Français 101

Des études récentes laissent entendre que la place du français, surtout à Montréal, serait menacée. C’est pour éviter ce genre de situation que le premier gouvernement du Parti québécois (PQ) avait promulgué, en 1977, la Charte de la langue française, communément appelée la loi 101.

Dès lors, il n’est peut-être pas inutile de rappeler quelques éléments liés à cette loi.

Elle a un père : Camille Laurin, le père de la loi 101. C’est une des périphrases québécoises (PQ) dont l’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de dire un mot. (C’est le même Camille Laurin qui apparaît dans le bien étrange roman la Dague de Cartier de John Farrow.)

Elle a des enfants : les enfants de la loi 101 sont nécessairement nés après son entrée en vigueur, qu’ils soient, ou pas, de souche. Camille Laurin est aussi nécessairement leur père. Il est souvent question d’eux dans l’ouvrage de Léonore Pion et Robert Vézina intitulé Le français, une langue pour tout et pour tous ?

Ces enfants forment une génération : c’est du moins l’opinion du cinéaste Claude Godbout, qui a réalisé la Génération 101 (2008).

Ils sont maintenant dans la trentaine et le temps est venu de tirer leur portrait. Isabelle Beaulieu l’a fait (2003).

Une chanson pour terminer ? Ce sera «Québécois de souche» des Cowboys fringants (2001), dont les premiers mots sont : «Je suis un Québécois de souche / Ma loi 101 faut pas qu’tu y touches / C’est pas que’j sais pas ben parler / Mais chus un colon anglicisé.»

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Elle aurait aussi un oncle, le «mononc101». Ce «mononc»-là est un défenseur de la qualité du français au Québec.

 

Références

Beaulieu, Isabelle, «Le premier portrait des enfants de la loi 101. Sondage auprès des jeunes Québécois issus de l’immigration récente», dans Michel Venne (édit.), l’Annuaire du Québec 2004, Montréal, Fides, 2003, p. 260-265.

Les Cowboys fringants, «Québécois de souche», Motel Capri, 2001.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Pion, Léonore et Robert Vézina (édit.), Le français, une langue pour tout et pour tous ? Forum des 3 et 4 avril 2009. Montréal, Montréal, Fides, Institut du Nouveau Monde et Conseil supérieur de la langue française, coll. «Supplément de l’État du Québec», 2009, 109 p. Ill.

Leçon d’histoire

Le Québec n’a pas de bataille de Marignan, de prise de la Bastille, de guerre de 1870. Il a sa Révolution tranquille.

On la trouve évidemment dans les manuels d’histoire comme dans les débats publics. En 2010, on la commémore : dans les journaux, à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, sur les ondes.

Révolution tranquille est aussi devenue une expression figée.

Dans le Devoir d’hier, page B4 : «Toyota Prius rechargeable : la révolution tranquille.» Le même journal, la même édition, la page d’à côté : «Transport collectif et biogaz. Manquerons-nous l’autre révolution tranquille ?»

Un autre signe de la popularité de l’expression ? On s’amuse dorénavant à jouer avec elle. Cela donne, par exemple, la «Révolution tranquillisante» (la Presse, 13 avril 2010).

Elle a de beaux jours devant elle.

Note explicative plus longue que le billet qu’elle complète.

Révolution tranquille ? Au sens strict, il s’agit de la courte période (1960-1966) pendant laquelle le gouvernement québécois, alors dirigé par le premier ministre Jean Lesage, aurait spectaculairement rompu avec la Grande Noirceur incarnée par un de ses prédécesseurs, Maurice Duplessis. Dans les faits, elle est devenue la pierre d’assise du discours identitaire des Québécois francophones depuis cinquante ans. Il y aurait un avant et après, même quand on essaie, ainsi que le fait Michel Beaulieu en 1978, de proposer une lecture historique nuancée : «L’année 1960 a été marquée au Québec de deux événements d’une importance capitale : cette année-là, en effet, a vu le début de la Révolution tranquille (mais je ne suis pas de ceux qui condamnent irrémédiablement Maurice Duplessis aux poubelles de l’Histoire) et la retraite de Maurice Richard» (p. 34). Où le hockey rejoint la politique.

