(Accouplements : une rubrique où l’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)
Simenon, le Train, dans Romans. II, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 807-916 et 1604-1620. Édition originale : 1961.
«J’ai mis du temps à identifier un troisième visage, plus près de moi pourtant, parce qu’il m’était caché la plupart du temps par un homme à la carrure double de la sienne. Il s’agissait d’une grosse fille d’une trentaine d’années, déjà en train de manger un sandwich, une certaine Julie, qui tenait un petit café près du port.
Elle portait une jupe de serge bleue trop serrée qui fronçait le long de ses cuisses et un chemisier blanc, cerné de sueur, à travers lequel on voyait son soutien-gorge.
Elle sentait la poudre, le parfum et je revois son rouge à lèvres déteindre sur le pain» (p. 827).
DesRochers, Jean-Simon, les Inquiétudes. L’année noire – 1. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2017, 591 p.
«Soleil couché, lumière pauvre. Bruno a bu trop vite. Il a le tournis. Le parc refroidit de minute en minute. Bruno reste assis sur son banc. Le bras gauche posé sur un sac de canettes consignées, un panini à demi mangé dans la main droite. Un repas trouvé dans les poubelles à l’arrière du Petit Café. Malgré l’obscurité croissante, il voit des marques de rouge à lèvres sur le pain blanc. Bruno songe à ces lèvres, à l’âge de leur propriétaire. C’est comme embrasser quelqu’un avec un peu de retard. Le panini est rempli de légumes et de fromage durcis par le froid. Une végétarienne… A devait être mince… Bruno lève les yeux. Un enfant du quartier passe à toute vitesse sur un vélo. Il file en direction de la rue Watson» (p. 34).