Génuflexions

Illustration tirée de Refrancisons-nous, 1951. Deuxième édition

L’Oreille tendue aime citer cette phrase d’André Belleau (parmi tant d’autres) : «La vérité, c’est que les langues sont des guidounes et non des reines» (éd. de 1986, p. 118). Elle l’a fait dans un article en 1991, et ici même le 2 février 2012 et le 12 novembre 2013. Et la liste n’est pas exhaustive.

Son sens ? Les langues ne sont pas à vénérer (ce ne sont pas des reines), mais à embrasser, voire plus si affinités (ce sont des guidounes).

L’Oreille pensait que cette vénération était propre au Québec. Ce n’est peut-être pas le cas. C’est du moins de ce que donne à penser la citation suivante, gracieuseté de l’émissaire québecquois de ce blogue :

Faire acte d’allégeance à la langue française, amour et soumission, est pour l’écrivain le seul espoir qui lui reste de se reconstituer entièrement, de se rétablir dans son intégrité primitive. À la suite de Charles d’Orléans, de Malherbe, de Jean de Sponde, et de tous ceux qui ont eux-mêmes suivi ces pères fondateurs, Racine et Pascal, Sade et Voltaire, Baudelaire et Hugo, Proust et Céline — deux par siècle, toujours — l’écrivain français doit user et fortifier sa langue, «au seing de la tant désirée France», écrit du Bellay, comme les premiers hommes conservaient le feu et se le transmettaient de père en fils. C’est dans son Enfer que Dante a mis un écrivain coupable d’impiété envers sa langue natale : pas de salut pour lui ! (p. 148)

«Faire acte d’allégeance», pratiquer la «soumission», ainsi que l’écrit Jacques Drillon en 1991, cela se conçoit certes pour une guidoune, mais encore plus facilement pour une reine.

 

Illustration : F. J.-F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p., p. 14. Deuxième édition.

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Drillon, Jacques, Traité de la ponctuation française, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 177, 1991, 472 p.

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951, 143 p. Ill. Deuxième édition.

Melançon, Benoît, «Le statut de la langue populaire dans l’œuvre d’André Belleau ou La reine et la guidoune», Études françaises, 27, 1, printemps 1991, p. 121-132. https://doi.org/1866/28657

André Belleau : pistes

Portrait d’André Belleau

Le colloque «André Belleau et le multiple» se termine aujourd’hui (programme ici). L’Oreille tendue a beaucoup écrit sur cet essayiste québécois essentiel. Ci-dessous, quelques rappels (la liste n’est pas exhaustive).

Une bibliographie de ses œuvres

Quelques citations

Des souvenirs

Un zeugme

Un conseil pédagogique

Une analyse du français de Pierre Elliott Trudeau

Deux lectures de Bernard Derome (ici et )

Un bel adage sur les guidounes (et les reines) (et les langues)

Une remarque sur Gérard Pelletier

Une réflexion de Pierre Nepveu

Citation médiatico-sportive du jour

André Belleau, portrait

«Nous les rédacteurs sportifs sommes les derniers poètes épiques de l’espèce. Nous seuls savons encore employer le superlatif et l’hyperbole avec sincérité, sans faire semblant. Nul besoin d’intoxication préalable. Nous ne sommes pas tous des imbéciles, quoi-qu’on [sic] en pense. Nous connaissons le sens des mots. Nous savons ce qu’est l’enthousiasme. Nous sommes curieux de records, de performances et pour nous, l’adresse, la ruse, la force, le courage sont des vertus inestimables comme pour Homère. Qui d’autre que nous, aujourd’hui, peut traiter son sujet comme nous traitons le nôtre, c’est-à-dire avec majesté ? […] Quand je pense à tous ces marginaux de la culture qui nous méprisent, eux qui en sont réduits à l’emploi du mot “formidable”, je me mets en colère…»

André Belleau, «Le pianiste de Prague» (nouvelle), Liberté, 22 (4), avril 1962, p. 218-224, p. 218-219. https://id.erudit.org/iderudit/30133ac

P.-S. — Le colloque «André Belleau et le multiple» s’ouvre aujourd’hui (programme ici).

Chauffons-nous

Patrick Nicol, la Nageuse au milieu du lac. Album, 2015, couverture

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) donne deux définitions régionales («Canada») du mot chaufferette : «(1931) […] Radiateur électrique, chauffage d’appoint»; «(1943) […] Dispositif de chauffage (d’une automobile).»

On trouve le premier sens chez Marie-Hélène Poitras :

Dans la roulotte garée tout près, l’homme qui veille sur [les chevaux] a passé les dernières semaines à jouer au crib contre lui-même en attendant que la nuit passe et que sa petite chaufferette sèche enfin le bout de ses bottes humides (p. 14),

et le second chez Patrick Nicol :

J’ouvrirais bien la fenêtre, mais la neige risque de s’engouffrer dans l’habitacle. J’actionne les essuie-glaces, et la mince couche de flocons s’efface. J’allume la chaufferette (p. 72).

Restons dans les usages automobiles : des chercheurs allemands travaillent à une nanochaufferette pour voiture électrique, dixit la Presse+ du 14 septembre.

On n’arrête pas le progrès.

 

Références

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 85, 2015, 154 p.

Poitras, Marie-Hélène, Griffintown, Québec, Alto, coll. «Coda», 2013, 209 p. Édition originale : 2012.

Les plus bêtes sont-ils les chants les plus beaux ?

Michel Biron, De Saint-Denys Garneau, 2015, couverture

L’Oreille tendue lit ces jours-ci la biographie que vient de consacrer son pote Michel Biron au poète québécois Saint-Denys Garneau.

Elle y trouve ceci, tiré d’une lettre de Garneau à Jean Le Moyne du 4 avril 1934 : «C’était trop fort ! Je n’ai pas pu y tenir et je leur ai carrément chanté des bêtises» (citée p. 213).

Chanter des bêtises, donc. Le sens de cette expression québécoise ? Agonir d’injures, en quelque sorte.

 

Référence

Biron, Michel, De Saint-Denys Garneau. Biographie, Montréal, Boréal, 2015, 450 p. Ill.