Loterie lexicale

En juin 2009, Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, proposait un équivalent local du mot redneck : le cou bleu. Il aurait désigné un nationaliste québécois intolérant. Échec :  sauf erreur de la part de l’Oreille tendue, ce néologisme n’a eu aucun succès.

Elle ne voit guère d’avenir, non plus, à mobigoinfres, terme proposé par Solveig Godeluck du journal les Échos dans un article intitulé «Les gros utilisateurs d’Internet mobile dérangent les opérateurs» (19 mars 2010). Sans être poétique, l’équivalent anglais, data hogs, a au moins pour lui d’être imagé. Ah ! ce cochon qui se met des données partout !

À la loterie lexicale, il est rare de tirer le billet gagnant.

La banlieue à la ville

Carte du Québec adjacent, Dictionnaire québécois instantané, 2004

Tous les Québécois le connaissent : le Plateau Mont-Royal — plus simplement : le Plateau —, ce quartier montréalais autour duquel tournerait l’univers connu. Les Québecquois — les habitants de la ville de Québec — ne l’aimeraient pas, dit-on, car l’univers connu tournerait autour.

Sa composition serait en train de changer, si l’on en croit le quotidien la Presse de ce samedi : «La sociologie du Plateau change» (13 mars 2010, p. A10). Le monarcoplatal ne serait plus ce qu’il était : «Il y a trois sources d’immigration principales : les Français, les anglophones francophiles attirés par la culture du quartier et les plateausards, les gens qui sont en moyens et qui sont à gauche, mais une gauche un peu caviar.»

Plateausard ? Un banlieusard établi en ville. Il n’est pas sûr que ce soit un mélioratif.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p. La «Carte du Québec adjacent» reproduite ci-dessus se trouve p. 13.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Coincés ensemble

À la radio de Radio-Canada, hier : «Il y a interblocage à l’intersection des rues X et Y.» Traduction libre : un véhicule a voulu passer au vert; la circulation devant lui l’en a empêché; quand le feu tourne au rouge, il est coincé dans le carrefour et il gêne le passage des autres; il bloque donc toute l’intersection, d’où interblocage.

Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française ne connaît pas le mot dans ce sens, mais il existe un interblocage en informatique : «Situation qui provoque un blocage complet du système et qui se produit lorsque deux programmes tentent d’avoir accès à une même ressource simultanément, ou lorsque l’un d’entre eux attend une information que seul l’autre peut lui fournir, mais est temporairement dans l’impossibilité de le faire.» Le mot a notamment pour synonymes étreinte fatale, étreinte mortelle et verrou mortel.

On le voit : au-delà de la circulation et de l’informatique, interblocage pourrait être utilisé à plusieurs autres sauces, de la discussion politique à la vie de couple.

Avancez en arrière

«Deux hommes penchés sur un vélo sur une route de Pontoise», photographie attribuée à Delizy, 1897

Sur Twitter, @mkh531 décrit le mot pbook comme un rétronyme.

Pbook ? Rétronyme ? De la même façon qu’on a inventé la guitare acoustique quand est apparue la guitare électrique, on en serait aujourd’hui, à cause de l’apparition du livre numérique, à inventer un nouveau mot pour désigner le livre papier (paper book, donc pbook).

On n’arrête pas le progrès.

 

[Complément du 2 avril 2021]

L’apparition de la signature électronique a mené, en anglais, à l’invention de «wet-signed» (signé à l’encre, cette chose humide, mouillée, liquide). C’est encore Twitter qui le dit.

 

[Complément du 10 avril 2023]

Il y eut le vélo. Puis il y eut le vélo électrique. Il y a dorénavant le vélo musculaire.

Ponctuation (payante)

Il y eut l’interrobang, le deflation point, le facetio, le delta-sarc et le snark. Voici le SarcMark, un signe de ponctuation disponible ici au prix de 1,99 $ US. (La vidéo publicitaire mérite le détour. Façon de parler.)

Son utilité ? Vous assurer que votre lecteur percevra bien que ce que vous venez d’écrire dans votre courriel ou votre texto est sarcastique.

Erin McKean, de Wordnik, dans sa chronique du 7 février du Boston Globe, évoque ces formes d’«alternative ponctuation». Elle en profite pour montrer pourquoi nous ne devrions pas en avoir besoin.