 

[Complément du 3 avril 2016]

Dans la Presse+ du jour, sous le titre «Les révolutions tranquilles», Jean-Philippe Warren démontre que l’expression Révolution tranquille n’est pas propre au Québec.

 

[Complément du 22 décembre 2016]

Sur la place de la Révolution tranquille dans l’historiographie québécoise, l’Oreille tendue recommande la lecture de Marie-Andrée Bergeron et Vincent Lambert, «Au-delà des faits : la Grande Noirceur et la Révolution tranquille en tant que mythistoires. Entretien avec Alexandre Turgeon», article électronique, HistoireEngagée, 21 septembre 2016. http://histoireengagee.ca/?p=5807

 

[Complément du 26 septembre 2017]

Depuis quelque temps, François Legault, le chef de la Coalition Avenir Québec, appelle ses troupes à se lancer dans une «nouvelle Révolution tranquille». Dans le Journal de Montréal du jour, l’ami Antoine Robitaille lui rappelle à juste titre qu’il faut manier avec prudence les mythes historiques.

 

[Complément du 29 avril 2020]

La planète traverse une pandémie. Que sera le monde d’après ?

Certains, sur Internet ou dans la presse, appellent à une nouvelle Révolution tranquille.

 

[Complément du 23 février 2023]

Le succès de la formule ne se dément pas.

On rêve de faire comme la première.

«La Révolution tranquille du soccer» (la Presse+, 23 février 2023).

«Pour une Révolution tranquille climatique» (la Presse+, 1er mai 2022).

«Une révolution tranquille alimentaire au Québec» (le Devoir, 12-13 mars 2022).

«La Révolution tranquille du sport québécois» (la Presse+, 19 mai 2021).

«Une “révolution tranquille” à la polonaise ?» (le Devoir, 3-4 avril 2021).

«La révolution tranquille de Valérie Plante» (la Presse+, 3 novembre 2018).

«Révolution tranquille à Pyongyang» (la Presse+, 3 février 2018).

«La révolution tranquille de l’industrie du placement» (la Presse+, 21 juin 2017).

Il en faudrait une nouvelle.

«Jérôme 50. La nouvelle Révolution tranquille» (la Presse+, 10 octobre 2018).

«Une nouvelle Révolution tranquille ?» (la Presse, 22 septembre 2012).

«À quand la prochaine Révolution tranquille ?» (le Devoir, 31 décembre 2009).

«La prochaine Révolution tranquille» (le Devoir, 23 novembre 2006).

Plus précisément encore, certains appellent de leurs vœux une deuxième, une seconde ou une troisième Révolution tranquille.

«L’État québécois, en mieux. Dans son livre à paraître, Martine Ouellet propose une deuxième révolution tranquille» (le Devoir, 18-19 avril 2015).

Gil Courtemanche, la Seconde Révolution tranquille. Démocratiser la démocratie, Montréal, Boréal, 2003, 176 p.

«Paul Gérin-Lajoie […] rêve d’une deuxième Révolution tranquille» (le Devoir, 21-22 septembre 2013).

«Le Québec est-il mûr pour une seconde “Révolution tranquille” ?» (le Devoir, 5-6 novembre 2011).

«Vers une troisième Révolution tranquille ?» (le Devoir, 16 novembre 2011).

Les détournements ne se comptent plus.

«La banalisation tranquille» (le Devoir, 2 septembre 2021).

Tremblay, Rodrigue, la Régression tranquille du Québec. 1980-2018, Montréal, Fides, 2018, 344 p.

Fortin, Steve E. (édit.), Démantèlement tranquille. Le Québec à la croisée des chemins, Montréal, Québec Amérique, 2018, 208 p.

Ianik Marcil, «La privatisation tranquille», dans Ianik Marcil (édit.), 11 brefs essais contre l’austérité. Pour stopper le saccage planifié de l’État, Montréal, Somme toute, 2015, p. 7-21.

