La marée rouge du PQ

Ni alarmiste ni jovialiste

Pour des raisons évidentes, la survie du français au Québec est depuis longtemps un objet d’inquiétude. Comment quelques millions de personnes pourront-elles conserver leur langue alors qu’elles sont entourées de centaines de millions d’anglophones ?

Cette inquiétude légitime se transforme parfois en alarmisme.

On l’a vu quand une partie des données du plus récent recensement canadien ont été rendues publiques il y a quelques semaines. En fonction des indicateurs retenus, les avis divergeaient, mais beaucoup de commentateurs ont pronostiqué la disparition de la langue française au Québec à plus ou moins long terme. (La position de l’Oreille tendue ? Elle tient en un tweet.)

On le voit encore dans cette publicité électorale du Parti québécois.

 

 

Elle ne se distingue pas par son sens de la nuance. On peut en retenir au moins deux choses.

En 2022, à l’exception d’une partie du Québec, le Canada paraît uniformément anglophone, d’un océan à l’autre. Les francophones hors Québec, notamment ceux des provinces de l’Atlantique, apprécieront leur disparition de la carte linguistique du pays.

La capsule publicitaire est marquée par un catastrophisme que ne partagent pas tous les démolinguistes : «Le français recule à vitesse grand V au Québec», y entend-on. Si l’on croit le parti qui a fait voter la Charte de la langue française (la loi 101) en 1977 — c’était il y a 45 ans —, dans 28 ans, on ne parlera plus français au Québec. La marée rouge submergera Montréal vers 2030, la ville de Québec vers 2033, puis l’ensemble du territoire provincial en 2050.

Certes, la publicité n’est généralement pas caractérisée par ses nuances. Cela ne devrait pas empêcher de se garder une petite gêne avant de laisser entendre n’importe quoi.

Accouplements 193

Maison du egg roll, Montréal, façade

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

L’ancien premier ministre du Québec Maurice Duplessis décriait les intellectuels d’une formule : c’était des «joueurs de piano» ou des «danseurs de ballet».

L’ancien premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau — était-ce à La Maison du egg roll ? — dérida un jour son public en affirmant «Il n’y a sûrement pas d’intellectuels dans la salle». (André Belleau lui répondit splendidement dans un ouvrage de 1984, Y a-t-il un intellectuel dans la salle ?)

Hier soir, à un journaliste de la télévision de Radio-Canada qui l’interrogeait sur la réforme du mode de scrutin provincial, l’actuel premier ministre du Québec, François Legault, répondit que cette question n’intéressait que «les intellectuels».

Les racines de l’anti-intellectualisme au Québec sont profondes, diverses et vives.

P.-S.—Ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue se penche sur le statut des intellectuels au Québec. Voyez .

 

Référence

Belleau, André, Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 206 p. «Avant-propos» de René Lapierre (p. 5-6).

Hockey et politique

«Les électeurs méritent mieux que la “trappe”», titre, la Presse+, 28 août 2022

Qu’est-ce que la trappe au hockey ?

Définition de Wikipédia : «La trappe est une stratégie défensive utilisée en hockey sur glace pour empêcher l’équipe adverse de progresser en zone neutre (entre les deux lignes bleues) afin de forcer les rotations.»

Définition de l’Oreille tendue : «Les pires entraîneurs, du moins d’un point de vue esthétique, sont ceux qui exigent de fermer le centre de la glace. Ces adeptes de la trappe tuent le jeu» (2014, p. 116).

Si l’on en croit la Presse+ du 28 août, on peut aussi parler de trappe dans le domaine politique, plus précisément dans le cadre de la campagne électorale québécoise actuelle : «Les électeurs méritent mieux que la “trappe”», titre le quotidien. Le responsable de cette situation ? «Avec une telle position de force, le premier ministre François Legault a déjà commencé à “jouer la trappe”, cette stratégie défensive que les équipes sportives utilisent pour protéger leur avance. Et qui donne une partie sans intérêt.»

Souhaitons-nous mieux, sur la glace et hors d’icelle. On peut toujours rêver.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Fil de presse 039

Charles Malo Melançon, logo, mars 2021

Brassée du jour.

Aquino-Weber, Dorothée et Julie Rothenbühler, Pourquoi parle-t-on le français en Suisse romande ?, Neuchâtel, Éditions Alphil, coll. «Glossaire des patois de la Suisse romande», 2022, 96 p.

Bronckart, Jean-Paul et Ecaterina Bulea Bronckart, Ferdinand de Saussure. Une science du langage pour une science de l’humain, Paris, Classiques Garnier, coll. «Domaines linguistiques», 20, série «Grammaires et représentations de la langue», 13, 2022, 590 p.

