Allez !

 

(Fausse) Plaque minéralogique du Québec

Outre Atlantique, pour encourager quelqu’un, on lui dit «Allez !».

Au Québec, on préfère souvent «Envoie !» — mais avec une prononciation du cru. Dès lors se pose la question de la graphie.

L’Oreille tendue vous propose quelques possibilités.

«Tire ! Enwouèye, tire !» (Michael Delisle, le Feu de mon père, p. 13)

«enouaille» (Girerd)

«Aweille les tatas-payez ! et juste à temps pour les vacances d’été :)) https://www.youtube.com/watch?v=faOMHYCB_QE … #gas» (@alagacedowson)

«En tout cas, j’ai souvent entendu mes parents me dire : “awouèye, move-toué l’cul !”» (une lectrice de l’Oreille)

Awaye Dzigidzine, bande dessinée de Suicide et Caron

Tant de questions, si peu d’heures.

 

[Complément du 17 juillet 2014]

Deux autres graphies, venues de la bande dessinée : avouaill (Kesskiss passe Milou ?, p. 54) et avouaille (Kesskiss passe Milou ?, p. 56 et Tintin et son ti-gars, p. 17).

 

[Complément du 24 juillet 2014]

Pour Albert Chartier (Onésime, mars 1956) : «Envoye».

 

Maurice Richard dessiné par Albert Chartier, mars 1956

 

[Complément du 25 juillet 2014]

Dans la bande dessinée Motel Galactic 2 de Francis Desharnais et Pierre Bouchard : «enweille» (p. 36).

 

[Complément du 26 juillet 2014]

Suggestion du Sportnographe : «Enwaille estie, rentre-la.»

 

[Complément du 14 septembre 2014]

Chez Vickie Gendreau, dans le roman Testament (2012) : «Enwèye, pine-moi contre la table, Dominic» (p. 140).

 

[Complément du 19 septembre 2014]

Par-delà les ans, Hervé Bouchard (2014) rejoint Albert Chartier (1956) : «J’ai appris sans chaise, sans même le bâton, au son de l’envoye du grand chef montreur» (p. 14).

 

[Complément du 28 septembre 2014]

Il y a aussi aweye.

Tweet de Gabriel Béland, 28 septembre 2014

 

Et anweille.

 

[Complément du 10 mai 2015]

Chez le romancier William S. Messier : «Envoueille, le frère ! Iglou, iglou !» (p. 67)

 

[Complément du 26 septembre 2018]

Nouvelle graphie, gracieuseté d’une publicité publiée dans la Presse+ du 23 septembre.

«awaille», publicité, la Presse+, 23 septembre 2018

 

[Complément du 26 mars 2019]

S’il faut en croire la brochure le Bon Parler français (1937), il fut un temps où l’on disait «Envoille» (p. 5). Les Frères de l’Instruction chrétienne le déploraient.

 

[Complément du 19 mars 2020]

Pour cause de coronavirus, le premier ministre du Québec François Legault tient une conférence de presse quotidiennement. Aujourd’hui, pour insister sur la nécessité pour tout un chacun de rester chez soi, il a cité une chanson de Jean-Pierre Ferland, «Envoye à maison».

Sur les réseaux sociaux, les graphies — outre celles relevées ci-dessus — pullulent : awèye (avec l’accent grave), eweille, envouèye, envoéy, enwoye, etc.

 

[Complément du 26 mars 2020]

Graphie du jour : awoueille.

Tweet de @rafov, 26 mars 2020

 

[Complément du 3 juin 2021]

Sous la plume du dessinateur Garnotte, dans le quotidien le Devoir, le 27 mai 2008 : «Enwoeïlle le gros !…»

 

[Complément du 24 décembre 2023]

Dans le Devoir des 21-22 octobre 2023 : «Avoyèye, mon champion !» (p. 19)

 

[Complément du 2 janvier 2024]

En deux mots ? Pourquoi pas : «En weille don» (Plume, p. 128).

 

[Complément du 21 avril 2025]

Graphie d’autobus : «Enwaye.»

«Enwaye», panneau publicitaire, Société de transport de Montréal, avril 2025

 

Références

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Delisle, Michael, le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.

Gendreau, Vickie, Testament. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 60, 2012, 156 p.

Giard, Luc, les P’tits Tintins à Luc Giard. Kesskiss passe Milou ?, Montréal, Éditions du phylactère, coll. «Album Tchiize», 3, 1988, 62 p.

Giard, Luc, les P’tits Tintins à Luc Giard. Tintin et son ti-gars, Montréal, Éditions du phylactère, coll. «Album Tchiize», 5, 1989, 51 p.

Girerd, Son honneur, Montréal, La Presse, 1981, [s.p.].

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Plume. Chansons par toutes sortes de monde, Moult éditions, 2023, 189 p. Ill.