Stéphane Courtois, Repenser l’avenir du Québec. Vers une sécession tranquille ?, Montréal, Liber, 2014, 564 p.

«L’illusion tranquille ou la souveraineté perdue de vue» (le Devoir, 9 janvier 2012).

«L’illusion tranquille : l’efficience des PPP» (le Devoir, 10 août 2009).

«Jean-Marie Roy 1925-2011 — L’architecte de la modernisation tranquille» (le Devoir, 9 novembre 2011).

Oui, en effet : nous avons la Révolution tranquille en héritage (sous la direction de Guy Berthiaume et Claude Corbo, Montréal, Boréal, 2011, 304 p.).

 

Références

Beaulieu, Michel, «Guy Lafleur pense et compte», la Nouvelle Barre du jour, 62, janvier 1978, p. 30-40.

Bergeron, Marie-Andrée et Vincent Lambert, «Au-delà des faits : la Grande Noirceur et la Révolution tranquille en tant que mythistoires. Entretien avec Alexandre Turgeon», article électronique, HistoireEngagée, 21 septembre 2016. http://histoireengagee.ca/?p=5807

Retour inattendu

Cinquante jeunes militants du Parti québécois et du Bloc québécois viennent de rédiger une lettre dans laquelle ils mettent en cause certains choix en matière de défense de l’idée de souveraineté politique du Québec. Le Devoir l’a publiée lundi.

Un des signataires, interviewé à la radio de Radio-Canada hier matin, plutôt que de faire comme tout le monde depuis une vingtaine années et de dire souveraineté, a parlé d’indépendance. Serait-ce l’effet de l’Halloween ? Voilà un fantôme qu’on n’avait pas vu depuis longtemps.

 

[Complément du 4 novembre 2010]

Semaine faste ! Dans le Devoir du 3 novembre, la réponse de 136 militants aux 50 signataires de la lettre : «Gouverner en souverainiste et faire l’indépendance» (p. A9).

 

[Complément du 8 avril 2013]

Belle-mère de son état, Bernard Landry est cité dans le Devoir de ce matin : «Utilisons les bons mots. Regardons les choses en face : nous voulons l’indépendance nationale» (p. A3), aurait-il déclaré dans le cadre des États généraux sur… la souveraineté. L’ancien premier ministre du Québec lirait-il l’Oreille tendue ? (Il y a longtemps que celle-ci s’interroge sur la disparition d’indépendance au bénéfice de souveraineté.)

 

[Complément du 11 février 2014]

Peut-être y aura-t-il bientôt des élections au Québec. Le Parti québécois, en tout cas, est déjà en campagne. Il a lancé récemment une publicité intitulée «L’indépendance, ça dépend de nous».

Interprétation du Conseil de la souveraineté (!) : «Son président, Gilbert Paquette, croit qu’avec ce choix sémantique le PQ exprime plus clairement son objectif qu’avec le terme souveraineté» (la Presse, 10 février 2014, p. A7).

Interprétation du parti : «Le président du PQ, Raymond Archambault, soutient, lui, que les mots souveraineté et indépendance sont des synonymes […]» (ibid.).

Voilà qui est plus clair. Ou pas.

Loterie lexicale

En juin 2009, Gilles Duceppe, le chef du Bloc québécois, proposait un équivalent local du mot redneck : le cou bleu. Il aurait désigné un nationaliste québécois intolérant. Échec :  sauf erreur de la part de l’Oreille tendue, ce néologisme n’a eu aucun succès.

Elle ne voit guère d’avenir, non plus, à mobigoinfres, terme proposé par Solveig Godeluck du journal les Échos dans un article intitulé «Les gros utilisateurs d’Internet mobile dérangent les opérateurs» (19 mars 2010). Sans être poétique, l’équivalent anglais, data hogs, a au moins pour lui d’être imagé. Ah ! ce cochon qui se met des données partout !

À la loterie lexicale, il est rare de tirer le billet gagnant.