L’oreille tendue de… Pierre Landry

Pierre Doc Landry, Plume, Pierrot et moi. La véritable histoire de la Sainte-Trinité, 2025, couverture

«Début trentaine, de belle apparence, manifestement sûr de lui, l’homme parlait haut et fort si bien que malgré la meilleure volonté du monde, il e[û]t fallu être sourd pour ne rien capter de l’entretien. D’abord un brin offusqué par cette intrusion et ce sans-gêne, je tendis cependant une oreille de plus en plus attentive au fur et à mesure que me parvenaient des bribes de l’échange.»

Pierre Doc Landry, Plume, Pierrot et moi. La véritable histoire de la Sainte-Trinité, Québec, Septentrion, 2025, 258 p., p. 21-22.

 

P.-S.—Oui, bien sûr, il s’agit du même Landry que celui-ci.

Éloge de la lecture

Cendrars, Bourlinguer, éd. de 1966, couverture

«depuis ma plus tendre enfance, depuis que maman m’a appris à lire, j’avais besoin de ma drogue, de ma dose dans les vingt-quatre heures, n’importe quoi, pourvu que cela soit de l’imprimé ! C’est ce que j’appelle être un inguérissable lecteur de livres; mais il y en a d’autres, d’un tout autre type, la variété en est infinie, car les ravages dus à la fièvre des livres dans la société contemporaine tient du prodige et de la calamité et ce que j’admire le plus chez les lecteurs assidus, ce n’est pas leur science ni leur constance, leur longue patience ni les privations qu’ils s’imposent, mais leur faculté d’illusion, et qu’ils ont tous en commun, et qui les marque comme d’un signe distinctif (dirai-je d’une flétrissure ?), qu’il s’agisse d’un savant érudit spécialisé dans une question hors série et qui coupe les cheveux en quatre, ou d’une midinette sentimentale dont le cœur ne s’arrête pas de battre à chaque nouveau fascicule des interminables romans d’amour à quatre sous qu’on ne cesse de lancer sur le marché, comme si la Terre qui tourne n’était qu’une rotative de presse à imprimer.

Un des grands charmes de voyager ce n’est pas tant de se déplacer dans l’espace que de se dépayser dans le temps, de se trouver, par exemple, au hasard d’un incident de route en panne chez les cannibales ou au détour d’une piste dans le désert en rade en plein Moyen Âge. Je crois qu’il en va de même pour la lecture, sauf qu’elle est à la disposition de tous, sans dangers physiques immédiats, à la portée d’un valétudinaire et qu’à sa trajectoire encore plus étendue dans le passé et dans l’avenir que le voyage s’ajoute le don incroyable qu’elle a de vous faire pénétrer sans grand effort dans la peau d’un personnage. Mais c’est cette vertu justement qui fausse si facilement la démarche d’un esprit, induit le lecteur invétéré en erreur, le trompe sur lui-même, lui fait perdre pied et lui donne, quand il revient à soi parmi ses semblables, cet air égaré, à quoi se reconnaissent les esclaves d’une passion et les prisonniers évadés : ils n’arrivent plus à s’adapter et la vie libre leur parait une chose étrangère.»

Blaise Cendrars, Bourlinguer, Paris, Denoël, coll. «Le livre de poche», 437-438, 1966, 440 p., p. 421-422. Édition originale : 1948.

P.-S.—La réflexion de Cendrars sur la lecture couvre près de vingt pages de l’édition de 1966 (p. 419-438).

Assassinat critique du jour

Claude Roy, Défense de la littérature, éd. de 1979, couverture

«Vauvenargues excelle à ces profondeurs vagues. Ses maximes et réflexions sont souvent des monuments de marbre en mou de veau, une guimauve qui imite l’airain. Il est bien brave, mais bien flou.»

Claude Roy, Défense de la littérature, Paris, Gallimard, coll. «Idées», 161, 1979, 187 p., p. 166-167. Édition originale : 1968.

P.-S.—On ne peut rien vous cacher : à une époque de sa vie, l’Oreille tendue a écrit quelques comptes rendus de livres de Claude Roy. Ça se retrouve ici.

Les zeugmes du dimanche matin et de Balzac

Balzac, Une fille d’Ève, éd. de 1965, couverture

«Les deux amis montèrent dans un cabriolet pour aller racoler les convives, les plumes, les idées et les intérêts» (p. 102).

«Le journal fut baptisé chez elle dans des flots de vin et de plaisanteries, de serments de fidélité, de bon compagnonnage et de camaraderie sérieuse» (p. 103).

«Ce trait fit porter l’actrice en triomphe et en déshabillé dans la salle à manger par les quelques amis qui restaient» (p. 104).

«Quant à la comtesse de Granville, elle vivait retirée en Normandie dans une de ses terres, économisant et priant, achevant ses jours entre des prêtres et des sacs d’écus, froide jusqu’au dernier moment» (p. 154).

Honoré de Balzac, Une fille d’Ève, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 48, 1965, 189 p. Édition originale : 1839. Chronologie et préface par Pierre Citron.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, Un avenir radieux, 2025, couverture

«Joseph s’était blotti sur elle mais il ne ronronnait pas comme à l’accoutumée. Il se leva, s’avança jusqu’à la porte et lorsque Colette l’eut entrouverte, il fit quelques pas prudents sur le palier et s’arrêta. Colette le suivit. À travers les barreaux de l’escalier, tous deux voyaient, en bas, dans le salon, les silhouettes de papi et mamie. Ils chuchotaient. Colette tendit l’oreille.»

«Colette mesura du regard la longueur qui la séparait du molosse qui aboyait comme un fou, les babines retroussées. Elle s’avança jusqu’à se trouver à moins d’un mètre de lui, ça le rendit dingue, le chien, mais il se calma d’un coup quand elle lui lança des morceaux de sucre. Il se tut, on entendit de nouveau les bruits de la route, les voitures, un tracteur pas loin, elle tendit l’oreille.»

Pierre Lemaitre, Un avenir radieux. Roman, Paris, Calmann-Levy, 2025, 592 p. Édition numérique.

 

P.-S.—Comme l’a noté Luc Jodoin, l’incipit du roman comporte aussi une oreille tendue.