Chanter Aurèle Joliat en (mauvais) anglais

Dessin de Guy Rutter pour Paul Marchand, and Other Poems, 1933

Aurèle Joliat (1901-1986) a été ailier droit pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1922 à 1938.

En 1933, Wilson MacDonald (1880-1967), dans son recueil Paul Marchand, and Other Poems, lui consacre un poème, «Monsieur Joliat». À la manière de William Henry Drummond (1854-1907), MacDonald donne la parole à un francophone («Pea Soup»), qui maîtrise mal la langue anglaise.

«Monsieur Joliat

Boston she have good hockey team;
Dose Senators ees nice.
But Les Canadiens ees bes’
Dat ever skate de ice.

Morenz he go lak’ one beeg storm;
Syl Mantha’s strong and fat.
Dere all ver’ good, but none ees quite
So good as Joliat.

I know heem well; he ees ma frien’ :
I doan know heem himsel’;
But I know man dat know a man
Who know heem very well.

Enfant ! Dat Joliat ees full
Of hevery kind of treek.
He talk heem hockey all de day
And sleep heem wit’ hees stick.

He’s small but he ees bothersome
Lak’ ceender in de eye.
Maroons all yell : “Go get som’ ’Flit
And keel dat leetle fly.

Garcon ! he’s slippery; oui, oui —
Lak’ leetle piece of soap.
I tink nex’ time I watch dat boy
I use a telescope.

He’s good on poke-heem-check, he is :
He’s better on attack.
He run against beeg Conacher
And trow heem on hees back.

He weegle jus’ lak’ fish-worm do
Wen eet ees on a hook;
An’ wen he pass de beeg defence
Dey have one seely look.

He weigh one hondred feefty pound.
Eef he were seex feel tall
He’d score one hundred goal so queek
Dere’d be no game at all.

He was so queek he mak’ dem look
Jus’ lak’ a lot of clown.
An’ wen he shoot de wind from her
Eet knock de hompire down.

Wen I am tire of travais-trot
I put on coat of coon
And go to see Canadiens
Mak’ meence-meat of Maroon.

When Joliat skate out I yell
Unteel I have a pain.
I trow my hat up in de air
And shout, “Hurrah”, again.

“Shut up, Pea Soup”, an Englishman
Sarcastic say to me;
So I turn round to heem and yell :
“Shut up you Cup of Tea.”

Dat was a ver’ exciting game :
De score eet was a tie;
An’ den dat leetle Joliat
Get hanger een hees eye.

He tak’ de puck at odder goal
An’ skate heem down so fas’
De rest of players seem asleep
As he was goin pas’.

He was so queek he mak’ dem look
Jus’ lak’ a lot of clown.
An’ wen he shoot de wind from her
Eet knock de hompire down.

Dat was de winning goal, hurrah;
De game she come to end.
I yell : “Bravo for Joliat;
You hear : he ees ma friend.”

De Henglishman he say : “Pardon”,
An’ he tak’ off hees hat :
De Breetish Hempire steel ees safe
Wen men can shoot lak’ dat.”

An’ den he say, “Bravo”, as hard
As Henglishman can whoop :
“I tink to-night I’ll change from tea
To bally ole pea-soup”» (p. 41-46).

Ce texte appelle trois séries de remarques.

Des remarques linguistiques, d’abord. Non sans incohérences (il y a wen et when, hondred et hundred, Henglishman et Englishman, friend et frien’), le poète tente d’exploiter le mauvais anglais (caricatural) de son personnage. Il choisir de mettre en relief quelques traits particuliers.

La syntaxe est fautive, dès le premier vers (Boston she have good hockey team) et souvent par la suite.

La conjugaison des verbes est aléatoire : Dose Senators is nice, he go, dat know, he pass, he weigh.

Des graphies personnelles sont proposées : doan (don’t), ceender (cinders).

Souvent, la lettre h manque : dose, dat, de, dere, dey, dem, den; odder (other); tink, trow.

Parfois, elle est ajoutée : hevery, hompire, hanger, Hempire.

