Chantons la langue avec Mononc’ Serge, bis

Mononc’ Serge, Ça, c'est d’la femme !, 2011, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Mononc’ Serge, «Le joual», Ça, c’est d’la femme !, 2011

 

Toé tu connais-tu le parler populaire
Qui s’élève des ruelles pis des caisses populaires
Ce n’est pas une langue châtiée
C’est la langue des shops pis des chantiers
Moé je parle comme je l’ai appris
J’parle comme mes voisins quand j’étais petit
C’est pas du français international
Moé c’que j’parle c’est le joual

C’est beau le joual — c’est s’a coche
C’est beau le joual — hostie qu’ça torche
C’est beau le joual — c’est malade mental
Fuck ceux-là qui disent qu’on parle mal
C’est beau le joual — t’es accoté tight
C’est beau le joual — fucké dans tête
C’est beau le joual — tu l’as d’ins dents
Fuck ceux-là qui disent qu’on parle mal

Le joual, c’t’un diamant en plywood
Gossé a’ec un couteau d’pêche
C’t’un tabarnak de bon coup de coude
D’ins côtes d’la langue française
Le joual, c’est des sacres en masse
Avec des mots anglais juste à bonne place
Comme «Hey man, t’aurais-tu une smoke ?»
Mais pas trop quand même, on n’est pas des blokes
On n’est pas des blokes

C’est beau le joual — ça garroche
C’est beau le joual — ça clenche en masse
C’est beau le joual — ça fesse dans l’dash
Fuck ceux-là qui disent qu’on parle mal
C’est beau le joual — on va voir c’qu’on va voir
C’est beau le joual — si tu veux la guerre
C’est beau le joual — ben tu vas l’avoir
Fuck ceux-là qui disent qu’on parle mal

Le joual ça sonne carré
C’est rugueux comme du ciment
C’est comme une poignée d’gravier
Qu’on frotterait su’ tes tympans
Le joual grafigne pis le joual grince
D’ins boutte à l’aut’ de la belle province
Le joual varge, le joual écorche
Mais le joual avance et sa victoire est proche

C’est beau le joual — C’est-y pas crisse
C’est beau le joual — C’est dans l’prélart
C’est beau le joual — Attache ta tuque
C’est beau le joual — C’pas des jokes
C’est beau le joual — C’pas pour les frais chiés
C’est beau le joual — Ni pour les pète-sec
C’est beau le joual — C’t’à nous autres au Québec
Pis fuck ceux-là qui disent qu’on parle mal

Fuck toé, fuck toé
Fuck vous autres qui disez qu’on parle mal

 

P.-S.—Vous avez l’oreille : il a déjà été question de Mononc’ Serge et du joual ici.

P.-P.-S.—Bis ? Parce que.

 

Chantons la langue avec Loco Locass

Loco Locass, Manifestif, 2000, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Loco Locass, «Malamalangue», Manifestif, 2000

 

Peuple à la mer
À la merci des courants
Qui n’est pas au courant
Dont la langue à vau-l’eau
Navigue entre deux eaux
Dont la culture dérive au large des rives
D’un incontinent mercantile
Quand il s’agit de s’agiter sache
Que les Loco Locass occupent la place
Jacassent avec audace et cassent la glace
En dénonçant la menace
Qui sévit sur la masse
C’est assez sérieux
Plutôt pernicieux
On croirait au complot tacite de la nation
Car aucun ne s’indigne de la situation
Dans la symphonie multiculturelle de Trudeau
(Son rêve était beau)
La voix francophone est noyée sous le son du saxe Anglo-saxon
Tabarnak sont 300 millions
Pendant qu’un Néo-Québécois de souche se tire une bûche
Un autre Anglo Klaxon sac’ son camp
Notre syntaxe est en voie d’extinction
Minée contaminée déterminée
Par Shakespeare et ses sbires
Y’a pas d’quoi rire
Car j’ai malamalangue

