La clinique des phrases (qq)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, tirée des pages sportives d’un quotidien montréalais :

Gostkowski, leur botteur depuis 2006, séjourne sur la liste des blessés depuis le 2 octobre.

S’il faut en croire le Petit Robert (édition numérique de 2019), séjourner signifierait «Rester assez longtemps dans un lieu pour y avoir sa demeure sans toutefois y être fixé.» On peut imaginer que le botteur des Patriots de la Nouvelle-Angleterre — c’est du football — ne souhaite pas «avoir sa demeure sur la liste des blessés».

Simplifions :

Gostkowski, leur botteur depuis 2006, est sur la liste des blessés depuis le 2 octobre.

Il est très bien le verbe être. On l’oublie trop souvent.

À votre service.

P.-S.—Plus puriste que l’Oreille tendue, on pourra préférer «Le nom de Gostkowski, leur botteur depuis 2006, est sur la liste des blessés depuis le 2 octobre.»

Autopromotion 468

Maurice Richard, dessin de Théo Malo Melançon

La revue numérique Recherches en communication vient de mettre en ligne sa 50e livraison, «Les vedettes du sport et des médias». Sous la direction de Gérard Derèze (Université catholique de Louvain) et Damien Féménias (Université de Rouen), ce dossier (encore ouvert) est constitué pour l’instant de cinq contributions; l’Oreille tendue en est.

Table des matières

Damien Féménias et Gérard Derèze, «Les vedettes du sport et des médias. Introduction»

Contemporain de l’avènement du cinéma, Marcel Mauss reconnaît dans la démarche des infirmières celle des actrices américaines et repère très tôt ce que les usages sociaux doivent aux représentations qu’on en donne. Quelques décennies plus tard, Edgar Morin prolonge cette réflexion et ouvre un champ de recherche, mais depuis Les Stars, force est de constater que le sens et la place des vedettes, des héros et des idoles — que produisent nos sociétés médiatisées — suscitent des questions complexes et récurrentes. Dans ce numéro de Recherches en communication, nous tenterons de mieux comprendre le sens et de mieux identifier la place qu’occupent aujourd’hui dans les médias, parmi les vedettes du loisir ou du divertissement, les vedettes du sport.

Benoît Melançon, «Un “mythe bien de chez nous” : Maurice Richard»

Maurice Richard (1921-2000) est le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey en Amérique du Nord, les Canadiens de Montréal. Plus qu’une vedette sportive, Richard est un véritable mythe national. Paradoxalement se conjuguent en lui la grandeur et la proximité, des actes qui le distinguent des mortels et d’autres qui en font un semblable. Par ce mélange, Maurice Richard est une «idole du peuple» typiquement québécoise.

Valérie Bonnet, «Vertige des hauteurs, économie de la grandeur. Les rubriques nécrologiques consacrées à P. Edlinger»

L’escalade est un sport peu médiatisé hors des réseaux spécialisés, ses pratiquants étant peu sensibles à l’exposition compétitive et médiatique. Patrick Edlinger fait cependant exception en la matière. Lors de sa disparition en 2016, de nombreux articles lui sont consacrés, alors qu’il est retiré du terrain depuis 1995. À travers l’analyse des différents textes produits à la suite de ce décès, nous allons nous attacher aux justifications mises en place, argumentations implicites légitimant la couverture d’un «petit sport» dans une presse généraliste, et dont les mécanismes ne sont pas sans relever des «régimes de singularité» décrits par Nathalie Heinich (2012).

Philippe Dine, «Rugby, Race and the Republic : The Sporting Stardom of Abdelatif Benazzi»

Le présent article porte sur la conjonction de facteurs institutionnels, représentationnels et sociétaux mobilisés dans la construction médiatique comme vedette sportive du rugbyman franco-marocain Abdelatif Benazzi. La carrière internationale de ce joueur (1988-2003) illustre l’évolution globale du rugby dans un paysage sportif en pleine mondialisation du fait de la professionnalisation officielle de ce sport en 1995. Son itinéraire fournit un modèle pour l’ouverture croissante du rugby français au talent importé ainsi qu’à des structures de recrutement davantage fondées sur l’inclusion sociale. La visibilité extraordinaire de Benazzi, dans ce sport d’équipe des plus traditionnels, comme maghrébin et musulman, notamment en tant que capitaine du XV de France, constitue un élément déterminant de sa représentation à la fois sur le terrain et en dehors. Ce processus peut être observé par le biais d’une lecture attentive des trois biographies / autobiographies présentées ici, qui ensemble attirent l’attention sur la personnification, chez Benazzi, de l’hybridité transnationale, principal héritage de cette vie sportive et de sa multiple narration.

