Chantons la langue avec Loco Locass

Loco Locass, Manifestif, 2000, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Loco Locass, «Malamalangue», Manifestif, 2000

 

Peuple à la mer
À la merci des courants
Qui n’est pas au courant
Dont la langue à vau-l’eau
Navigue entre deux eaux
Dont la culture dérive au large des rives
D’un incontinent mercantile
Quand il s’agit de s’agiter sache
Que les Loco Locass occupent la place
Jacassent avec audace et cassent la glace
En dénonçant la menace
Qui sévit sur la masse
C’est assez sérieux
Plutôt pernicieux
On croirait au complot tacite de la nation
Car aucun ne s’indigne de la situation
Dans la symphonie multiculturelle de Trudeau
(Son rêve était beau)
La voix francophone est noyée sous le son du saxe Anglo-saxon
Tabarnak sont 300 millions
Pendant qu’un Néo-Québécois de souche se tire une bûche
Un autre Anglo Klaxon sac’ son camp
Notre syntaxe est en voie d’extinction
Minée contaminée déterminée
Par Shakespeare et ses sbires
Y a pas d’quoi rire
Car j’ai malamalangue

À court de discours
Je me dis cours toujours
Jour et nuit aucune dichotomie
C’est la grande noirceur qui sévit
C’est vite dit précis concis
Bref mon pays est loin de la Laconie
Honnie, bannie, c’est comme chercher Charlie
Où est ma langue ? Où est mon esprit ?
Où suis-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? Où vis-je ?
L’insidieuse érosion du langage et ses suites me terrifient
Je suis l’homme calcaire en beau calvaire
Devant les assauts séculaires d’une mer qui me sape les pieds
Y m’pogne des fois des envies d’hermétisme à l’extrême
Une néo-nipponnerie
Une genre de juiverie
Mais j’vivrais mal d’être jugé lepéniste
N’empêche qu’au bouche-à-bouche
Ma langue mal embouchée couche
Avec le butcher
J’en embrasse large mais je couche
Mes mots pour 7 millions de cocus sans colonne verbale
Avale mon venin mollusque, suce
Jusqu’à ce que t’en tire un antidote
Qui dotera ta glotte
Pour le french universel
J’ai rien contre l’orgie romaine man
Mais j’ramone personne en franglais
C’est pas vrai ou faux
Je m’en fous
Mon parti est pris
Tu l’auras compris
Ma rage contre la machine est une mutinerie contre le mutisme
Ce séisme tranquille
Je m’infiltre effronté
Forcé de fitter dans la foulée de ces fous paroliers
Qui mettent flamberge au vent
À tout moment
Pour défendre leur langue
Avant qu’exagérément exsangue
Elle pende comme une sorte
De langue morte (langue d’Oc) OK
Je te l’concède
On est un peu cons et on cède
Nous aussi à la tentation
De parsemer not’ tchatche loquace
Du langage des fat ass
Un petit cool par-ci, beat par-là
Whatever man, we speak like we
Speak white wouanh !
J’ai la voix blanche de m’être trop tu
Au silence blanches négresses et nègres blancs
Nos mots sont des balles à blanc, pan !
Beaucoup de bruit pour rien mais le lendemain
Je me souviens de rien
Aphasie, avachie, chie dans son froc de french frog
Vagissant piternellement
Le Québec de lièvre n’en finit pas de naître… pas
Ceux qui tracèrent la trachée d’une voix
Qui n’a pas la portée d’un crachat
J’mâche pas mes mots
C’est pas d’la mash potato
Sache que les Loco Locass
Sont des koubros [?] qui causent et qui haranguent
Ce qui leur cause des mots sur le bout de la langue

Tous et toutes, professeurs, citoyens
Animateurs de Musique plus ou politiciens
Je vous accuse au tribunal de la conscience
D’avoir immolé le français sur l’autel de l’indifférence
Malgré que le combat soit perdu d’avance
Même en France nous défendons notre patrie contre l’anglosphyxie
Tel que le firent les Phrygiens face à l’Empire romain
Nous avons pris le maquis linguistique
Et opposons à l’Amérique une résistance lyrique
Notre tactique est unique et consiste en la verbalistique
Nous faisons flèche de tout mot
Nos arbalètes envoient des carreaux lexicaux
Au macrophone les Loco détonnent
Et proposent entre autres choses
Une prose qui ose et qui désankylose
Si texturé soit-il
Ton texte doit expliquer le contexte de ton cortex car
Sans sens le son n’est que sensation
Mais sans son le sens est sans action
Si texturé soit-il
Ton texte doit expliquer le contexte de ton cortex car
Sans sens le son n’est que sensation
Mais sans son le sens est sans action

 

Chantons la langue avec Francine Raymond

Francine Raymond, les Années lumières, 1993, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Francine Raymond, «Y a les mots», les Années lumières, 1993

 

Y a les mots qui amusent et ceux qui abusent
Les mots qui blessent comme autant de morsures
Les mots qu’on pleure et crache en venin dans le chagrin
Et ceux qu’on échange en poignées de main

