L’oreille tendue de… Mireille Cliche

Mireille Cliche, le Cœur-accordéon, 2020, couverture

«Bientôt l’hiver craquera après avoir beaucoup pleuré
Des restes de miroir lècheront les anses du lac
Des rameaux plus tendres
Caresseront les palais des cerfs
Du bout du sentier nous regardera peut-être
Un vieux mâle à peine troublé
Par nos pas dans le dégel
Je tendrai l’oreille au ruisseau déluré
Secouant son mica sous la glace mince
Revenus du Brésil ou de la Côte américaine
Des chants oubliés monteront du sommet des arbres
Parfois liquides parfois cassants les jours
Retrouveront teintes et sonorité
Des milliers de rigoles se fraieront un chemin
Dans la poussière le long des trottoirs
Nous verrons à nouveau presque incrédules
La vie reprendre son désordre
Ne restera de notre veille
Qu’une attente émerveillée»

Mireille Cliche, le Cœur-accordéon, Montréal, Éditions du Noroît, 2020.

L’oreille tendue de… Gérald Godin

Gérald Godin, les Cantouques, éd. de 1971, couverture

«le serin parle chinois
le mur tend l’oreille
je ne sais rien de tout cela
le calendrier s’en doute un peu
Grévisse s’ouvrait tout seul à la bonne page
poste mes lettres et le néant
paie bien tes dettes avant d’aller
au bout de la véloclamène»

Gérald Godin, «Cantouque à répondre», dans les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p., p. 32-33, p. 32. Édition originale : 1967.

Sur deux vers de Gérald Godin

Gérald Godin, les Cantouques, éd. de 1971, couverture

Ils se trouvent dans le poème «Cantouque du mauvais jour» (p. 50-52) du recueil les Cantouques (1967) :

et la taverne du coin
par la draffe d’air et celles qu’on boit (éd. de 1971, p. 50)

Godin évoque un lieu masculin : la loi a réservé les tavernes québécoises aux hommes jusqu’en 1979; dans les faits, elles mettront encore quelques années à toutes s’ouvrir aux femmes.

Le poète donne un bel exemple de diaphore : «On répète un mot déjà employé en lui donnant une nouvelle nuance de signification», dixit le Gradus de Bernard Dupriez (éd. de 1980, p. 155). Pour des masses d’autres exemples, vous pouvez aller ici.

Godin parle d’abord des courants d’air qui circulent dans les tavernes : voilà sa première draffe.

Les secondes se boivent : la bière en fût est de la draffe (on entend aussi draft).

À la taverne, il y a (eu) de l’anglais : draught et on draught (draft et on draft aux États-Unis).

Puis il y a eu de la poésie.

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Godin, Gérald, les Cantouques. Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 10, 1971, 52 p. Édition originale : 1967.

L’imbibition, encore

Ellie Martineau-Lavoie, les Bikinis couleur peau, 2018, couverture

Hasard ou nécessité, il est souvent question en ces lieux d’imbibition alcoolisée (voir ici ou ).

Parlons donc robine.

Définition du dictionnaire numérique Usito : «Alcool de mauvaise qualité; liquide alcoolisé qu’on ne peut consommer.» Étymologie : «1935. […] de l’anglais rubbing (alcohol)

Exemple romanesque : «Les yeux cernés, l’air désabusé, il dégageait une puissante odeur de robine» (Cercles de feu, p. 178).

Exemple poétique : «il y a un incendie dans les nuages / des collines en coton / les moineaux sur les balcons / sentent la robine» (les Bikinis couleur peau, p. 51).

Exemple chanté : «Tant qu’il y aura des femmes pis tant qu’il y aura d’la robine» («À chaque jour le même soleil»).

Exemple nouvellistique : «Il sentait ses dents huileuses sous la langue et les goûts mélangés du saucisson à l’ail et de la robine» («Effacer le tableau», p. 167).

Il paraît donc que, malgré ce qu’avance Usito, la robine se consomme.

P.-S.— Oui, la robine est proche de la tonne.

P.-P.-S.—Le consommateur de robine peut devenir un robineux.

 

Références

Bock, Raymond, «Effacer le tableau», dans Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p., p. 149-175.

CQFD, «À chaque jour le même soleil», chanson, 2002.

Dimanche, Thierry, Cercles de feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 138, 2019, 438 p.

Martineau-Lavoie, Ellie, les Bikinis couleur peau. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2018, 86 p.