Sacrons avec William S. Messier

William S. Messier, le Basketball et ses fondamentaux, 2017, couverture

Le plus récent ouvrage de William S. Messier, le Basketball et ses fondamentaux, a beau être sous-titré Nouvelles, il mêle plusieurs genres, la nouvelle, évidemment, mais aussi les souvenirs et l’essai.

Il aborde une question chère au cœur de l’Oreille tendue, le juron.

Tel sacre s’insère dans la série créée à partir d’hostie : «Comme l’ostique de Samuel Desrochers, qui est toujours là à bosser le monde sans demander l’avis de personne, sauf à son ostique de chien de poche, Hugo Quesnel» (p. 10). Un autre vient remplir une case vide de l’herbier de l’Oreille : «Bref, le coup à la gorge sert moins à blesser quelqu’un qu’à jouer dans sa tête. Je dis ça, mais pour de vrai, ça fait mal en criffe» (p. 21). Il lui manquait un exemple avec cibole ? Plus maintenant : «Le coach Côté dit que, sauf le respect des élus, tout ce qu’il sait, lui, c’est qu’au cœur du véhicule, à un moment donné, le temps d’un tonneau, t’oublies le dehors. Il dit que tu te fies juste à ce que tes sens perçoivent et il dit que cibole, ce qu’ils perçoivent, c’est ton corps et celui de tes joueurs qui revolent et rebondissent tellement naturellement avec les cossins, les sacs de sport et les ballons de basket que tu jurerais que les parois de la van font des exercices de passes» (p. 79-80).

(La dernière citation provient de la nouvelle «Transport», peut-être la plus forte du recueil.)

Il y a surtout le paragraphe qui ouvre «La défaite de Big Dawg» :

Big Dawg fait le voyage du trou au truck en écoutant son patron. Jeff est le genre de gars qui ponctue chacune de ses phrases d’un sacre. Personne ne parle comme ça dans la vie. Big Dawg se dit que, s’il croisait un étranger qui sacrait autant que son patron, il penserait au syndrome de Gilles de La Tourette. Jeff ne sacre pratiquement pas quand il s’exprime dans sa langue maternelle, pourtant. Mais d’ajouter des ta-burn-ack et des caw-liss à ses phrases lui donne peut-être confiance. Comme si les sacres compensaient son accent. Dans le fond, Big Dawg fait un peu la même chose quand il parle en anglais. Il lance des shit et des fucking à gauche et à droite. Ça lui donne l’impression d’être crédible. Il ne s’arrête jamais pour réfléchir au fait que, dans sa langue maternelle, il utilise les sacres de façon beaucoup moins libérale, avec parcimonie (p. 85-86).

On sacrerait plus dans sa langue seconde que dans la première ? Voilà une hypothèse à laquelle l’Oreille tendue n’avait jamais réfléchi. Elle va s’y mettre.

P.-S. — «Personne ne parle comme ça dans la vie» ? Peut-être, mais au théâtre, si.

 

Référence

Messier, William S., le Basketball et ses fondamentaux. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 12, 2017, 239 p.

L’oreille tendue de… Gilles Marcotte

Gilles Marcotte, la Vie réelle, 1989, couverture

«Parfois je crois entendre, venant de sa chambre, quelque chose qui ressemble à de la musique mais j’ai beau tendre l’oreille, me concentrer à l’extrême, je ne parviens pas à décider si c’est classique ou romantique, dodécaphonique ou simplement atonal, et d’ailleurs comment ferait-il jouer de la musique ?»

Gilles Marcotte, «S.», dans la Vie réelle. Histoires, Montréal, Boréal, 1989, 235 p., p. 193-213, p. 201.

Le zeugme du dimanche matin et de Simon Brousseau

Simon Brousseau, Synapses, 2016

«D’habitude, au printemps, tu aides tes oncles à entailler les érables de la cabane à sucre familiale à Saint-Henri de Bellechasse, mais cette année tu n’entends plus l’appel du clan ni la vibration à peine perceptible de la forêt quand les premières gouttes de sève s’écoulent dans les chaudières, et la tranquillité de la campagne t’est devenue sans intérêt, car ton corps est tout entier tourné vers la ville que tu habites depuis déjà un an, par ce métro grouillant de monde dans lequel tu t’engouffres chaque jour et où l’air manque quand tu te rends chez ce gars qui t’invite de plus en plus souvent dans son appartement d’Hochelaga pour faire l’amour et des cupcakes en écoutant Nina Simone.»

Simon Brousseau, Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p., p. 15.

P.-S. — Simon Brousseau ? Par ici.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Are you talkin’ to me ?

Simon Brousseau, Synapses, 2016

Sous le titre Synapses (2016), Simon Brousseau a rassemblé plus de 200 courtes proses, en une phrase et un paragraphe, toutes adressées à un tu, mais un tu dont l’identité change (homme / femme, jeune / vieux, solitaire / en couple / en famille / avec des amis, en ville / à la campagne, etc.).

Le texte de la p. 21 est (presque) destiné à l’Oreille tendue :

Tu as vu l’Artiste perdre un gant quand il a contourné le filet tandis que Wideman était à ses trousses, tu l’as vu faire volte-face pour le cueillir alors qu’il protégeait la rondelle avec grâce, tu as explosé de joie quand il a donné un coup de coude au visage de Tucker qui l’avait cherché, tu as vu Zednik s’écrouler sur la patinoire après un coup de la corde à linge servi par McLaren, les bras en croix comme un petit Jésus, tu as vu le même Zednik se faire trancher la carotide d’un coup de patin de Jokinen, son sang sur la surface glacée, mais tu n’as jamais vu la Coupe ni de près ni de loin, encore moins senti son odeur.

«L’Artiste» est évidemment Alex Kovalev, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, et l’Oreille n’oubliera pas de sitôt ce joueur. Elle se souvient aussi de l’attaque à la tête de Kyle McLaren contre Richard Zednik, cette «corde à linge» qui l’a laissé quasi inconscient sur la glace, «les bras en croix comme un petit Jésus». Dennis Wideman et Kyle McLaren étaient, bien sûr, des joueurs des Big Bad Bruins de Boston. (En revanche, elle a oublié l’escarmouche Tucker / Kovalev et la blessure causée par Olli Jokinen à Zednik.)

L’Oreille n’a vu de la Coupe (Stanley) qu’une réplique, à Toronto, mais cette coupe lui a néanmoins inspiré un nom de commerce, qui a à voir avec son odeur.

P.-S. — L’Oreille se souviendra avec délectation de la densité des proses de Brousseau, ces microrécits qui, chacun, instantanément, ouvrent sur la profondeur d’une expérience (de soi, du monde, des autres, des corps, du temps).

 

Référence

Brousseau, Simon, Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p.