Suicide, Richard et Caro Caron, Awaye Dzigidzine, Montréal, Éditions Beaulieu, 1996, 20 p. Bande dessinée.

Tasse «Awaye !», Musée McCord, Montréal, juillet 2017

 

Prolégomènes à un essai de toponymie montréalaise

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Une ville, c’est bien. Plusieurs villes dans la ville, c’est mieux. Ébauche de visite guidée de Montréal.

Adjacent

Terme de géographie urbaine montréalaise. Qui veut habiter un quartier à la mode et ne le peut pas émigre vers l’adjacent. «Westmount adjacent !» (la Presse, 7 mars 2002) «Toutes sirènes dehors, j’ai donc mis d’urgence le cap sur Rosemont, aussi connu sous le nom de “Plateau adjacent”» (le Devoir, 8 novembre 2002). «J’ai donc quitté le Plateau, quitté le nombril de l’île, pour le Mile-End, mon nombril adjacent préféré» (la Presse, 13 novembre 2002). «C.D.N. [Côte-des-Neiges], adj. Sanctuaire» (le Devoir, 12 juin 2003).

Griffintown : quartier célèbre pour ses chevaux (grâce notamment à Marie-Hélène Poitras et à son roman éponyme), en cours de remplacement par des condos.

HoMa ou Ho-Ma : Hochelaga-Maisonneuve

«Selon ta façon de nommer le quartier on peut savoir quelle sorte de personne tu es : Ho-Ma, Hochelag’, Hochelagai ou Hochelaga. #DLCL» (@DansLeChampL)

Mont Royal ou Montagne

Un Montréalais qui dit «À moi la montagne !» ne compte pas quitter sa ville. Il prépare plutôt une visite au centre de celle-ci, sur le mont Royal (environ 230 mètres au-dessus du niveau de la mer). On a les massifs centraux qu’on peut. (La montagne est appréciée des communautés culturelles, qui s’y rassemblent pour y savourer des mets ethniques et pour y pratiquer le soccer, qu’ils appellent le football, ou vice versa.)

N’Didji : Notre-Dame-de-Grâce

Petit Laurier : appellation d’origine récente (la Presse, 28 juin 2014, cahier Petites annonces, p. 3). Désigne une enclave au nord du Plateau. Il est probable que le nom est calqué sur celui de Petite patrie.

Plateau

Tous les Québécois le connaissent : le Plateau Mont-Royal — plus simplement : le Plateau —, ce quartier montréalais autour duquel tournerait l’univers connu. Les Québecquois — les habitants de la ville de Québec — ne l’aimeraient pas, dit-on, car l’univers connu tournerait autour. Pour le dire dans les mots du Devoir : «Montréal est constitué du Plateau Mont-Royal, centre, noyau et point d’ancrage de l’univers, et de quelques dizaines de Plateaux adjacents» (22-23 mai 2004).

A tendance à essaimer sur l’île de Montréal, voire à l’extérieur, jusque dans le 450 : «Saint-Henri, nouveau plateau ?» (la Presse, 6 janvier 2004, cahier Arts et spectacles, p. 3); «Un Plateau à Longueuil ?» (la Presse, 3 octobre 2005, p. A15); «Le prochain “Plateau”. Hochelaga-Maisonneuve ou le Sud-Ouest ?» (la Presse, 19 septembre 2009, cahier Mon toit, p. 2); «Employée#1 : Tu cherches toujours un appart ? Employée#2 : Oui et tannée des annonces qui repoussent les limites du Plateau au métro Frontenac» (@AscenseurRC).

Existe en version élargie : Regroupement des cuisines collectives du grand Plateau; Action Solidarité Grand Plateau.

Voit sa valeur patrimoniale s’affirmer : «Plateau Mont-Royal. Un quartier mythique au musée» (le Devoir, 19-20 octobre 2013, p. D4).

Habitant : le monarcoplatal (selon Pierre Popovic), le plateaunien (selon le matricule 728) ou le plateausard (la Presse, 13 mars 2010, p. A10).

Pointe Sainte-Charles : Bronx

S’étant égaré, un jour, en chemin vers la décharge municipale, l’Oreille tendue s’est retrouvée dans ce quartier de Montréal. Le policier auquel elle demandait son chemin lui a répondu : «C’est le Bronx ici.»

RPP ou RoPePa : Rosemont-Petite-Patrie

«RoPePa : l’acronyme trendy pour Rosemont/Petite Patrie. Quand ton quartier a un p’tit nom, ton hypothèque flambe !» (@mfbazzo)

Saint-Henri : quartier où l’on rit malgré tout, suivant le titre du recueil de nouvelles de Daniel Grenier.

Saint-Léonard : selon le jardinier de l’Oreille tendue, on y utiliserait du paillis rouge, ce qui ne se ferait jamais à N’Didji, où seul le paillis noir serait acceptable.