Y a les mots qui nous lient sous le sceau du secret
Et ceux qui déchirent et séparent à jamais
Les mots qui nous hantent pour un instant de folie
Et ceux qui disparaissent dans l’oubli

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Y a les mots qu’on soupire pour passer aux aveux
Ceux qu’on murmure pour mieux parler à son Dieu
Les mots qui frappent pour nous aider à tout comprendre
Et ceux qu’on échappe qu’on aimerait bien reprendre

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Dans tous ces mots qui m’entourent et m’appellent
J’entends des enfants jouer dans la ruelle
Je vois des ponts bâtis au bout des hommes
Au bout des chaînes là où y a les mots

Dans tous ces mots
Oh oh oh oh
Oh oh oh oh
Oh oh oh oh
Au bout des chaînes
Là où y a les mots

 

Les rustines des Hells

Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué, éd. de 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du premier roman de Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué : «Toutes les bâtisses de Chicoutimi sont construites sur une faille patchée par du béton et de l’asphalte» (p. 191).

Cela peut être appliqué à la pompe sanguine : «mon cœur / Y est patché plein de trous», chantait Gerry Boulet, du groupe Offenbach, dans «Faut que j’me pousse» (1969).

Patché(e) ? Rapiécé(e), dans le français populaire du Québec. Le mot y est féminin : une patch.

Ce n’est pas tout. Le patch, en informatique, c’est la rustine. En médecine, un médicament. Le mot est alors masculin, du moins en français de référence. Pas au Québec, où on a surtout recours au féminin. (Oui, c’est une divergence transatlantique.)

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Qui, dans la hiérarchie des motards criminels, qu’on dit parfois parfois et bizarrement criminalisés, grimpe les échelons gagne ses patchs. Le mot est dangereux.

À votre service.

 

Référence

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Chantons la langue avec Pauline Julien

Collectif, le Disque de l’Automne show, 1974, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Pauline Julien, «Mommy», le Disque de l’Automne show, 1974

 

Mommy mommy, I love you dearly
Please tell me how in French
My friends used to call me ?
Paule, Lise, Pierre, Jacques ou Louise
Groulx, Papineau, Gauthier
Fortin, Robichaud, Charbonneau

Mommy mommy, how come it’s not the same
Oh mommy mommy, what happened to my name
Oh mommy, tell me why it’s too late, too late
Much too late

Mommy mommy, I love you dearly
Please tell me where we used to live in this country
Trois-Rivières, Saint-Marc, Grand-Mère
Gaspé, Dolbeau, Berthier
Saint-Paul, Tadoussac Gatineau

Mommy mommy, how come it’s not the same
Oh mommy mommy, there’s so much in a name
Oh mommy, tell me why it’s too late, too late
Much too late

Mommy mommy, I love you dearly
Please sing the song you sang when I was a baby
Fait dodo, Colas mon p’tit frère
Fait dodo, mon p’tit frère fait dodo tu auras du lolo

Mommy mommy, I remember the song
Oh mommy mommy, something seems to be wrong
Oh mommy, tell me why it’s too late, too late
Much too late

Mommy mommy, I love you dearly
Please tell me once again that beautiful story
Un jour, ils partirent de France
Bâtir ici quelques villages, une ville, un pays

Mommy mommy, how come we lost the game
Oh mommy mommy, are you the one to blame
Oh mommy, tell me why it’s too late, too late
Much too late

 

P.-S.—Parmi les interprètes qui ont repris cette chanson, il y a Marie-Jo Thério.

 

Chantons la langue avec Nicola Ciccone

Nicole Ciccone, Gratitude, 2021, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Nicola Ciccone, «Dynamite», Gratitude, 2021

 

J’ai pris mes jambes à mon cou
Courant pour te dépasser
J’ai cru que mon cœur allait exploser
Mais tu m’as vite rattrapé
Tu t’es mis à m’taquiner
Une milléniale qui parlait en franglais
Tu m’as dit : «Don’t give up
T’as des skills
T’es pas pire
Keep on trying
Sois plus chill
T’es trop straight
Trop sérieux
Trop old school
Sois plus hip
Plus baveux
Plus Jos Cool»
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
On a joggé quelques mètres
J’avais le souffle coupé
J’ai pris un respir
Et j’ai riposté
«Au lieu de faire ta frais-chiée
Avec tes mots parfumés
Tu pourrais p’t-êt’ me parler en français
On dit pas hip, on dit rocambolesque
Ton phrasé manque un peu d’délicatesse
T’es pt-êt’ chill
Mais tes mille fautes de grammaire
C’est comme courir avec la langue à terre»
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite

J’ai pris mes jambes à mon cou
Courant pour te dépasser
J’ai cru que mon cœur allait exploser
Mais tu m’as vite rattrapé
Tu t’es mis à m’taquiner
Une milléniale qui parlait en franglais
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est de la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite

 

P.-S.—«Franglais» ? Par ici.