Les zeugmes du dimanche matin et de Jo Nesbø

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«Certains avaient affirmé qu’il était mort, d’autres qu’il s’était enfui à l’étranger, qu’il avait changé d’identité et coupé ses nattes claires, pour savourer sa vieillesse et ses cigarillos tout fins sur une terrasse en Argentine» (p. 14).

«Duff soupira. Qu’est-ce qu’elles voulaient, ces femmes ? Avaient-elles toutes besoin de le lier pieds et poings, de l’attacher aux montants du lit, de le nourrir dans la cuisine pour pouvoir traire son portefeuille et ses testicules afin de le noyer sous la progéniture et la mauvaise conscience ?» (p. 146)

«Andrianov eut le temps de tendre le bras vers le pistolet avant que sa vie et son raisonnement soient interrompus par la balle qui pénétra son front, son cerveau et le dossier du fauteuil pour ne s’arrêter qu’en rencontrant le mur au papier peint à fils d’or que Lady avait acheté à Paris pour une somme exorbitante» (p. 176).

Jo Nesbø, Macbeth, traduction de Céline Romand-Monnier, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Typographie du nez

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«À la table la plus proche étaient assises quatre personnes. Celle qui avait la parole était un machiniste bruyant avec un léger embonpoint, des avant-bras poilus, un tee-shirt Esso maculé de sueur et de cambouis, et une casquette tigrée du Hull City AFC. Il soufflait par le nez avant de parler et après, comme des guillemets oraux. Et ce qui se trouvait entre ces guillemets portait systématiquement et sans exception atteinte à ceux qui occupaient une place moins élevée dans la hiérarchie.»

Jo Nesbø, Macbeth, traduction de Céline Romand-Monnier, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p., p. 407.

L’oreille tendue de… Jo Nesbø

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«Seyton laissa Olafson passer. Il referma violemment la porte derrière lui et resta lui-même à l’intérieur. L’oreille tendue dans l’obscurité. Jusqu’à ce que Duff pense que le danger était passé et se détende.»

Jo Nesbø, Macbeth, traduction de Céline Romand-Monnier, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p., p. 359.

Subtil distinguo du jour

Jo Nesbø, Macbeth, 2018, couverture«Duff insista sur le mot “décision”. Il aurait bien sûr pu dire “choix”. Mais un “choix”, n’importe quel imbécile était contraint de le faire, alors qu’une “décision”, c’était un processus actif, qui requérait de la réflexion, du caractère, qui était le fait d’un dirigeant.»

Jo Nesbø, Macbeth, traduction de Céline Romand-Monnier, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p., p. 50.

Une weltanschauung dans un adjectif

D’une part, ses études. Ses cours de philosophie au cégep n’ont pas laissé à l’Oreille tendue les souvenirs attendus. Elle en retient cependant un mot, weltanschauung, la vision du monde. (À dix-huit ans, ça sonne fort.)

De l’autre, sa bible, le Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française de Jean Girodet, plusieurs fois réédité depuis 1981. Elle y trouve ceci à l’entrée deuxième : «En principe, second doit s’employer quand il y a seulement deux éléments, deuxième quand il y en a plus de deux» (éd. de 1988, p. 237).

Seconde Guerre mondiale ou Deuxième Guerre mondiale ? L’Oreille choisit la seconde expression. C’est dire si elle est optimiste.

 

[Complément du 29 juillet 2014]

Tous les grammairiens ne s’entendent pas là-dessus, il est vrai : «L’usage a toujours ignoré ces raffinements (que Littré contestait déjà)» (le Bon Usage, douzième édition, § 581 b).

En revanche, écrit @fbon sur Twitter, «ts correcteurs édition respectent».

Le débat reste ouvert.

 

[Complément du 6 novembre 2015]

«Radio-Canada présente la seconde et dernière saison de Série noire», écrit en titre le quotidien le Devoir du 5 novembre 2015 (p. B9). Un puriste pourrait lui reprocher de faire dans le pléonasme.

 

[Complément du 6 novembre 2015]

Réponse du quotidien :

 

 

[Complément du 17 février 2019]

Pareille distinction existerait-elle en norvégien ? On peut se poser la question en lisant Police, de Jo Nesbø, traduit par Alain Gnaedig :

«Ah merde !» Arnold s’était penché en avant. «Et en troisième lieu ?»
Harry fit signe à Nina qu’il voulait l’addition.
«Est-ce que j’ai parlé d’un troisième lieu ?
— Tu as dit “deuxième”, et pas “second”, comme si tu n’avais pas terminé ton énumération.
— Il va falloir que je fasse plus attention au choix de mes mots» (p. 336).

 

[Complément du 9 mars 2024]

La narratrice du Roman d’Isoline (2024), de David Turgeon, se tâte :

je ne sais pas encore, Rebecca, si j’écrirai seconde au lieu de deuxième, je connais la règle (enfin je sais que ce n’est pas une règle à proprement parler) mais je ne sais pas

[…]

ce n’était pas une troisième réplique, c’était l’écho de la deuxième

la seconde, en l’occurrence (p. 80-81)

 

Références

Girodet, Jean, Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988 (troisième édition), 896 p.

Grevisse, Maurice, le Bon Usage. Grammaire française, Paris-Gembloux, Duculot, 1986 (douzième édition refondue par André Goose), xxxvi/1768 p.

Nesbø, Jo, Police. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 762, 2014, 670 p. Traduction d’Alain Gnaedig. Édition originale : 2013.

Turgeon, David, le Roman d’Isoline, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 186, 2024, 196 p.