Cahiers de lexicologie, 120, 2022, 263 p.

Cahiers internationaux de sociolinguistique, 20, 2022. Dossier «Langues minorées : des décisions de justice et de leurs effets. L’exemple de la loi Molac (France 2021) et de ses suites», sous la direction d’Eguzki Urteaga et Philippe Blanchet.

Dürrenmatt, Jacques, Frédéric Duval, Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt, Chronologie de l’histoire de la langue française, Paris, Bescherelle, coll. «Bescherelle culture – Chronologies», 2022, 320 p.

Gendrot, Nathalie et Thomas-Louis Novillo, avec Maxime Rovere, 150 drôles d’expressions pour prendre la vie du bon côté, Paris, Le Robert, coll. «150 drôles d’expressions», 2022, 307 p.

Gilbert, Muriel, Correctrice incorrigible, Paris, Buchet/Chastel, 2022, 240 p.

Gryson, Pierre-Marie et Denise Poulet, Guide de conversation. Le chti pour les nuls, Paris, First, coll. «Pour les nuls Langues», 2022, 192 p. Troisième édition.

Langage et société, 176, 2022, 176 p. Dossier «Quand les animaux participent à l’interaction sociale. Repenser le “tour de parole”», sous la direction de Chloé Mondémé.

Langue française, 214, juin 2022. Dossier «L’esprit encyclopédique moderne en France entre 1690 et 1902», sous la direction de Denis Vigier.

Lexique, 29, 2021. Dossier «Les phraséologismes pragmatiques. Préfabrication et lexiculture», sous la direction de Gaétane Dostie et Dorota Sikora.

Loevenbruck, Hélène, le Mystère des voix intérieures, Paris, Denoël, coll. «Document», 2022, 352 p.

Maillet, Jean, Dictionnaire étymologique des hydronymes et toponymes nautiques. Histoires d’eaux. Fleuves, rivières, lacs, caps, baies et îles de la France, Paris, Honoré Champion, coll. «Champion Les dictionnaires», 26, 2022, 672 p. Préface de Jean Pruvost.

Martineau France, Wym Remysen et André Thibault, le Français au Québec et en Amérique du Nord, Paris, Éditions Ophrys, 2022, 384 p.

Mathieu-Job, Martine, Y a-t-il une langue maternelle ? Ce que disent les écritures francophones, Paris, Hermann, coll. «Savoirs lettres», 2022, 218 p.

Morvan, Malo, Classer nos manières de parler, classer les gens, Rennes, Éditions du Commun, 2022, 280 p.

Neologica, 16, 2022, 282 p.

Piron, Sophie, Grammaire française. Perfectionnement. Volume 2. Supérieur et formation continue, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2022, 400 p. Deuxième édition.

Revue algérienne des sciences du langage, 7, 1, 2022, 102 p.

Semen, 50, 2, 2022. Dossier «Le langage engagé. Perspectives politiques critiques en sciences sociales du langage», sous la direction de Richard Guedj, Manon Him-Aquilli et Sandra Nossik.

Vanderesse, Sylvain, 30 jours pour jacter comme Mézigue, Paris, Les Éditions de l’Opportun, 2022, 320 p.

Verbum, 44, 2022, 152 p. Dossier «Pluralité dans les expressions nominales», sous la direction de Michelle Lecolle.

Williams, Quentin, Ana Deumert et Tommaso M. Milani (édit.), Struggles for Multilingualism and Linguistic Citizenship, Bristol, Multilingual Matters, 2022, 272 p.

Diderot et l’âme québécoise

Denis Diderot, boul. Saint-Germain, Paris, statue

Dans la Presse+ du 3 juin, le sociologue Jacques Beauchemin évoque, s’agissant du film Bataille pour l’âme du Québec de Francine Pelletier, le «secret de l’âme québécoise». Quand elle lit pareilles choses, l’Oreille tendue a trois réactions.

Elle se pose une première question : c’est quoi, une «âme» ?

Elle se pose une deuxième question : c’est quoi, l’«âme québécoise» ou «l’âme du Québec» ?

Elle pense enfin à Diderot : «Il est donc très important de ne pas prendre de la ciguë pour du persil, mais nullement de croire ou de ne pas croire en Dieu […]» (lettre à Voltaire, [11 juin 1749], éd. Roth-Varloot, vol. I, p. 78).

En matière de politique québécoise, l’Oreille aime se la jouer mécréante.

P.-S.—En effet, ce n’est pas la première fois que cette phrase apparaît ici.

 

Référence

Denis Diderot, Correspondance, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol. Éditée par Georges Roth, puis par Jean Varloot.