Village ou Village gai : situé à l’est du centre de la ville, quartier rose, sans homme rose, cette version locale de l’anti-macho.

Village Monkland : voir N’Didji

Vilmont ou Vilmo : Ville Mont-Royal. En anglais : ti-èm-âre (Town of Mount-Royal).

 

[Complément du 1er mars 2021]

Soir ces vers, tirés du poème «Pitou» de Jean-Christophe Réhel, paru dans le Devoir des 27-28 février 2021 :

À l’épisode huit
Je me demande où je serai rendu dans la vie
Je serai peut-être un bouddhiste
Un bouddhiste qui prie
Sur le coin du Couche-Tard à Pointo

«Pointo» ? Pointe-aux-Trembles.

 

P.-S.—Wikipédia propose une liste des quartiers montréalais.

P.-P.-S.—Ce texte s’inspire de plusieurs entrées du blogue et de ces deux publications de L’Oreille tendue :

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

 

Références

Grenier, Daniel, Malgré tout on rit à Saint-Henri. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 07, 2012, 253 p.

Poitras, Marie-Hélène, Griffintown, Québec, Alto, coll. «Coda», 2013, 209 p. Édition originale : 2012.

Popovic, Pierre, Liberté, 280 (50, 2), avril 2008, dossier «Dictionnaire culturel & politique du Québec», p. 21-24. https://id.erudit.org/iderudit/34680ac

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

.ppt

PowerPoint de mariage

Toutes les occasions de dire du mal de PowerPoint sont bonnes : c’est un logiciel mal foutu et, surtout, mal utilisé.

Il y a une vaste littérature sur le sujet (voir, parmi des centaines d’autres, les textes de Pierre D’Huy et d’Ian Parker). On voit la bête apparaître dans des romans. L’excellent PhD Comics y fait allusion dans son jeu «Seminar Bingo !» Un mouvement politique international n’existe que pour lui être opposé : le Parti Anti-PowerPoint. @PimpetteDunoyer recense de beaux exemples de son utilisation sur essaiderococotique.tumblr.com (c’est à elle que l’Oreille tendue a emprunté l’image en tête de ce billet). Bref, s’en prendre à PowerPoint a ses adeptes.

Parmi eux, il y aurait eu Steve Jobs, le cofondateur d’Apple. Le voici cité par son biographe, Walter Isaacson.

One of the first things Jobs did during the product review process was ban PowerPoints. «I hate the way people use slide presentations instead of thinking», Jobs later recalled. «People would confront a problem by creating a presentation. I wanted them to engage, to hash things out at the table, rather than show a bunch of slides. People who know what they’re talking about don’t need PowerPoint» (chapitre 25).

(Point de vue différent dans Pomme S d’Éric Plamondon : «PowerPoint est devenu avec le temps un outil de pouvoir. Si vous maîtrisez parfaitement PowerPoint, vous pouvez faire croire à peu près n’importe quoi à n’importe qui. La légende veut que Steve Jobs ait été le plus grand maître du PowerPoint», p. 186-187.)

Pour toutes ces raisons, lOreille a été enchantée de découvrir l’autre jour que plusieurs personnes — Christine Genin, Olivier Ertzscheid, Joël Ronez — ont rebaptisé le logiciel PauvrePoint. Elle a décidé d’utiliser dorénavant cette façon de faire — à l’école et à l’université, dans les mariages comme au salon funéraire.

P.-S. — Comme il se doit, lOreille tendue se sert régulièrement de PowerPoint pour des cours et des conférences. Elle espère ne pas trop s’attirer les foudres de ses auditeurs.

 

Références

D’Huy, Pierre, «PowerPoint, la rhétorique universelle», Médium, 11, avril-mai-juin 2007, p. 12-25. http://medinge.org/powerpoint-la-rhetorique-universelle/ (autre version)

Isaacson, Walter, Steve Jobs, New York, Simon & Schuster, 2011. Édition numérique.

Parker, Ian, «Annals of Business. Absolute Powerpoint», The New Yorker, 77, 13, 28 mai 2001, p. 76-87.

Plamondon, Éric, Pomme S. Roman. 1984 — Volume III, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 63, 2013, 232 p. Ill.

Citation existentialo-grammaticale du samedi matin

Hervé Prudon, Tarzan malade, 1983, couverture

Dans Tarzan malade d’Hervé Prudon (1979), à la suite de la rencontre fortuite de Lucinda, Jean-Claude Ramier, petit professeur de français, voit son quotidien s’effondrer, la normalité perdre son sens : «Il ne s’accordait plus ni en genre ni en nombre avec ses antécédents» (p. 179).

 

Référence

Prudon, Hervé, Tarzan malade, Villeurbanne, Jean-Luc Lesfargues éditeur, coll. «Choc corridor», 1, 1983, 184 p. Édition originale : 1979.