À court de discours
Je me dis cours toujours
Jour et nuit aucune dichotomie
C’est la grande noirceur qui sévit
C’est vite dit précis concis
Bref mon pays est loin de la Laconie
Honnie, bannie, c’est comme chercher Charlie
Où est ma langue ? Où est mon esprit ?
Où suis-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Où vis-je ?
L’insidieuse érosion du langage et ses suites me terrifient
Je suis l’homme calcaire en beau calvaire
Devant les assauts séculaires d’une mer qui me sape les pieds
Y’m’pogne des fois des envies d’hermétisme à l’extrême
Une néo-nipponnerie
Une genre de juiverie
Mais j’vivrais mal d’être jugé lepéniste
N’empêche qu’au bouche-à-bouche
Ma langue mal embouchée couche
Avec le butcher
J’en embrasse large mais je couche
Mes mots pour 7 millions de cocus sans colonne verbale
Avale mon venin mollusque, suce
Jusqu’à ce que t’en tire un antidote
Qui dotera ta glotte
Pour le french universel
J’ai rien contre l’orgie romaine man
Mais j’ramonne personne en franglais
C’est pas vrai ou faux
Je m’en fous
Mon parti est pris
Tu l’auras compris
Ma rage contre la machine est une mutinerie contre le mutisme
Ce séisme tranquille
Je m’infiltre effronté
Forcé de fitter dans la foulée de ces fous paroliers
Qui mettent flamberge au vent
À tout moment
Pour défendre leur langue
Avant qu’exagérément exsangue
Elle pende comme une sorte
De langue morte (langue d’Oc) OK
Je te l’concède
On est un peu cons et on cède
Nous aussi à la tentation
De parsemer not’ tchatche loquace
Du langage des fat ass
Un petit cool par-ci, beat par-là
Whatever man, we speak like we
Speak white wouanh !
J’ai la voix blanche de m’être trop tu
Au silence blanches négresses et nègres blancs
Nos mots sont des balles à blanc, pan !
Beaucoup de bruit pour rien mais le lendemain
Je me souviens de rien
Aphasie, avachie, chie dans son froc de french frog
Vagissant piternellement
Le Québec de lièvre n’en finit pas de naître… pas
Ceux qui tracèrent la trachée d’une voix
Qui n’a pas la portée d’un crachat
J’mâche pas mes mots
C’est pas d’la mash potato
Sache que les Loco Locass
Sont des koubros [?] qui causent et qui haranguent
Ce qui leur cause des mots sur le bout de la langue

Tous et toutes, professeurs, citoyens
Animateurs de musique plus ou politiciens
Je vous accuse au tribunal de la conscience
D’avoir immolé le français sur l’autel de l’indifférence
Malgré que le combat soit perdu d’avance
Même en France nous défendons notre patrie contre l’anglosphyxie
Tel que le firent les Phrygiens face à l’Empire romain
Nous avons pris le maquis linguistique
Et opposons à l’Amérique une résistance lyrique
Notre tactique est unique et consiste en la verbalistique
Nous faisons flèche de tout mot
Nos arbalètes envoient des carreaux lexicaux
Au macrophone les Loco détonnent
Et proposent entre autres choses
Une prose qui ose et qui désankylose
Si texturé soit-il
Ton texte doit expliquer le contexte de ton cortex car
Sans sens le son n’est que sensation
Mais sans son le sens est sans action
Si texturé soit-il
Ton texte doit expliquer le contexte de ton cortex car
Sans sens le son n’est que sensation
Mais sans son le sens est sans action

 

Chantons la langue avec Java

Java, Maudits Français, 2009, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Java, «Mots dits français», Maudits Français, 2009

 

Quand j’ai pris mes quartiers sous Jack dans l’Nouveau Monde
I faisait déjà moins six on était au mois d’novembre
Mon pote Daniel m’attendait sur l’tarmac
J’lui dis «J’suis gelé»
I m’fait «T’as fumé tabernacle ?»
«On va prendre mon char pour rejoindre Montréal»
J’me suis vu en compagnie d’Ben Hur derrière un ch’val
Puis i m’dit «Faudra qu’on s’arrête au dépanneur»
J’fais «Ah bon ? T’entends un bruit bizarre dans l’moteur ?»
J’lui dis qu’j’ai la dalle
I m’dit «Dalle de ciment ?»
Il finit par comprendre
On s’arrête au restaurant
I m’fait «Ici ils font des bons burgers et des guedilles Michigan»
«Ah ? Bah on va faire simple j’vais prendre c’que tu prends»
En r’gardant mes frites en sauce j’ai fait grise mine
I m’fait «Bin quoi y a un Tchètchène dans ta poutine ?»
«Non c’très bon mais c’est un peu écœurant»
I m’répond «J’tais sûr qu’t’allais trouver ça trippant»
Maudits Français
Disent pas tous la même chose
Maudits Français
Ca dépend d’quel côté on s’pose
Maudits Français
C’pas toujours la même prose
Maudits Français
Quand tu jases moi je cause
Puis i m’présente un pote i était vert fluo
J’ai vu des ours blancs et des orignaux
On rentre dans un bar
I m’fait «Qu’est-ce tu veux y a l’waiter ?»
«J’ai pas envie d’pisser appelle plutôt l’serveur»
On nous sert deux bières avec Charlebois sur l’étiquette
J’aurais rêvé d’avoir Gainsbourg sur mon anisette
Puis j’croise le regard d’une fille à côté
I m’dit «Va cruiser la blonde sois pas gêné»
J’finis par l’accoster
È m’dit «Qu’est-ce tu veux hostie ?»
J’réponds «J’suis pas baptisé non merci»
J’propose de sortir fumer
È m’dit «T’as une smoke ?»
«J’suis plutôt jean basket»
È m’dit «C’est quoi c’est une joke ?»
«C’est bizarre comme tu jases fais un break !»
«Oh tu sais moi j’suis plutôt dans l’rap-musette»
Maudits Français
Disent pas tous la même chose
Maudits Français
Ca dépend d’quel côté on s’pose
Maudits Français
C’pas toujours la même prose
Maudits Français
Quand tu jases moi je cause
Dans la rue j’ai eu des élans romantiques
Mais i avait pas d’fleuristes
Alors j’ai improvisé
J’lui ramasse deux jolies feuilles d’érable
È m’dit: «J’m’en calice j’aurais préféré un bouquet d’fleurs de lys»
«Viens chez moi mais j’te préviens j’ai un chum»
«Bah c’est normal avec ce froid d’attraper un rhume»
Arrivé chez elle è m’dit «Tire toi une bûche tu capotes ?»
J’sors un préservatif
«Espèce de quétaine range ton bébelle salaud»
«J’comprends pas c’est pas moi qui a demandé !»
«C’est donc comme ca qu’tu m’aimes-tu ?»
«C’est plutôt sans capote !»
Elle m’a jeté à la rue
Maudits Français
Disent pas tous la même chose
Maudits Français
Ca dépend d’quel côté on s’pose
Maudits Français
C’pas toujours la même prose
Maudits Français
Quand tu jases moi je cause
Malgré ces quiproquos j’ai trippé comme un dingue
De Québec-Ville jusqu’à l’Abitibi-Témiscamingue
J’ai rencontré dans c’pays des résistants
Qui pratiquent avec finesse le langagement
La Belle Province j’suis en amour
Et comme dit Richard
[Voix de Richard Desjardins] «Quand j’aime une fois j’aime pour toujours»

