Proposition de moratoire 002

Extrait de la Presse+

Il est aujourd’hui officiellement proposé aux lecteurs de l’Oreille tendue de s’insurger haut et fort contre les paires titrologiques mariant modernité, ou un mot apparenté, et autre chose, généralement de l’ordre de la tradition.

Exemples (à proscrire, donc).

«Entre tradition et modernité» (le Devoir, 9-10 avril 2011, p. F1).

«L’Inde écartelée entre tradition et modernité» (le Devoir, 5 janvier 2011, p. A1).

«Le Mythe Deneuve. Une “star” française entre classicisme et modernité» (le Monde diplomatique, janvier 2011).

«Les sociétés sportives : un corps social entre tradition et modernité. L’exemple jurassien au début du XXe siècle» (Jean-Nicolas Renaud, 2010).

«Hope ouvrit les yeux juste à temps pour apercevoir les dernières secondes d’un court métrage touristique intitulé Between Tradition and Modernism» (Tarmac, p. 172).

Les Relations entre le Québec et l’Acadie de la tradition à la modernité (Fernand Harvey et Gérard Beaulieu, 2000).

Universités et institutions universitaires européennes au XVIIIe siècle, entre modernisation et tradition (collectif, 1999).

«Entre modernité et tradition : Mme de Lambert et l’éducation des filles» (Robert Granderoute, 1997).

Frenchmen into Peasants : Modernity and Tradition in the Peopling of French Canada (Leslie P. Choquette, 1997) et sa traduction française, De Français à paysans. Modernité et tradition dans le peuplement du Canada français (2001).

Jean-Marie Chassaignon : ein Antiphilosoph zwischen klassizistischer Tradition und Moderner Ästhetik (Fritz-Günther Frank, 1973).

P.-S. — On l’aura remarqué : le mal n’est pas limité au français et il n’est pas particulièrement récent.

 

[Complément du 12 avril 2015]

Récolte du jour

Gossage, Peter et J.I. Little, Une histoire du Québec. Entre tradition et modernité, Montréal, Hurtubise, coll. «Cahiers du Québec. Histoire et politique», 2015.

«Centenaire des Cercles de fermières. Entre tradition et modernité» (le Devoir, 7-8 mars 2015, p. B5).

«Entre tradition et modernité» (la Presse, 25 mai 2013, cahier Voyage, p. 1).

 

[Complément du 18 juillet 2015]

Variation sur le même thème : «Un mélange de traditions et de modernité» (la Presse, 27 juin 2015, cahier Maison, p. 5).

 

[Complément du 26 juillet 2015]

On peut faire parfois l’économie de la conjonction de coordination. Exemple :

 

[Complément du 6 juin 2017]

Et encore…

Barroux, Gilles, la Médecine de l’Encyclopédie. Entre tradition et modernité, Paris, CNRS éditions, 2017, 280 p.

Onana, Godefroy Noah, Tradition et modernité. Rupture ou continuité ?, Paris, L’Harmattan, coll. «Ouverture philosophique», 2016, 246 p. Préface de Michel Castillo.

«Entre tradition et modernité» (la Presse+, 26 décembre 2015).

«Le Met au cinéma. Tradition et modernité» (le Devoir, 18 janvier 2015, p. B7).

Weidmann Koop, Marie-Christine (édit.), le Québec à l’aube du nouveau millénaire. Entre tradition et modernité, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, 436 p.

Collque «Entre héritage et modernité»

 

[Complément du 25 février 2018]

Que s’est-il passé depuis la dernière fois ?

«Entre tradition et modernité, la culture russe en fête à Sotchi» (site Euronews).

Dans la Presse+, des traditions, mais une seule modernité et une seule histoire.

Pourquoi pas continuité et rupture(s) pendant que nous y sommes ?

http://twitter.com/StephanePicher/status/338297363145822208

Une citation romanesque, pour finir (pour l’instant) :

«il s’est levé, s’est emparé d’une craie et a écrit au tableau les mots “Tradition” et “Modernité”» (Mélissa Grégoire, l’Amour des maîtres, p. 27).

 

[Complément du 17 janvier 2019]

Récolte de la nouvelle année.

Preyat, Fabrice, «Le roman du Sacré-Cœur : tradition et modernité dans Cruzamante, ou la Sainte-Amante de la croix (1786) de Marie-Françoise Loquet», dans Isabelle Tremblay (édit.), les Lumières catholiques et le roman français, Liverpool, Liverpool University Press, coll. «Oxford University Studies in the Enlightenment», 1, 2019.

Caron, Jean-Luc, Regards sur Carl Nielsen et son temps. Trait d’union entre tradition et modernité, Paris, L’Harmattan, coll. «Univers musical», 2018, 400 p. Préface de David Fanning.