L’apocope règne : du t (bes’, nex’, jus’, fas’, pas’), du y (ver’), du d (frien’, an’, tire), du f (himsel’), du h (wit’), du e (som’).

La lettre i est remplacée par ee : ees, beeg, heem, treek, hees, keel, eet, seely, eef, seex, meence, unteel, Breetish, steel.

Certains mots ont une prononciation non standard : lak’ (like), ma (my), mak’ (make), tak’ (take).

Quelques mots sont en français et on peut parfois se demander pourquoi : Enfant, Garcon (sans cédille), oui, Bravo.

Des remarques sportives, ensuite.

Joliat est petit (small, leetle) et léger (one hondred feefty pound), mais il est rapide (queek, slippery, fas’) et frétillant : He weegle jus’ lak’ fish-worm do. Il connaît toutes les ficelles du métier : Dat Joliat ees full / Of hevery kind of treek. Il n’a pas peur de s’en prendre à plus gros que lui : He run against beeg Conacher / And trow heem on hees back. Il dérange ses adversaires (bothersome, étonnante épithète). Quand le match est nul (a tie), il se fâche (hanger een hees eye), traverse la patinoire et marque. Surtout, on dit «Monsieur Joliat», car c’est lui le meilleur : but none ees quite / So good as Joliat.

Des remarques politiques, enfin.

Au départ, il y a de la tension à l’aréna entre anglophones (Shut up, Pea Soup) et francophones (Shut up you Cup of Tea). Mais quand les Canadiens triomphent de l’équipe adverse (Mak’ meence-meat of Maroon), l’empire est sauf : De Breetish Hempire steel ees safe et la réconciliation est possible : I tink to-night I’ll change from tea / To bally ole pea-soup.

Tout est bien qui finit bien.

P.-S.—À quoi «travais-trot» peut-il bien renvoyer ? Sur Twitter, on a proposé travaille trop. Une autre version du poème, peut-être de 1946, comporte d’ailleurs trop au lieu de trot. La question reste ouverte.

P.-P.-.S.—Ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue parle de poésie et de hockey. Voyez ici, par exemple.

 

Référence

MacDonald, Wilson, Paul Marchand, and Other Poems, Toronto, Pine Tree Pub., 1933, 46 p. Illustrations de Guy Rutter.

L’oreille tendue de… Pierre Nepveu

Pierre Nepveu, la Dureté des matières et de l’eau, 2015, couverture

«Tout cela rassemblé par le même impératif caniculaire et la hantise des poisons modernes qui font oublier la courbe du temps. On cherche raison dans les nouvelles télévisées, on rajeunit son angoisse dans les romans qui tendent l’oreille à l’époque. Les vies se brisent et se renouent. On ne part pas

Pierre Nepveu, la Dureté des matières et de l’eau, avec des photographies de Karine Prévost-Nepveu, Montréal, Éditions du Noroît, 2015, 107 p., p. 14.

 

 

Les Lumières dans l’ordre alphabétique

Dickinson, deuxième saison, cinquième épisode, détail (vue d’une bibliothèque)

La télévision est une chose étonnante. Elle a les moyens de parler de tout, y compris d’une poétesse dont on ne cesse de dire qu’elle est recluse, Emily Dickinson.

La série Dickinson a été lancée en 2019. Dans le cinquième épisode de la deuxième saison, «La saveur du fruit défendu» (2021), un écrivain cher à l’Oreille tendue est évoqué.

Devant une bibliothèque, livres de Dickens et de Diderot à la main, le journaliste Samuel Bowles explique à la jeune Emily quelle sera sa place dans l’histoire de la littérature : «C’est là que vous serez, vous, juste là, Emily Dickinson, vos livres, entre le maître de la modernité, et les Lumières. Qu’est-ce que vous en dites ?»

L’Oreille, qui devrait se réjouir, souffre néanmoins un peu : Dickinson ne paraît pas savoir qui est Diderot («Pas grave», dit Sam), alors qu’elle connaît Dickens.

Parlons pseudonymes

Atlas littéraire du Québec, 2020, couverture

Selon l’Atlas littéraire du Québec, Élise B. Larivière (1847-1911) a utilisé (au moins) deux pseudonymes durant sa carrière poétique : Zouavella et Lise du Saint-Laurent (2020, p. 49).