 

P.-S.—Vous avez l’oreille : il a déjà été question de Java ici.

 

Chantons la langue avec La Rue Kétanou

La Rue Kétanou, En attendant les caravanes, 2000, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

La Rue Kétanou, «Les mots», En attendant les caravanes, 2000

 

Approchez, approchez Mesdames et Messieurs
Car aujourd’hui grande vente aux enchères
Dans quelques instants mes deux jeunes apprentis saltimbanques
Vont vous présentationner des… mots

Un mot pour tous, tous pour un mot
Un mot pour tous, tous pour un mot

Des gros mots pour les grossistes
Des maux de tête pour les charlatans
Des jeux de mots pour les artistes
Des mots d’amour pour les amants
Des mots à mots pour les copieurs
Des mots pour mots pour les cafteurs
Des mots savants pour les emmerdeurs
Des mobylettes pour les voleurs

Aujourd’hui grande vente aux enchères
On achète des mots d’occasion
Des mots à la page et pas chers
Et puis des mots de collection

Un mot pour tous, tous pour un mot
Un mot pour tous, tous pour un mot

Des morues pour les poissonniers
Et des mochetés pour les pas bien beaux
Des mots perdus pour les paumés
Des mots en l’air pour les oiseaux
Des mots de passe pour les méfiants
Et des mots clés pour les prisonniers
Des mots pour rire pour les enfants
Des mots tabous pour l’taboulé

Aujourd’hui grande vente aux enchères
On achète des mots d’occasion
Des mots à la page et pas chers
Et puis des mots de collection

Un mot pour tous, tous pour un mot
Un mot pour tous, tous pour un mot

Des mots croisés pour les r’traités
Et des petits mots pour les béguins
Des mots d’ordre pour les ordonnés
Des mots fléchés pour les Indiens
Des momies pour les pyramides
Des d’mi-mots pour les d’mi-portions
Des mots courants pour les rapides
Et le mot de la fin pour la chanson

 

Chantons la langue avec Francine Raymond

Francine Raymond, les Années lumières, 1993, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

 

Y a les mots qui amusent et ceux qui abusent
Les mots qui blessent comme autant de morsures
Les mots qu’on pleure et crache en venin dans le chagrin
Et ceux qu’on échange en poignées de main

Y a les mots qui nous lient sous le sceau du secret
Et ceux qui déchirent et séparent à jamais
Les mots qui nous hantent pour un instant de folie
Et ceux qui disparaissent dans l’oubli

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Y a les mots qu’on soupire pour passer aux aveux
Ceux qu’on murmure pour mieux parler à son Dieu
Les mots qui frappent pour nous aider à tout comprendre
Et ceux qu’on échappe qu’on aimerait bien reprendre

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Dans tous ces mots
Oh oh oh oh
Oh oh oh oh
Oh oh oh oh
Au bout des chaînes
Là où y a les mots