Dieudonnismes du jour

L’humoriste Dieudonné, aussi appelé Dieudo, a des démêlés avec la justice hexagonale. Cela occupe l’espace médiatique.

La langue en profite pour créer dieudosphère, dieudonnien, dieudonniste, dieudonnesque et dieudonnisation (merci à @MFBazzo pour le lien vers l’article de Slate.fr où apparaissent tous ces mots). On peut s’attendre à d’autres dieudonnismes de la même souche.

On n’arrête pas le progrès (lexical).

10 néologismes pour un 10 janvier

Des légumes bio ?

En -less

«Pat Lagacé fait sa sortie de placard d’homme-à-rien-faire. Je signe où ? On pourrait s’appeler les #CLOULESS» (@Patrickdery). Clueless avec un clou, bref.

En -ion

«La pharmaceuticalisation de la société ? Selon quels processus et dans quelles limites» (@_Acfas). Une définition ? Par ici.

En -eur

«Bon, Jean-Jacques Samson parle des “environnementeurs” ce matin. Le lexique des radios d’opinion ruisselle» (@oniquet).

En -isme

«Comment consacrer ses vacances au “volontourisme”» (la Presse, 4 janvier 2013, cahier Voyage, p. 10). Le volontourisme est une forme de bénévolat en aide internationale. Sa construction est calquée sur celle, en anglais, de voluntourism : volunteer + tourism.

En -ing

«Notre photographe @olijean a créé tout un buzz avec le #coderring !» (@VincentLarouche)

En -iel

«Vous voulez vos données ? Pas de problème ! Ce sera 300 $. @BendaGeek nous parle du rançongiciel Crypto Locker» (@BranchezVous).

En -eur

«Un nouveau portrait de généablogueur dans la boîte. @GallicaBnF est vraiment le site préféré des généalogistes ^_^» (@gazetteancetres).

En -ment

«Je vous demande de boycotter Total qui, dans sa pub pour promouvoir Total Wash, utilise sans honte l’expression “Washement bien”» (@fieldelanation).

En -om

Clom : cours en ligne ouvert et massif. Équivalent français de mooc (Massive open online course).

En -ité

«Pourquoi se préoccuper de découvertibilité ?» (@De_Marque)

Ça la fout mal

Olivier Talon et Gilles Vervisch, le Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même, 2013, couverture

L’Oreille tendue est volontiers donneuse de leçons (linguistiques); c’est là son moindre défaut. Elle a d’ailleurs créé une catégorie «Grogne du pion» où classer ses obsessions, bien ou mal fondées. Elle s’expose par là à se faire corriger par ses bénéficiaires; c’est la règle du jeu.

C’est à cela qu’elle pensait tout au long de sa lecture du Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même (2013). Ses auteurs, Olivier Talon et Gilles Vervisch, glanent les mots dont raffolent les médias, mais que ne connaît pas le Petit Robert (c’est leur ouvrage de référence). Ils puisent dans la langue de la politique («berlusconisation», «sarkhollandisation»), du sport («zlataner»), de l’informatique («défacebooker (se)»), de la gestion («consultance»), du spectacle («bankable»), de la mode et des cosmétiques («volumiser»), surtout en France, mais aussi ailleurs dans la francophonie. Ils n’aiment guère les anglicismes et les «scories anglophiles» (p. 157 et p. 283) : «chacun sa langue, et les moutons seront bien gardés» (p. 114). Pour eux, par exemple, «délivrable» est une «abjection vocabulistique» (p. 94). Comme il se doit — c’est la règle du jeu —, ils ont l’anathème facile, bien qu’ils soient prêts à reconnaître l’utilité de quelques néologismes («chronophage», «procrastiner», «technophobie»). Leur souhait ? Qu’on parle «correctement» (p. 145), qu’on corrige «le langage des parle-petit» (p. 245).

Malheureusement, leur livre contient pas mal de fautes, on y trouve des usages critiqués, la ponctuation y est approximative, etc.