Si jamais l’Oreille tendue laissait tomber son pseudonyme habituel (Benoît Melançon), elle choisirait volontiers Zouavella pour le remplacer.

Restez à l’écoute.

P.-S.—Oui, l’Oreille a collaboré à cet ouvrage collectif.

 

Référence

Hébert, Pierre, Bernard Andrès et Alex Gagnon (édit.), Atlas littéraire du Québec, Montréal, Fides, 2020, xvii/496 p. Ill.

In memoriam. Laurent Mailhot (1931-2021)

Portrait de Laurent Mailhot (1931-2021)

L’amitié de l’Oreille tendue pour Laurent Mailhot était ancienne.

Laurent a été son professeur à l’Université de Montréal dans un cours de deuxième année sur l’essai littéraire québécois (Arthur Buies, Pierre Vallières, André Belleau, etc.), puis son directeur de mémoire de maîtrise et son patron (comme moniteur, correcteur, documentaliste, secrétaire de rédaction et assistant de recherche). Ils ont été collègues. Ils ont écrit un livre et des articles ensemble, et dirigé un numéro de revue.

Cette énumération pourrait donner l’impression d’une relation strictement professionnelle; ce n’était pas du tout le cas. C’est un vieil ami — de plus de quarante ans, de la rue Piedmont à La Minerve, de Deschaillons-sur-Saint-Laurent à Trois-Rivières — et un vieux maître qui vient de mourir.

À l’été 2017, dans l’appartement où il est mort, il avait été clair : son plus grand bonheur dans la vie était de lire. De la littérature française comme de la littérature québécoise, il aura été tout un lecteur.

Un autoportrait : https://id.erudit.org/iderudit/36749ac

Un dossier sur lui : https://www.erudit.org/fr/revues/lq/2007-n127-lq1198530/

Sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Mailhot

Plus récents livres parus :

Plaisirs de la prose (2005, prix de la revue Études françaises);

l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie (2005);

la Poésie québécoise. Des origines à nos jours (anthologie, avec Pierre Nepveu, 2007)

 

[Complément du 5 janvier 2021]

Le 23 octobre 1970, ce qui s’appelle alors le Département d’études françaises de l’Université de Montréal organise un colloque en l’honneur de Gaston Miron. Le poète, qui a reçu ce printemps-là le prix de la revue Études françaises pour son recueil l’Homme rapaillé, est alors emprisonné en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Avec ses collègues, Laurent Mailhot prend alors la parole (78e minute).

 

 

[Complément du 9 janvier 2021]

À l’invitation de Stéphane Vachon, l’actuel directeur d’Études françaises, l’Oreille tendue rend aujourd’hui hommage à son mentor sur le site de la revue. Ça se trouve ici.

 

[Complément du 23 janvier 2021]

Une cérémonie s’est tenue aujourd’hui, à Trois-Rivières, à la mémoire de Laurent Mailhot.

On y a entendu des textes de Baudelaire («La mort des amants», par Léo Ferré), de Valéry («Les pas»), d’Apollinaire («Le pont Mirabeau»), de Nelligan («Soir d’hiver», dans l’interprétation de Claude Léveillée), de Brel («Quand on n’a que l’amour»), de La Fontaine («Le lion et le rat»), d’Anne Hébert («Le tombeau des rois») et de Gaston Miron («L’octobre»).

Il y a aussi eu de la musique : Vivaldi, Bach, Glazounov.

Et des témoignages, dont celui-ci.

Comme beaucoup d’entre nous, depuis le 4 janvier, je rapaille mes souvenirs de Laurent.

Je réentends sa voix, grave, parfois tonitruante.

Je revois sa silhouette si droite, jusqu’à la toute dernière fois où nous nous sommes rencontrés, en novembre 2019.

Je me souviens de ses lettres, souvent sur du papier de couleur, toujours couvertes de mots dans tous les sens, avec des flèches, des astérisques, des post-scriptum. Ces dernières années, sa calligraphie était tremblante, mais jamais son envie de communiquer.

