Citation lexicographique du jour

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, 1996, couverture

«ce n’est ni la volonté ni l’exactitude du spécialiste qui décident si un mot nouveau est communément admis ou non, mais bien l’humeur et l’imagination de la communauté.»

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p., p. 173. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

 

[Complément du 5 décembre 2014]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 5 décembre 2014.

Langue de campagne (33) : ne pas confondre éducation et éducation

Avant-hier, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, répondait ceci à la première question qui lui était posée :

On a besoin au Québec de mettre plus d’emphase sur l’éducation, sur l’innovation, nos universités entre autres dans les facultés de génie, les sciences d’la vie, faut qu’i se rapprochent des entreprises pour être capables d’innover, d’inventer, d’exporter et c’est maintenant là que ça doit se passer.

Anglicisme à l’appui (mettre de l’emphase), voilà sa conception de l’éducation : des écoles professionnelles branchées sur l’industrie. L’éducation ramenée à la seule formation.

Hier, dans le Devoir, sous la plume d’Antoine Robitaille, paraissait un éditorial intitulé «Cruciales disciplines» :

Il n’est presque pas question d’éducation dans la présente campagne électorale. Cela est déplorable. De plus, lorsque le sujet est abordé, des questions de structures et d’infrastructures éclipsent rapidement tout le reste : droits de scolarité, financement, salaires, taille du ministère, destin des commissions scolaires, problèmes de «moisissures», etc.

Ce sont là des sujets importants; mais il semble devenu presque impossible de débattre publiquement de questions fondamentales : «Que faudrait-il enseigner ?», par exemple. «Quelle devrait être la formation des maîtres ?» Les réponses en ces matières ne seront jamais définitives, bien sûr; comme nombre d’autres questions en démocratie. Mais il faut au moins garder la discussion ouverte.

François Legault et Antoine Robitaille ne donnent pas le même sens au mot éducation.

P.-S. — L’Oreille tendue sait être monomaniaque au besoin. En 2012, elle se prononçait sur la place de l’éducation dans la campagne électorale, dans les pages du Journal de Montréal.

 

[Complément du 2 avril 2014]

Dans son éditorial du jour dans la Presse+, Ariane Krol pose la question suivante :

Sommes-nous prêts, en tant que société, à faire de l’éducation une véritable priorité — c’est-à-dire un choix avec lequel nous serons conséquents, au détriment, même, d’autres considérations ? C’est en ces termes qu’il faut se poser la question.

Sa réponse :

L’éducation est un enjeu important pour beaucoup d’électeurs. Mais figure-t-il en tête des priorités des Québécois ? Les sondages réalisés en prévision et au début de la campagne montraient que non. Et rien de ce que nous avons vu et entendu ces dernières années ne nous porte à croire que ces sondages ont erré.

 

[Complément du 2 avril 2014]

Et enfin Joseph Facal, dans son blogue au Journal de Montréal :

Dans le Québec d’aujourd’hui, et ce n’est pas d’hier, l’éducation a été dissociée de la culture pour être ravalée au rang de «formation».

J’entends par là que le but fondamental du système semble être de préparer les jeunes pour le marché en leur donnant le bagage de compétences officielles et minimales que celui-ci exige.

L’école, du primaire jusqu’à l’université, doit certes faire cela. Mais elle ne devrait pas faire que cela.

Grosses journées pour l’éducation (dans les médias, pas chez les représentants des partis).

Citation lexicographique du jour

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, 1996, couverture

«Mais surtout, et il s’agit là d’une position que j’observe par principe dans toute réflexion de ce type, surtout, je ne me soucie jamais d’établir la première apparition d’une expression ou d’une valeur linguistique donnée car, dans la plupart des cas, cela se révèle impossible, et quand on croit avoir trouvé la première personne qui a employé ce mot, on finit toujours par lui trouver un prédécesseur.»

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, coll. «Agora», 202, 1996, 372 p., p. 79. Traduit de l’allemand et annoté par Élisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.

 

[Complément du 5 décembre 2014]

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 5 décembre 2014.

Langue de campagne (32) : le débat des chefs, prise deux

Le 21 mars, l’Oreille tendue rendait compte du débat télévisé de la veille, sur les ondes de Radio-Canada, entre les quatre chefs des principaux partis aux élections québécoises du 7 avril : Philippe Couillard (Parti libéral du Québec), Françoise David (Québec solidaire), François Legault (Coalition avenir Québec), Pauline Marois (Parti québécois).

Autre débat hier soir, sur le réseau TVA, avec les mêmes participants, sous le titre Face à face Québec 2014. Selon son présentateur, l’«enjeu» était «énorme» (euphémisme : ça se discute).

Ci-dessous, nouveaux commentaires sur la langue des participants, organisés en sept thèmes.

