Avec pas d’tête

Ad. J. Charon, Poules qui pondent, 1927, couverture

Déclaration récente du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet : «Il y a quelqu’un qui a fabriqué avec [Donald Trump] ce message-là dans le but de nous envoyer encore une fois courir dans toutes les directions, comme des poules décapitées» (le Devoir, 17 décembre 2024).

Les Québécois auront reconnu dans ces «poules décapitées» les poules pas de tête de leur langue populaire.

Ces poules pas de tête auraient pour caractéristique de courir sans véritable direction. Ce faisant, leurs actions seraient inutiles et représenteraient une perte de temps et d’énergie.

À votre service.

P.-S.—Nous avons jadis croisé — n’est-ce pas ? — le crosseur de poule(s) morte (s). On peut supposer que quelques-unes de ces poules mortes n’avaient pas de tête(s).

P.-P.-S.—Mike the Headless Chicken aurait survécu 18 mois sans tête. C’est Wikipédia qui le dit.

P.-P.-P.-S.—Pourquoi «Avec pas d’» ? Parce que.

Accouplements 193

Maison du egg roll, Montréal, façade

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

L’ancien premier ministre du Québec Maurice Duplessis décriait les intellectuels d’une formule : c’était des «joueurs de piano» ou des «danseurs de ballet».

L’ancien premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau — était-ce à La Maison du egg roll ? — dérida un jour son public en affirmant «Il n’y a sûrement pas d’intellectuels dans la salle». (André Belleau lui répondit splendidement dans un ouvrage de 1984, Y a-t-il un intellectuel dans la salle ?)

Hier soir, à un journaliste de la télévision de Radio-Canada qui l’interrogeait sur la réforme du mode de scrutin provincial, l’actuel premier ministre du Québec, François Legault, répondit que cette question n’intéressait que «les intellectuels».

Les racines de l’anti-intellectualisme au Québec sont profondes, diverses et vives.

P.-S.—Ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue se penche sur le statut des intellectuels au Québec. Voyez .

 

Référence

Belleau, André, Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 206 p. «Avant-propos» de René Lapierre (p. 5-6).

Accouplements 179

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, en conférence de presse, le 5 décembre 2022

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des «influenceurs» québécois perturbent un vol d’avion, au grand dam du premier ministre du Canada : «Quand une gang de sans-dessein décide de partir comme des ostrogoths en vacances, c’est extrêmement frustrant» (conférence de presse du 5 janvier).

En novembre 1764, Diderot découvre qu’il a été censuré par son propre libraire, Le Breton. Le 12, il lui écrit ceci :

À votre ruine et à celle de vos associés qu’on plaindra, se joindra, mais pour vous seul, une infamie dont vous ne vous laverez jamais. Vous serez traîné dans la boue avec votre livre, et l’on vous citera dans l’avenir comme un homme capable d’une infidélité et d’une hardiesse auxquelles on n’en trouvera point à comparer. C’est alors que vous jugerez sainement de vos terreurs paniques et des lâches conseils des barbares Ostrogoths et des stupides Vandales qui vous ont secondé dans le ravage que vous avez fait. Pour moi, quoi qu’il en arrive, je serai à couvert. On n’ignorera pas qu’il n’a été en mon pouvoir ni de pressentir, ni d’empêcher le mal, quand je l’aurais soupçonné. On n’ignorera pas que j’ai menacé, crié, réclamé (Correspondance, p. 487).

Justin Trudeau n’aurait-il pas dû préférer «vandales» à «sans-dessein» ? Le débat est ouvert.

 

[Complément du jour]

Hergé, lui, savait, dès Coke en stock (p. 49). (Merci à @revi_redac.)

 

Hergé, Coke en stock, 1958, p. 49, 3, c

 

Références

Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.

Hergé, Coke en stock, Tournai, Casterman, coll. «Les aventures de Tintin», 19, 1967, 61 p. Édition originale : 1958.

Faire marche arrière

Titre de la Presse+ du 19 décembre 2021

Prenons une situation imaginaire. Vous faites partie d’un gouvernement appelé à gérer une pandémie. Vous présentez une série de mesures. Vous êtes obligé de changer d’avis. Comment désigner cela ?

En français de référence, on pourra dire que vous avez été forcé de rétropédaler.

Au Québec, il existe une autre possibilité : marcher sur la peinture. Exemple tiré de la Presse+ du 19 décembre 2021 : «On pourrait même dire [que François Legault] a maîtrisé l’art de marcher sur la peinture avec élégance. […] Cette semaine, voyant la dégradation de la situation sanitaire et la montée fulgurante du variant Omicron, M. Legault a été obligé de faire marche arrière.»

Pourquoi marcher sur la peinture ? Parce qu’on s’est peinturé dans le coin, bien sûr. Un ancien premier ministre du Canada ne s’en cachait nullement : «Quand on s’est peinturé dans le coin, on peut toujours marcher sur la peinture, disait Jean Chrétien» (le Devoir, 8-9 mai 2004, p. B3). Bref, il n’y a plus de choix : il faut revenir sur ses pas, au risque de se salir.

 

[Complément du 10 mars 2022]

«S’auto-peinturer dans le coin» (vu sur Twitter) paraît pléonastique.

Justin Trudeau et Réjean Ducharme

Réjean Ducharme, HA ha !…, 1982, couverture

Demain soir, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’adressera à la nation. En après-midi, les citoyens auront eu droit à un discours du trône.

Il n’y a rien à faire : quand l’Oreille tendue entend «discours du trône», elle pense immédiatement à l’incipit de HA ha !…, la pièce de Réjean Ducharme.

Des déclics de magnétophone, des cris de bande rembobinée. Lumières. Roger qui recommence l’enregistrement de son «Bedit Discours». Il le lit sur un bout de papier froissé en se bouchant le nez.

Roger : Bedit Discours du trône à quatre pattes dont deux molles : «La nouvelle pissance bio-dégradante du Danemark amélioré aux enzymes ravive les gouleurs foncées du Saint-Relent, le fleuve qui l’arrose, comme une mouffette. (Il fait jouer le nouvel enregistrement. Il se félicite en s’écoutant : ) Infect !… Abject !… Ignoble !… Répugnant !… Ah stextra ! stexcellent ! (HA ha !…, p. 15)

Qu’on lui pardonne ce rapprochement.

P.-S.—Oui, en effet, l’Oreille se répète.

 

Référence

Ducharme, Réjean, HA ha !…, Montréal, Lacombe, 1982, 108 p. Préface de Jean-Pierre Ronfard.