Je repense aux rapprochements étonnants qu’il aimait tant faire. J’imagine le plaisir qu’il avait pris à écrire que le livre Abolissons l’hiver, de Bernard Arcand, avait été publié par les Éditions du… Boréal. C’est le genre de paradoxe qu’il chassait avec gourmandise.

Sur le site de la revue Études françaises, j’ai eu l’occasion de dire ce que les études littéraires doivent à Laurent, aussi bien les études littéraires françaises que les études littéraires québécoises. Je n’y reviendrai pas.

Aujourd’hui, je voudrais plutôt évoquer quelques lieux que j’ai partagés avec Laurent au cours d’une amitié de quarante ans.

J’ai fait sa connaissance dans une salle de classe de l’Université de Montréal à la fin des années 1970 et j’ai beaucoup visité son bureau du 8e étage du pavillon Lionel-Groulx.

Dans les locaux du Département d’études françaises, où il a été professeur plus de trente ans, j’ai travaillé avec lui et j’ai pris part à un très grand nombre de réunions et d’assemblées. Il y a été mon professeur, mon directeur de mémoire de maîtrise et mon patron, avant d’être brièvement mon collègue. Nous y avons aussi écrit ensemble des articles et des livres.

Je me réjouis tout particulièrement de savoir que son nom continuera de résonner dans les murs de son université, qui est aussi la mienne, grâce à la bourse Laurent Mailhot-Élyane Roy, qu’il a créée en 2013.

J’ai peu fréquenté la maison de la rue Piedmont, près de l’Oratoire Saint-Joseph, mais je sais que nombre de chercheurs et d’étudiants, parfois venus de loin, y ont été invités au fil des ans, et que plusieurs y ont habité. Des amitiés durables y sont nées.

Mes plus vifs souvenirs de Laurent sont liés à La Minerve, où nous sommes allés très souvent, Marie et moi. C’était un lieu où pagayer, skier, manger, discuter, travailler, avec sa tête ou avec ses mains. J’ai même retiré de La Minerve — croyez-le ou non — une leçon de décoration intérieure. Si on peut s’asseoir dans une maison, on doit pouvoir lire, ou faire un mot croisé, confortablement. Ça suppose un bon éclairage, de quoi écrire et une boîte de kleenex. Tout ça est indispensable.

Laurent Mailhot et Benoît Melançon, La Miverve (Québec), juillet 1981

Par la suite, j’ai revu Laurent à Deschaillons, parfois en «petit comité» (il aimait l’expression), parfois pour de grands rassemblements. Je pense particulièrement à deux de ces rassemblements.

Le premier est celui autour de Pamphile LeMay, à la suite duquel j’avais ramené à Montréal Gaston Miron, ce poète que Laurent appréciait tant.

Le second de ces rassemblements est la distribution des tableaux de Lili après sa mort en 2011. Beaucoup se souviennent encore, je n’en doute pas, du complexe système de pointage qu’avait concocté Laurent pour l’occasion, afin que les œuvres de Lili reprennent vie dans de nouveaux décors.

Je pense enfin à quelques rencontres dans son appartement de Trois-Rivières. C’est là, en 2017, qu’il m’a dit que son plus grand bonheur dans la vie était de lire. Comme toujours, sa table était recouverte de livres et de revues, mais, au lieu de lectures savantes ou littéraires, il m’avait recommandé, ce jour-là, la lecture d’une histoire du KGB ! C’était passionnant, m’assurait-il.

Laurent aura lu toute sa vie, et de tout, partout. Il n’y avait pas beaucoup de lecteur comme lui.

Tous les lieux que je viens d’évoquer ont un point commun, une valeur commune : une vraie générosité, qui ne s’est jamais démentie. Pour ta générosité, humaine et intellectuelle, nous sommes très nombreux, aujourd’hui, et moi le premier, à te dire «Merci, Laurent».

 

[Complément du 29 septembre 2021]

Pour l’Association des professeures et professeurs retraités de l’Université de Montréal, l’Oreille tendue publie un autre hommage à Laurent Mailhot (PDF).