Parler entre soi

«GMF», «C3S», «Rapport Moisan» : vous comprenez ce que cela veut dire ? Vous avez intérêt. Les candidats, eux, ne se donnaient pas la peine de préciser de quoi il s’agit (Groupe de médecine familiale, Centres de santé et de services sociaux, Rapport de la commission d’enquête sur le financement des partis politiques présidée par Jean Moisan en 2006). Ils parlaient entre eux, pour eux.

La langue de la gestion

Il existe toutes sortes de façons de parler politique. Celle qui dominait hier ? La langue des gestionnaires : «donner des services», «vraie imputabilité», «livrable», «bonifier, supporter, accompagner», «24/7», «50 % de l’actif et du passif», «plan d’affaires», «qualifications», «livrer la marchandise», «entrepreneur», «structurite». Ce vocabulaire était partagé par tous — dans des proportions inégales, il est vrai, de beaucoup (François Legault) à peu (Françoise David).

Bouette

Il y a une campagne électorale : on s’insulte. Dans les médias, on a beaucoup employé les mots boue, bouette, voire bouettisation pour désigner ces insultes. Seul Philippe Couillard a abordé cette question : «Mon programme pour Québec, ce n’est pas la boue.» Qu’on se le dise.

Anglicismes

Supporter pour soutenir ? Non. Graduer en médecine ? Non. Aucune évidence (au sens de preuve) ? Non.

Tics locaux

Les chefs des quatre partis sont québécois. Ils utilisent donc des tics propres au Québec. Des exemples ? François David : «C’est tellement pas mon impression.» Philippe Couillard : «J’ai quitté en 2008.» Pauline Marois : «reviser» (au lieu de réviser). François Legault : personne ne parlerait «de t’ça» (pour de ça).

Absences

Sauf erreur, le mot culture n’a été prononcé que deux fois en deux heures (à 21 h 23 et à 21 h 58). Cela étant, personne n’a parlé de merde ni de couilles. On se console comme on peut.

Bestiaire

Deux éléphants («dans la pièce») : Arthur Porter, aujourd’hui accusé de fraude, ex-associé de Philippe Couillard; le compte en banque de ce dernier à Jersey. Et quelques centaines de milliers de dindons.

Langue de campagne (31) : la langue de François Legault

Déclaration de François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec, ce matin, à Trois-Rivières, dans le cadre d’une intervention électorale : «Si vous voulez reconnaître que les neuf années libérales ont donné d’la merde qu’on a actuellement, ben, changez, essayez une autre recette.»

Passons sur le fait qu’il n’est pas du meilleur goût de mêler, dans la même phrase, «merde» et «recette» à «essayer».

De même, laissons de côté l’indécision prépositionnelle du chef de la CAQ. Il aurait bien sûr dû dire «ont donné la merde qu’on a actuellement» au lieu de «ont donné d’la merde qu’on a actuellement».

Deux choses cependant méritent d’être notées.

La première est que François Legault est probablement convaincu de ne pas s’être abaissé, et sa fonction avec lui, en utilisant «merde» au lieu du mot qui serait venu à la bouche de tout Québécois normalement constitué, «marde».

L’actualité récente a donné un autre exemple de ce type de comportement. Le syndicaliste Bernard «Rambo» Gauthier, témoignant devant la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction — la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside — et voulant bien «perler», a déclaré ceci : «Je l’ai traité de… masturbateur. Ça va ça, non ?» Là où le chef caquiste faisait entendre «marde» en disant «merde», «Rambo» faisait semblant de cacher «crosseur» sous «masturbateur».

On ne saurait le nier : cela relève fort le niveau des échanges publics.

La seconde chose que fait ressortir la déclaration de François Legault est la même que lors du débat des chefs du 20 mars : voilà quelqu’un qui n’a aucune oreille. Les subtilités de la langue — et notamment des niveaux de langue — lui échappent complètement. Voilà qui explique peut-être pourquoi les questions culturelles l’indiffèrent tant.

P.-S. — Aux élections de 2012, Martin Caron, alors candidat de la CAQ, avait été moins timoré que son chef en parlant clairement de «marde» au sujet de la loi 78. Il est vrai que le quotidien le Devoir avait alors remplacé ce mot par «merde»…

 

[Complément du 26 mars 2014]

Ce matin, à la radio, François Legault déclarait : «Jean Charest, il n’avait pas de couilles. Et je pense que Philippe Couillard, il n’en aura pas plus.» De l’ancien chef du Parti libéral du Québec à son remplaçant, ce serait blanc bonnet et bonnet blanc.

Le chef de la CAQ aurait-il préféré «les couilles de Couillard» aux «gosses de Couillard» ? On ne lui connaissait pas un tel sens de l’euphonie.