Jean Maurice, «De la vedette du sport à la légende du sport : le cas Anquetil»

Les expressions «vedette du sport» et «légende du sport» sont données hâtivement pour quasi synonymes, alors qu’elles appartiennent en toute rigueur à deux couples de régimes différents, l’opsis et le logos, d’une part, la communication et la littérature, d’autre part. Le passage du statut de «vedette» à celui de «légende» s’effectue en plusieurs étapes : articles de presse éphémères, ouvrages grand public centrés sur le sport, œuvres littéraires. Le cas de la transformation de Jacques Anquetil, vedette controversée à l’image trouble, en légende épurée et déréalisée est un exemple probant de cette métamorphose. On le montre en s’appuyant sur l’exemple du «récit» écrit par Paul Fournel, Anquetil tout seul (Paris, Éditions du Seuil, 2012).

 

[Complément du 13 février 2021]

Élise Pons, «L’évolution d’une carrière sportive, Jappeloup athlète-cheval»

Peu d’animaux ont su s’imposer dans notre univers sportif comme l’a fait Jappeloup. Ce petit cheval, champion de saut d’obstacles dans les années 1980, est aujourd’hui encore une figure médiatique de notre société. Si certains champions ont su s’affranchir du cadre sportif pour devenir des vedettes à part entière, Jappeloup a également dépassé la frontière culturelle qui distingue l’humain de l’animal. Cette personnification s’accomplit au cours de sa carrière et perdure plusieurs décennies après sa mort, à travers une perception zoocentriste. Notre étude, basée sur un double corpus, propose d’analyser les représentations de cet athlète atypique et de son parcours socio-sportif, au sein de discours de presse issus des années 1980 et 2010.

Préfixe du jour

Yves Boisvert, la Presse+, 18 août 2019, titre

Dans sa chronique du jour du quotidien montréalais la Presse+, Yves Boisvert répond aux gens qui, pour cause d’écoanxiété, décident de ne pas faire d’enfant : «Oui, cette idée de déprocréation, ça se comprend. Les raisons de désespérer sont nombreuses et spectaculaires.» Boisvert ne partage pourtant pas cette idée.

L’oreille de l’Oreille tendue s’est tendue devant le préfixe dé- dans déprocréation. Pourquoi pas refus de la procréation ou non-procréation, voire improcréation ?

Le préfixe dé- a les sens suivants suivant le Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Élément, du latin dis-, qui indique l’éloignement (déplacer), la séparation (décaféiné), la privation (décalcifier), l’action contraire (décommander, défaire, démonter).» S’appliquent-ils ici ?

Éliminons «l’éloignement» et «la séparation» : ce n’est manifestement pas ce qui est en cause. De même, «l’action contraire» n’est pas envisageable : il ne s’agit pas de revenir à un état antérieur à la création (en décommandant, en défaisant ou en démontant un enfant — façon de parler).

Reste «la privation». Prenons l’exemple du Robert, décalcifier : «Priver d’une partie de son calcium.» Encore une fois, il est difficile d’enlever quelque chose au type de création dont il est question. L’enfant existe ou pas.

Bref, l’Oreille tendue n’est pas convaincue par le mot (par les arguments de Boisvert, en revanche, si), ce qui ne veut rien dire : l’usage tranchera.

P.-S.—Pour l’instant, si l’on se fie à Google, Yves Boisvert est une des très rares personnes à avoir employé le mot. (Ô ironie ! L’Oreille s’ajoutera bientôt à ce petit nombre.)

Lectures de fin de semaine

Le Canada privé de l’or par la Finlande, titre de presse, 26 mai 2019

Comme tout un chacun, l’Oreille tendue consomme de l’information. Ces derniers jours, dans des médias locaux, elle est tombée sur trois phrases qui l’ont poussée à se poser des questions.

Dans «Aujourd’hui, une nouvelle gauche, passée du social au sociétal, met en procès la civilisation occidentale pour cause de racisme, de sexisme et de nationalisme», quelle est la différence entre «social» et «sociétal» ?

Dans «Il a beau être le plus grand stade d’Europe avec ses presque 100 000 sièges, le Camp Nou de Barcelone s’affiche avant tout en catalan», quel est le lien logique entre les deux éléments de la phrase ?

Dans «Le Canada privé de l’or par la Finlande», faut-il comprendre que le Canada était assuré de gagner au Championnat du monde de hockey et qu’il a été «privé» de ce qui lui était dû ? «La Finlande bat le Canada et gagne la médaille l’or», ce n’aurait pas été plus juste ?

Proposition de moratoire du lundi pluvieux

Logo de Netflix

Soit trois phrases tirées du quotidien le Devoir :

«Le géant de l’informatique [Apple] aligne les stars afin de rivaliser avec les Netflix de ce monde» (26 mars 2019, p. B7).

«On saura si les Netflix de ce monde ont reçu des traitements de faveur» (7 mai 2019).

«Qu’une star de ce calibre veuille se pencher sur un projet aussi délicat en apparence pouvait rassurer Hulu, une plateforme qui commence sérieusement à toiser les Netflix de ce monde […]» (18-19 mai 2019, p. 35).

Laissons Netflix tranquille, mais faisons un usage plus parcimonieux du syntagme «de ce monde».

Merci à l’avance.