«Un portrait cynique d’une jeunesse chinoise tiraillée entre traditions et modernité» (le Devoir, D le magazine, 7-8 juillet 2018, p. 16).

«Tradition et modernité» (le Devoir, D Le magazine, 21-22 avril 2018, p. 53).

«La foulée musicale entre tradition et modernité», Tribune de Genève, 26 avril 2018.

Série d’articles sur le Nord dans le Devoir, 17-19 avril 2018 : «Jongler entre tradition et modernité» (surtitre).

[Complément du 12 décembre 2022]

Certains ne s’en lassent (malheureusement) pas.

«“Au-delà des hautes vallées” : entre tradition et modernité» (le Devoir, 9 décembre 2022).

«Une campagnarde indienne, entre tradition et modernité» (la Presse+, 3 décembre 2022).

«Derrière une passion amoureuse, le portrait d’un pays entre tradition et modernité» (le Devoir, 24-25 juillet 2021).

Fourgnaud, Magali, «Innover au XVIIIe siècle, selon quelles temporalités ? L’idéal éducatif chez Marmontel : entre tradition et modernité», Lumières, 32, 2e trimestre 2018.

«Munich figure parmi les meilleures villes du monde. Le Devoir brosse le portrait de la capitale de la Bavière, entre modernité et tradition» (Twitter, 13 juin 2019).

Signalons deux variations sur le même thème :

«Des juke-box dansant entre vintage et modernité» (la Presse+, 2 mai 2020).

Misset, Juliette, «Entre modernité, tradition et conventions : la figure du/de la pédagogue chez Mary Wollstonecraft, Maria Edgeworth et Hannah More», Lumières, 32, 2e trimestre 2018.

 

Références

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Troubles de l’identité ?

Mélissa Verreault, Voyage léger, 2011, couverture

«Le commis me demande si on cherche quelque chose en particulier. Si on cherche quelque chose… Qui est ce on, je ne sais pas. […] L’homme me parle de la température en regardant la flaque s’agrandir à mes pieds, spécifie que c’est inhabituel pour ce temps de l’année. D’où tu viens, qu’il demande du même souffle, moi c’est Robert, si t’as besoin de quoi que ce soit. Je suis passée du on au tu. Cette familiarité déplacée me convient.»

Mélissa Verreault, Voyage léger. Roman, Chicoutimi, La Peuplade, 2011, 219 p., p. 111-112.

Divergences transatlantiques 016

En manchette, dans la Presse du 25 avril 2011 : «La réforme du cabaret» (p. A2-A3).

Souhaite-t-on réformer un «Établissement où l’on sert des boissons» ou encore un «Établissement où l’on présente un spectacle et où les clients peuvent consommer des boissons, souper, danser» (le Petit Robert, édition numérique de 2010) ? Que nenni. Il s’agit en fait de rappeler que plusieurs cafétérias scolaires québécoises essaient de chasser la malbouffe de leur menu.

Que vient faire le «cabaret» dans cette histoire ? Il désigne, au Québec, le plateau sur lequel on dépose sa nourriture. Pour le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, ce terme «est un héritage de France; il découle de celui de “petite table ou plateau pour tasses à café, à thé, etc.” aujourd’hui considéré comme vieilli dans les quelques dictionnaires qui le consignent».

Des sources amicobelges assurent l’Oreille tendue que le mot est aussi usité dans les Ardennes.

Le «vieillissement» est affaire bien délicate en matière de langue.

P.-S. — Qu’est-ce alors que le «Cabaret de la Pègre» ?

 

[Complément du 22 février 2016]

Trois compléments littéraires.

L’un du XXIe siècle, dans la Nageuse au milieu du lac (2015) de Patrick Nicol :

J’ai pris le roast-beef; elle, le poulet. Ma mère prend toujours le poulet, croyant que cela lui revient moins cher. Mais hier, elle a pris deux desserts, cachant le deuxième dans son cabaret, derrière deux verres de jus de pêche, s’imaginant que personne ne la voyait. Deux carrés de gâteau des anges au crémage blanc, et la voilà convaincue que c’est vraiment la fête. La fille derrière le comptoir m’a fait un clin d’œil (p. 117).

Les deux autres du XVIIIe, dans les didascalies de la pièce Eugénie (1767) de Beaumarchais :

Dans un des coins est une table chargée d’un cabaret à thé (éd. de 1957, p. 25).

Après avoir rangé les sièges qui sont autour de la table à thé, il en emporte le cabaret et vient remettre la table à sa place auprès du mur de côté (éd. de 1957, p. 36).

