous les jours)

Fanny Britt, les Maisons, 2015, couverture

Certaines expressions propres au hockey trouvent difficilement à s’exprimer ailleurs : il est rare que l’on évoque le style papillon hors des patinoires.

En revanche, on peut donner son 110 % en tous lieux, avant de raccrocher ses patins ou de déplorer que la puck ne roulait pas pour nous autres.

L’Oreille tendue ne s’était jamais interrogée sur l’expression agent libre et son extension. Elle aurait dû.

Dans le monde du sport, l’agent libre est un joueur qui peut s’associer à l’équipe de son choix, sans que qui que ce soit ait à en souffrir (du moins monétairement).

Cela se pratiquerait aussi en matière amoureuse. C’est du moins ce que laisse entendre un passage du roman les Maisons de Fanny Britt (2015) :

— Oh. Je pensais que t’étais un agent libre.
Rappelle-toi de ses hosties d’expressions débiles, rappelle-toi qu’on n’a pas envie d’un homme qui utilise un terme comme «agent libre» pour nous décrire quand il veut couvrir sa couardise.
— Oui, oui, c’est pas faux (p. 160).

L’agent libre amoureux n’aurait pas d’attaches. Tout le monde n’apprécie pas pareilles «hosties d’expressions débiles».

 

Références

Britt, Fanny, les Maisons. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 221 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Es-tu game ?

Fanny Britt, les Maisons, 2015, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées du roman les Maisons de Fanny Britt (2015) :

Ce rituel remontait à loin, à l’époque où Sophie s’évadait sur des coups de tête, en autobus ou sur le pouce, pour des fins de semaine d’aventure, tantôt avec un garçon d’intérêt, tantôt avec une amie plus game que moi, me demandant de couvrir ses arrières auprès de ses parents (p. 177).

«Mehdi et Paul ont dit que j’étais pas game de sauter du troisième tremplin, et c’était peut-être vrai mais comment on fait quand on n’est pas game de faire quelque chose, je pensais que j’avais pas le choix, je me suis cogné le genou sur le tremplin, je sais même pas quand j’ai touché l’eau, je m’excuse, je m’excuse vraiment» (p. 215).

Donc, l’expression être game (à prononcer guém’). Son sens ? Est game celui qui est prêt à faire une chose (souvent) présentée comme un défi (c’est particulièrement clair dans la deuxième citation).

«Prêt. Disposé», écrit le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (p. 242). «Se sentir de taille (à faire qqch)», propose le Trésor des expressions québécoises (p. 163).

Venue de l’anglais, cette expression n’est par particulièrement récente. On la trouve à la fin du XIXe siècle dans les Mystères de Montréal d’Hector Berthelot : «Merci, monsieur, dit le Petit Pite. Vous êtes la pratique la plus “game” que j’aie rencontrée aujourd’hui» (p. 123).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Berthelot, Hector, les Mystères de Montréal par M. Ladébauche. Roman de mœurs, Québec, Nota bene, coll. «Poche», 34, 2013, 292 p. Ill. Texte établi et annoté par Micheline Cambron. Préface de Gilles Marcotte.

Britt, Fanny, les Maisons. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2015, 221 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.