Évolution sémantique souhaitée

Au Québec, on l’a déjà vu, le frais chié (avec ou sans trait d’union) n’a pas bonne presse.

Ajoutons trois exemples.

Le premier chez Victor-Lévy Beaulieu, dans Monsieur de Voltaire (1994) : «Plus frais-chié que jamais, Voltaire lui répond […]» (p. 82).

Le deuxième chez Emmanuel Schwartz, dans le recueil collectif Et si on s’éteignait demain ? (2019) : «À ma mère je laisse / Mon sourire fendant du fils le plus frais-chié de la rue» (p. 39).

Le troisième chez Pierre Corbeil, dans Canadian French for Better Travel : le «frais-chié» (p. 61), comme le «frachié» (p. 150), serait «orgueilleux» ou «prétentieux».

La Brasserie Maltco espère sans aucun doute que les choses vont changer.

Bière La fraîchier, Brasserie Maltco, 2020

P.-S.—On notera que tous les produits alimentaires ne peuvent pas s’appeler «Fraîchier».

P.-P.-S.—Ainsi que le font remarquer Léandre Bergeron (1980, p. 234), Ephrem Desjardins (2002, p. 84) et Pierre DesRuisseaux (2015, p. 158), on peut dire, plus économiquement, frais, comme dans faire son frais. Le sens est le même.

 

[Complément du 10 décembre 2020]

Les férus de grammaire auront noté que frais est ici employé adverbialement. Il ne s’accorde donc pas. Voilà pourquoi Alexie Morin, dans Ouvrir son cœur, doit écrire «une petite frais chiée de Valcourt» (éd. de 2020, p. 37).

 

Références

Beaulieu, Victor-Lévy, Monsieur de Voltaire. Romancerie, Montréal, Stanké, 1994, 255 p. Ill. Rééd. : Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 220, 2010, 240 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Et si on s’éteignait demain ? Collectif dirigé par Marie-Élaine Guay, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, 109 p. Ill.

Morin, Alexie, Ouvrir son cœur. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Écho», 29, 2020, 343 p. Édition originale : 2018.

L’oreille tendue de… Mireille Cliche

Mireille Cliche, le Cœur-accordéon, 2020, couverture

«Bientôt l’hiver craquera après avoir beaucoup pleuré
Des restes de miroir lècheront les anses du lac
Des rameaux plus tendres
Caresseront les palais des cerfs
Du bout du sentier nous regardera peut-être
Un vieux mâle à peine troublé
Par nos pas dans le dégel
Je tendrai l’oreille au ruisseau déluré
Secouant son mica sous la glace mince
Revenus du Brésil ou de la Côte américaine
Des chants oubliés monteront du sommet des arbres
Parfois liquides parfois cassants les jours
Retrouveront teintes et sonorité
Des milliers de rigoles se fraieront un chemin
Dans la poussière le long des trottoirs
Nous verrons à nouveau presque incrédules
La vie reprendre son désordre
Ne restera de notre veille
Qu’une attente émerveillée»

Mireille Cliche, le Cœur-accordéon, Montréal, Éditions du Noroît, 2020.

L’oreille tendue de… Gérald Godin

Gérald Godin, les Cantouques, éd. de 1971, couverture

«le serin parle chinois
le mur tend l’oreille
je ne sais rien de tout cela
le calendrier s’en doute un peu
Grévisse s’ouvrait tout seul à la bonne page
poste mes lettres et le néant
paie bien tes dettes avant d’aller
au bout de la véloclamène»

Gérald Godin, «Cantouque à répondre», dans les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p., p. 32-33, p. 32. Édition originale : 1967.

Sur deux vers de Gérald Godin

Gérald Godin, les Cantouques, éd. de 1971, couverture

Ils se trouvent dans le poème «Cantouque du mauvais jour» (p. 50-52) du recueil les Cantouques (1967) :

et la taverne du coin
par la draffe d’air et celles qu’on boit (éd. de 1971, p. 50)

Godin évoque un lieu masculin : la loi a réservé les tavernes québécoises aux hommes jusqu’en 1979; dans les faits, elles mettront encore quelques années à toutes s’ouvrir aux femmes.

Le poète donne un bel exemple de diaphore : «On répète un mot déjà employé en lui donnant une nouvelle nuance de signification», dixit le Gradus de Bernard Dupriez (éd. de 1980, p. 155). Pour des masses d’autres exemples, vous pouvez aller ici.

Godin parle d’abord des courants d’air qui circulent dans les tavernes : voilà sa première draffe.

Les secondes se boivent : la bière en fût est de la draffe (on entend aussi draft).

À la taverne, il y a (eu) de l’anglais : draught et on draught (draft et on draft aux États-Unis).

Puis il y a eu de la poésie.

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Godin, Gérald, les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p. Édition originale : 1967.