Appel lexicographique à tous

Masque sanitaire porté sur le coude, Montréal, août 2021

Pandémie oblige, nous vivons désormais masqués. Que faire des masques lorsque nous ne les portons pas ? Il y a, sur le marché, des pochettes à masques. On peut simplement les mettre dans nos poches. Certains ont plutôt choisi de les porter au coude.

Comment appelleriez-vous cette pratique ?

 

[Complément du 31 août 2021]

À partir de Twitter et des commentaires ci-dessous, voici quelques propositions :

En coudelière (Louis-Xavier Michaud)

Cubitophérie du masque (Fabrice Marcoux)

Mascoudie (Fabrice Marcoux)

Cache-coude (Isabelle T.)

Mascoude, en l’honneur de Mascouche (Élise Melançon)

La discussion reste ouverte.

De la mesure avant toute chose

Le Besoin fou de l’autre, 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du collectif le Besoin fou de l’autre (2021) :

«Moi, j’ai pris un mois et demi pis j’ai appris à le seizer» (p. 151).

Seizer, donc. Venu de l’anglais to size (someone / something up) : mesurer, jauger, juger, évaluer, estimer. Se prononce à l’anglaise.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous croisons ce mot.

 

Référence

Le Besoin fou de l’autre. Petite anthologie du théâtre québécois durant la pandémie de Covid-19, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 27, 2021, 187 p. Ill. «Avant-propos» par Valérie Deault. «Contrepoint» par Marianne Ackerman.

On accélère, svp !

Manifestation, Montréal, mai 2021

De deux choses l’une.

On peut retarder le groupe au sens littéral : on fait partie d’un groupe et on l’empêche d’avancer aussi rapidement qu’il le pourrait.

On peut retarder le groupe au sens figuré : on est alors une engeance. Deux exemples récents, tirés de la Presse+ : «Mais quand des milliers de personnes s’entassent sans masque dans des autobus scolaires et des rames de métro pour aller faire en pleine pandémie un show près du Stade, là, on est dans la nuisance sanitaire… / Une nuisance qui retarde le groupe» (2 mai 2021); «Pas étonnant que le Dr Raoult soit vénéré par les complotistes de la planète : il leur dit ce qu’ils veulent entendre. Il alimente leur délire. Il retarde le groupe» (27 mai 2021).

Le premier comportement peut être excusable, pas le second.

 

[Complément du 23 décembre 2021]

Exemple théâtral, avec ralentir, chez Simon Boudreault : «Ben non c’pas grave, je t’aime pareil, mais crisse que tu ralentis le groupe» (p. 35).

 

Référence

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Divergences transatlantiques 060

Image de la série télévisée le Bureau des légendes, 1re saison, 4e épisode

Il y a quelques années, l’Oreille tendue citait cette phrase : «La marde va frapper la fan tantôt, Monsieur le Premier Ministre» (le Devoir, 30 janvier 2014, p. A1).

Elle rappelait alors que La marde va frapper la fan est un calque de l’anglais The shit will hit the fan.

Regardant récemment le quatrième épisode de la première saison de la série le Bureau des légendes, elle a découvert un équivalent hexagonal : «Ça chie dans l’ventilo» (article du Wiktionnaire ici).

En ces temps de pandémie, ne pourrait-on pas aussi dire que la merde est aéroportée ?

 

[Complément du 13 mai 2021]

En images :

Six remarques sur le Petit Larousse illustré 2022

Petit Larousse illustré 2022, publicité

C’est un marronnier : une fois l’an, les médias discutent les mots nouvellement adoubés par les dictionnaires. Ces jours-ci, c’est le Petit Larousse illustré qui annonce ses couleurs; l’Oreille tendue en parle d’ailleurs dans le Devoir du jour.

Que dire de cette cuvée ?

1. Il fallait s’y attendre : les mots de la crise sanitaire sont nombreux à entrer dans les colonnes du PLI 2022 (pour les intimes). Il a fallu trier parmi les centaines de mots nés depuis le début de la pandémie et l’équipe de Larousse y est allée d’une sélection généreuse. (À un moment, l’Oreille a essayé de tenir le rythme; elle n’est y pas parvenue.)

2. Même en faisant vite — et les concepteurs du PLI ont fait vite (merci) —, on n’arrive pas à tout couvrir. Sauf erreur, vaccinodrome n’est pas encore répertorié, mais il est dans le Wiktionnaire. Le dictionnaire n’est qu’un état de la langue saisi à un moment de l’histoire.

3. Les Français et les Québécois parlent la même langue, mais ils n’emploient pas exactement les mêmes mots. Ils ont en commun le confinement, l’écouvillon, la comorbidité, le couvre-feu, la jauge. En revanche, les Québécois n’ont guère recours à continuité pédagogique ou à déplacement dérogatoire. Ils parlent eux aussi de plateau et de pic, mais ils tentent plus souvent d’aplatir la courbe. Ils portent un couvre-visage ou un masque (le mot existait dans le PLI; il est redéfini dans l’édition la plus récente).

4. On parle plus volontiers en France du covid que de la covid. Les deux genres sont indiqués dans le PLI2022, avec le féminin en première place.

5. Les Québécois aiment reprocher aux Français leur passion pour les mots anglais. Dans un prospectus, Bernard Cerquiglini, le conseiller scientifique de Larousse, se réjouit de ne pas avoir cédé sur ce plan :

Cette appropriation collective de la langue se marque aussi par la négative. On pouvait craindre que l’arrivée dans l’usage de termes médicaux, ou relevant du nouveau commerce à distance, s’accompagnât de nombreux anglicismes; force est de constater qu’il n’en est rien : le français, en la circonstance, fait preuve d’une singulière résistance. Dans l’usage, le cluster infectieux cède du terrain devant le foyer de contagion, locution nouvelle; le tracking recule face au traçage, qui rejoint au dictionnaire traçable et traçabilité. Notons que distanciation sociale, calque fâcheux de social distancing (car l’adjectif français social, au rebours de son homologue anglais, évoque un rapport de classes), s’efface devant distanciation physique. Épousant cette tendance, le Petit Larousse 2022 observe que cliqué-retiré vaut bien click and collect, qu’un retrait rapide (que l’on peut d’ailleurs effectuer à pied) se comprend mieux qu’un drive.

Tout cela est bel et bon. Puis, quelques pages plus loin, on tombe sur d’autres nouveautés du PLI 2022 : alumni, batch cooking, krump, mocktail. Ça fait désordre.

6. Comme chaque année, des mots de la francophonie sont retenus. Pour 2022, il y en a quatorze, dont quatre du Québec : bien-cuit, échouerie, nounounerie, vigile. (Parmi les noms propres, il y a aussi Guy Delisle.) Pourquoi ceux-là ? On peut se le demander : les règles d’inclusion des mots de la francophonie dans les dictionnaires hexagonaux ne sont pas de la plus grande transparence. Faut-il déplorer les choix du PLI 2022 ? Si ce dictionnaire était le seul à s’intéresser à la description du français du Québec, on pourrait regretter l’inclusion d’un mot comme nounounerie; il y a probablement des mots à officialiser plus rapidement que celui-là. Or il existe des outils plus utiles pour cette description, le dictionnaire numérique Usito notamment (qui ne connaît ni bien-cuit ni nounounerie). N’exigeons pas trop, sur ce plan, du Petit Larousse. Le plus beau dictionnaire du monde ne peut donner que ce qu’il a.

P.-S.—Oui, ce texte est un marronnier.