L’Oreille est assez fortement convaincue qu’un dictionnaire ne peut pas se vouloir (p. 9) et que la formule comme étant ne sert à rien (p. 28 et p. 76). Soi-disant ne peut pas se dire d’un inanimé (p. 17, p. 201 et p. 247). Sept fois «donc» en soixante lignes (p. 43-45), c’est beaucoup. Il y a «Seconde guerre mondiale» (p. 52) et «Seconde Guerre mondiale» (p. 54); ça fait désordre. Page 138, la même expression revient deux fois, une fois fautivement («L’apparition d’Internet et des réseaux sociaux ont ainsi conduit»), une fois non («L’apparition combinée d’Internet et de la téléréalité a conduit»); on pourrait profiter de cette occasion pour citer, en l’adaptant, certaine parenthèse de la page 178 («On observera la belle faute de conjugaison à la troisième personne du pluriel […]»). Il est ennuyeux de ne pas aimer les anglicismes et d’employer «magnets» au lieu d’«aimants» ou d’«aimantins» (p. 143), ou encore «smartphone». Les «mémoires» de l’organiste Louis Vierne n’ont pas été «publiées par l’Association des amis de l’orgue» (p. 149 n. 1); ses «Mémoires» ont été «publiés» par cette association (désignant une pratique autobiographique, le mot Mémoires est masculin et demande la majuscule).

L’arroseur arrosé, en quelque sorte. L’Oreille connaît.

P.-S. — On ne peut pas toujours pinailler : il faut saluer l’oreille d’Olivier Talon et Gilles Vervisch quand ils corrigent la définition de pipolisation dans le Petit Robert de 2013 (p. 203-207). Également à signaler : «beuguer» (p. 40-41), «facilitateur» (p. 108-109), «pécunier» (p. 193-194), «redensifier» (p. 228), «réseautage» (p. 234-235).

 

Référence

Talon, Olivier et Gilles Vervisch, le Dico des mots qui n’existent pas et qu’on utilise quand même, Paris, Express Roularta Éditions, 2013, 287 p.

Déploration (révolue ?) du samedi matin

«user sans raison du néologisme et de tous ces mots nouveaux, étranges, qu’inventent là-bas ceux qui n’ayant rien à dire cherchent à suppléer à l’idée par l’inattendu de l’expression; employer tous ces vocables mièvres, ou prétentieux et miroitants comme de faux bijoux, qui tirent l’œil plus qu’ils n’éveillent la pensée; […] faire des livres, en un mot, où la langue est corrompue par l’argot des écrivains malades de France […], où la matière, pétrie de lectures plus que d’idées personnelles, est imprégnée de toutes les sauces piquantes avec lesquelles on relève, là-bas, le ragoût de certains ouvrages : voilà ce qui n’est pas canadien, et voilà ce qu’il faut condamner.»

Camille Roy, Essais sur la littérature canadienne, Québec, Librairie Garneau, 1907, p. 356, cité dans Dominique Garand, la Griffe du polémique. Le conflit entre les régionalistes et les exotiques, Montréal, l’Hexagone, coll. «Essais littéraires», 1989, 235 p., p. 102.

Quelques néologismes pour un mardi matin

Le premier vient de Finlande (si si). Catherine Pogonat déclare que «les commerces illicites poussaient comme des petits pains chauds». Pour @jeanphipayette, c’est un pogonatisme.

Le deuxième arrive d’Épinal, gracieuseté du Notulographe, Philippe Didion : «Bertrand Sombrelieu (1915-1984) s’est […] spécialisé dans les “homonymographies” [les biographies d’homonymes]. Il est ainsi l’auteur d’une Vie de Théophile Gautier, cordonnier à Lattes, d’une Vie de Lénine consacrée à Clément Lénine employé des chemins de fer belges, d’une Vie de Cambronne, représentant de commerce dans le Doubs et de quelques autres du même tonneau» (Notules dominicales de culture domestique, livraison du 13 octobre 2013).

Le troisième a été prononcé par Richard Massicotte sur les ondes de la radio de Radio-Canada, dans le cadre de l’émission les Années lumière, le 6 octobre 2013. L’hoolinaute (hooligan + internaute) est un troll.

Le quatrième est un sous-produit de la restauration hexagonale. «@ALLORESTO offre bon d’achat ALLORESTO 10€ à la première personne nous envoyant #Vine d’une pifle (gifle avec une pizza).» François Bon avait raison d’ajouter à ce tweet : «pôvr types».

Les derniers, enfin, ont atterri rue Saint-Jacques à Montréal. Dans la Presse du 17 mai 2013, Alain Dubuc déplore «l’amour immodéré des moratoires qui s’exprime avec vigueur au Québec» (p. A21). Les tenants des moratoires sont des momos (comme il y a des bobos). Le verbe tiré de ce nom serait morater, et l’adjectif moratorien.