 

[Complément du 27 mars 2020]

La pandémie du coronavirus frappe évidemment au Québec. Les personnages âgées sont, ici comme ailleurs, à risque. Réaction de certains centres d’hébergement ? «Plusieurs résidences privées du Québec facturaient jusqu’à 7 $ pour apporter un repas à l’appartement de leurs clients, a révélé La Presse lundi. Or, ces clients de plus de 70 ans devaient rester confinés dans leur chambre selon des directives du gouvernement.» Comment désigner cette somme de 7 $ ? Les «frais cabaret», dixit la Presse+ du jour.

 

Références

Beaumarchais, Eugénie, dans Théâtre. Lettres relatives à son théâtre, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 22, 1957, xvi/855 p. Texte établi et annoté par Maurice Allem et Paul-Courant. Édition originale : 1767.

Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.

L’art (chirurgical) du portrait

 Éric Chevillard, Dino Egger, 2011, couverture

«Dino Egger craint surtout de renaître sous les traits cireux et lisses de ces momies vivantes retouchées au scalpel que l’on dirait couvertes d’un film plastique et qui n’ont plus ni expression ni âge, puis autant de difficulté à sourire franchement que la paupiette ficelée.»

Éric Chevillard, Dino Egger. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2011, 153 p., p. 150-151.

Divergences transatlantiques 015

Tout un chacun le sait : les mômes des uns sont les couilles des autres. En matière de reproduction humaine, les gosses français sont les fruits de la génération, alors que les gosses québécoises en sont un des agents actifs. Rien là de neuf.

Histoire d’être grivois à peu de frais, on s’est souvent amusé à inventer des phrases à double sens, du genre J’ai embrassé ses gosses. On peut pourtant se demander si les risques de confusion sont réels. Quand le père courroucé de la pièce Un reel ben beau, ben triste de Jeanne-Mance Delisle (1980) déclare «L’hostie d’cochon, m’as y arracher les gosses avec mes dents !» (p. 94), peut-on vraiment croire qu’il souhaite s’en prendre à la progéniture de cet «hostie d’cochon» ? Contexte, tout est contexte.

Pourquoi rappeler aujourd’hui cette évidence lexicale universellement (re)connue ? Parce que le titre d’un texte récent d’Annick Farina est un peu trop vague. Quel est l’exemple principal étudié dans «L’utilisation des marques lexicographiques au Québec : un choix politique» (2010) ? Le mot gosse, précisément, ce «mot “tabou”» dans les dictionnaires jusque dans les années 1980 (p. 77), qui n’est pourtant qu’un «petit mot assez inoffensif» (p. 84). Un conseil de l’auteure mérite d’être cité : «De même qu’on ne rédige pas un essai médical sur les “inflammations de la gosse”, une personne qui recevra un coup de pieds dans les testicules ne dira pas “aïe, j’ai mal aux gonades”» (p. 79). En effet.

Deux remarques linguistiques, pour conclure. On ne confondra pas gosses et gosser. En France, gosse est épicène, pas au Québec, où en son sens sexué, il n’existe qu’au féminin.

P.-S. — Dans le même ouvrage collectif, signalons l’étude de Mirella Conenna, «Le québécois dans la valise : les dictionnaires à usage touristique», consacrée à six «mini-dictionnaires» (p. 139), malheureusement rédigée avant la sortie du Parler québécois pour les nuls (2009), le joyau de Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin.

 

[Complément du 26 août 2018]

Qui part (rien que) sur une gosse ne se dirige vers l’entrejambe de personne. L’expression désigne une mise en action (trop ?) rapide, un démarrage vif. Exemple dramatique tiré de J’aime Hydro, de Christine Beaulieu (2017) : «Le 11 octobre 2016, je suis partie rien que sur une gosse, pas trop préparée» (p. 159). Oui, vous avez bien lu : une femme peut partir rien que sur une gosse.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Conenna, Mirella, «Le québécois dans la valise : les dictionnaires à usage touristique», dans Sergio Cappello et Mirella Conenna (édit.), Dizionari. Dictionnaires. Dictionaries. Percorsi di lessicografia canadese, Udine, Forum, coll. «Collana di studi del Centro di Cultura Canadese», 2, 2010, p. 127-140.

Delisle, Jeanne-Mance, Un reel ben beau, ben triste, Montréal, Éditions de la pleine lune, coll. «Théâtre», 1980, 179 p.

Farina, Annick, «L’utilisation des marques lexicographiques au Québec : un choix politique», dans Sergio Cappello et Mirella Conenna (édit.), Dizionari. Dictionnaires. Dictionaries. Percorsi di lessicografia canadese, Udine, Forum, coll. «Collana di studi del Centro di Cultura Canadese», 2, 2010, p. 75-96.

Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch