Are you talkin’ to me ?

Simon Brousseau, Synapses, 2016

Sous le titre Synapses (2016), Simon Brousseau a rassemblé plus de 200 courtes proses, en une phrase et un paragraphe, toutes adressées à un tu, mais un tu dont l’identité change (homme / femme, jeune / vieux, solitaire / en couple / en famille / avec des amis, en ville / à la campagne, etc.).

Le texte de la p. 21 est (presque) destiné à l’Oreille tendue :

Tu as vu l’Artiste perdre un gant quand il a contourné le filet tandis que Wideman était à ses trousses, tu l’as vu faire volte-face pour le cueillir alors qu’il protégeait la rondelle avec grâce, tu as explosé de joie quand il a donné un coup de coude au visage de Tucker qui l’avait cherché, tu as vu Zednik s’écrouler sur la patinoire après un coup de la corde à linge servi par McLaren, les bras en croix comme un petit Jésus, tu as vu le même Zednik se faire trancher la carotide d’un coup de patin de Jokinen, son sang sur la surface glacée, mais tu n’as jamais vu la Coupe ni de près ni de loin, encore moins senti son odeur.

«L’Artiste» est évidemment Alex Kovalev, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, et l’Oreille n’oubliera pas de sitôt ce joueur. Elle se souvient aussi de l’attaque à la tête de Kyle McLaren contre Richard Zednik, cette «corde à linge» qui l’a laissé quasi inconscient sur la glace, «les bras en croix comme un petit Jésus». Dennis Wideman et Kyle McLaren étaient, bien sûr, des joueurs des Big Bad Bruins de Boston. (En revanche, elle a oublié l’escarmouche Tucker / Kovalev et la blessure causée par Olli Jokinen à Zednik.)

L’Oreille n’a vu de la Coupe (Stanley) qu’une réplique, à Toronto, mais cette coupe lui a néanmoins inspiré un nom de commerce, qui a à voir avec son odeur.

P.-S. — L’Oreille se souviendra avec délectation de la densité des proses de Brousseau, ces microrécits qui, chacun, instantanément, ouvrent sur la profondeur d’une expérience (de soi, du monde, des autres, des corps, du temps).

 

Référence

Brousseau, Simon, Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p.

Le ronronnement de la thermopompe

Nicolas Guay, la Vie secrète du commis comptable, 2016, couverture

Les économistes ne se privent jamais de donner des conseils, voire des ordres. En revanche, pour des réponses claires à des questions simples, ils ne sont pas toujours à la hauteur. Exemple : qu’est-ce que c’est que la classe moyenne ? Sauf exception (Ianik Marcil), ils ne s’abaissent pas à définir ce genre de chose.

Il faut alors se tourner vers les écrivains, par exemple Samuel Archibald, dans le Sel de la terre (2012), ou Nicolas Guay, dans les nouvelles de la Vie secrète du commis comptable (2016).

Prenons celle intitulée «Le pouvoir d’achat», une des plus réussies du recueil. Sans surprise, on y voit l’ascension sociale incarnée dans des objets : en banlieue, «À l’heure de l’apéro, le soleil chauffait encore alors que ronronnaient les thermopompes» (p. 57). Plus révélatrice est l’acquisition de personnel :

[Érik et July] avaient maintenant à peu près tout ce dont une famille moderne a besoin : la maison, la voiture, la piscine, la télé de cinquante pouces, l’Internet haute vitesse. Ils avaient même des employés : la femme de ménage, la gardienne, la compagnie de terrassement (p. 55).

Et si c’était cela, la classe moyenne, devenir petit patron ?

P.-S. — Nicolas Guay mène une double vie (au moins). Sur Twitter, il est @machinaecrire. Suivez-le.

 

Références

Archibald, Samuel, le Sel de la terre. Confessions d’un enfant de la classe moyenne, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 03, 2012, 87 p. Ill.

Guay, Nicolas, la Vie secrète du commis comptable, Chez l’auteur, 2016, 115 p. Édition numérique.

Marcil, Ianik, les Passagers clandestins. Métaphores et trompe-l’œil de l’économie, Montréal, Somme toute, 2016, 181 p. Ill.

Chronique gastronomico-orthographique d’un dimanche pluvieux

Chloé Savoie-Bernard, Des femmes savantes, 2016, couverture

Cela évoque une texture alimentaire et le son qu’elle produirait.

Pour certains, par exemple pour la narratrice de la nouvelle «Burger à la Gustav» de Chloé Savoie-Bernard (2016), ce n’est guère appétissant : «Dans l’avion qui se dirigeait vers Playa del Carmen, ils nous ont servi du poulet qui faisait squick squick sous les dents […]» (p. 103).

D’autres, en revanche, considèrent que cela désigne une qualité appréciable. C’est le cas à la fromagerie La Chaudière, qui en a fait le nom d’un de ses produits.

Le fromage «Skouik ! Skouik !» de la fromagerie La Chaudière

Deux aliments, deux jugements, deux graphies («squick squick», «Skouik ! Skouik !»). C’est comme ça.

P.-S. — Croyez-le ou non, ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue parle des fromages produits à Lac-Mégantic.

 

Référence

Savoie-Bernard, Chloé, Des femmes savantes. Nouvelles, Montréal, Triptyque, 2016, 120 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Fouad Laroui

Fouad Laroui, l’Étrange Affaire du pantalon de Dassoukine, 2012, couverture

«Je ne m’étais pas davantage inquiété de l’étrangeté de cette enquête : pourquoi diable la Tribune de Casablanca s’intéressait-elle à ce qui se passait à quelques centaines de kilomètres à l’est, en altitude, sur ce plateau aride où ne poussent que l’alfa et les ennuis?»

Fouad Laroui, l’Étrange Affaire du pantalon de Dassoukine. Nouvelles, Paris, Julliard, 2012, 141 p., p. 54.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)